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Maps to the stars, de David Cronenberg

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 3/5 

Familles, je vous hais

Il n’est pas nouveau pour David Cronenberg de s’intéresser à la névrose et à ses transformations corporelles. Ce festival de la chair abandonnée aux déboires psychiques aurait pu trouver, installé à Los Angeles, un terrain idéal pour se développer. Mais étrangement, si Maps to the stars séduit, il échoue à convaincre tout à fait, coincé qu’il est entre ses différents sujets et sous le poids, peut-être trop lourd, d’une ville souvent (très bien) filmée.

© Daniel McFadden

© Daniel McFadden

Dans la ville des rêves, les stars abondent : un jeune garçon déjà imbuvable, un père coach, sa cliente, Havana, actrice sur le tard obsédée par le remake d’un film dans lequel jouait sa propre mère. Il y a aussi ceux qui aspirent à la célébrité : la jeune Agatha, le corps à moitié brûlé, devient vite l’assistante de Havana, Jerome le conducteur de limousine voudrait jouer et écrire…

A partir de cette « carte », Cronenberg tisse un récit où les destins se recoupent vite. Les personnages partagent une sévère tendance à la névrose, et les apparitions fantomatiques en touchent plus d’un. Entre psychanalyse et délires des corps, le nouveau film de Cronenberg reprend un certain nombre de thématiques chères au cinéaste. Situé dans le contexte exacerbant de Hollywood, le récit aurait pu être celui d’un film de Hitchcock.

Les erreurs des parents imposant la pénitence aux enfants, les questions de filiation et de prédestination familiale abondent dans ce contexte hollywoodien qui aggrave les tendances névrotiques des personnages. Cette plongée dans le monde tout en surface des stars américaines révèle bien le fonctionnement en milieu fermé (et faussement ouvert) d’un univers où l’on passe son temps à évoquer les "collègues" (que de name dropping !). Dans ce monde-là, on se nourrit de mots, les personnages se satisfont d’une logorrhée vaine – le festival de la chair et des mots est un vieux sujet cronenbergien.

Le film réussit le pari de son titre : réunissant cette "constellation" de personnages, Maps to the stars dresse bien une série de cartes, narratives d’abord, entre des êtres en apparence éloignés, mais surtout topographiques. Avec ses villas au style épuré, où l’on vit exposé pour mieux faire parler de soi tout en dissimulant ses vilains secrets, le film saisit bien un "syndrome Hollywood". Le décor rend ainsi sensible la limite ténue entre l’extériorité et l’intériorité, l’excentricité et l’intimité, la façade et la vérité, surtout dans un contexte où la famille – celle, littérale, des parents et des enfants, et celle, plus imagée, du monde hollywoodien – a une influence (néfaste) aussi importante.

© Daniel McFadden

© Daniel McFadden

Si Cronenberg reste bon lorsqu’il s’agit d’instaurer une atmosphère malsaine, à la limite du glauque, force est toutefois de constater que sa "cartographie" psychique demeure fragile, voire simpliste : le rapport conflictuel aux parents (à la mère surtout) et à leur legs, la question de la culpabilité, sont signifiés par des apparitions fantomatiques peu convaincantes et même un peu ridicules par moments. Julianne Moore (prix d’interprétation féminine à Cannes), à qui son personnage sied terriblement, interprète un rôle certes intéressant – l’actrice vieillissante obsédée par sa mère vicieuse – mais disparaît sans qu’on ait pu élucider ce trauma initial, et sans même que le film ait distillé assez d’ambiguïté pour nous accrocher à son personnage. 

Dans le même temps, un certain nombre d’éléments ne trouve pas vraiment de justification. Pourquoi diable, par exemple, les personnages répètent-ils tous les mêmes vers de Paul Eluard ? Ils rechercheraient la « liberté » ? S’il faut prendre la citation au mot, on est embêté, car Cronenberg ne connaît visiblement pas le contexte de ce poème (la Résistance) ni sa célébrité. Ces vers sont ainsi un peu trop connotés pour ne pas donner au film une signification qu’il ne devrait pas avoir.

Le rythme s’avère en outre assez mou – peut-être parce que, justement, les enjeux n’apparaissent pas clairement – sans rendre le film ennuyant. Il y a de quoi s’étonner, de la part un cinéaste qui nous a habitués à bien mieux gérer les temporalités problématiques (revoir Cosmopolis et ses 24 heures de la vie d’un golden boy).

Voilà peut-être le problème de ce film faussement mystérieux : rien ne surprend vraiment dans cette intrigue assez téléphonée mais qui peine à définir ses enjeux (le carriérisme à outrance, la relation à la mère, la transmission du vice ?). Si le début du film tente de nous perdre un peu, les liens entre les personnages surgissent tout de même très vite, avant d’être explicités par des dialogues parfois poussifs. La trajectoire du récit est donc assez curieuse : d’abord complexifiés, les noeuds de l’intrigue se défont vite, le récit se normalise progressivement et la fin, un peu facile, déçoit.

Surtout, la mise en scène s’avère un peu paresseuse pour un sujet qui aurait pu donner à Cronenberg l’occasion de faire beaucoup plus. Les apparitions fantomatiques sont souvent limitées à des champs-contrechamps faciles, les travellings abondent, mais peinent à pénétrer leur sujet. Il s’agit bien, en effet, d’entrer dans les demeures des stars et d’y découvrir ce qui s’y dissimule. Malheureusement, les « secrets » sont vite éventés, et une bonne partie du film consistera à en attendre les conséquences. Hollywood ne réussit pas vraiment à Cronenberg : le poids du lieu se fait d’ailleurs sentir, et quand on pense au Mulholland Drive de Lynch (pour les personnages féminins névrosés) et au Sunset Boulevard de Wilder (pour l’actrice vieillissante obsédée par son succès), Maps to the stars ne supporte pas vraiment la comparaison.

© Daniel McFadden

© Daniel McFadden

Un Cronenberg mineur donc, où l’on ne retrouve pas grand chose de ce qui fait la force de son cinéma, si ce n’est des thématiques à peine approfondies. Agréable, mais bien loin de l’esprit corrosif et dérangeant qui marque habituellement les films du Canadien.

Alice Letoulat

Film en salles depuis le 21 mai 2014.


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