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Strange days

Publié le 13 juin 2014 par Olivier Walmacq

30 décembre 1999, Los Angeles. Lenny Nero est un ancien flic dealant des vidéos subjectives pour ses clients. Mais dans l'un d'entre eux se trouve la mort d'une amie et sa mort risque bien de changer beaucoup de choses...

Strange Days : Affiche

La critique an 2000 de Borat

Kathryn Bigelow et James Cameron ont beau avoir divorcé en 1991, cela ne les a pas empêché de collaborer ensemble sur Point Break et Strange days. Mais le réalisateur, qui avait négocié un gros contrat à 500 millions de $ avec la Fox pour la période 1992-1997 où il pourra réaliser, produire et réaliser, se doit de voir ses ambitions revues à la baisse. Il abandonne une série animée Terminator, son projet de film avec John Cusack tombe à l'eau tout comme son adaptation de Spider-man et True Lies a eu quelques dépassements au point de renégocier son contrat *. Il ne sera donc question de ne réaliser que deux films (en l'occurence le remake de La totale et Titanic) et produire un film qui sera Strange days. Un projet ambitieux où Cameron réussi à obtenir la bagatelle de 42 millions de $, remonte quelques scènes d'action et le promeut dans les médias. Néanmoins son propos contestataire et viscéral ne semble pas intéresser le public avec seulement 8 millions de $ de recettes aux USA et pas beaucoup plus dans le monde. Cameron aura bien besoin d'un paquebot pour se refaire et la réalisatrice attendra 2000 avant de refaire un film (Le poids de l'eau). Bigelow sera lucide quant à cet échec commercial plutôt bien accueilli par la critique: "Avec ce film, j'ai tendu un miroir à l'Amérique d'aujourd'hui, mais elle n'avait aucune envie de s'y voir" **.

Strange days

Au vue du film lui-même, on est en droit de se demander si elle n'avait pas raison. Le film est sorti en 1995 mais aborde le futur bug de l'an 2000, fin du monde proclamée à l'époque à l'image de 2012 des années après. Bigelow et Cameron sont donc parfaitement dans une époque semée de troubles, où la fin du monde n'a jamais semblé aussi crédible, où les rappeurs sont devenus les nouveaux prophètes et où les stars sont cloîtrées dans des hôtels rien que pour elles. A cela rajoutez des clips-vidéos arrachés à autrui pour être partagé par d'autres gens comme un vulgaire divertissement. La téléréalité en était à peine à ses balbutiements qu'elle est déjà devant nos yeux. Il suffit d'une disquette et d'un casque et votre cerveau est connecté aux images pour voir ce qu'ont fait les autres. Cela peut être tout: une coucherie, un meurtre, un braquage, le souvenir d'une ancienne vie... Le but étant de pousser le spectateur jusqu'à un certain pic d'adrénaline, de regarder autrui totalement de l'extérieur tout en subissant les sensations survenant durant l'acte. Lenny Nero (Ralph Fiennes excellent comme souvent) fait partie des dealers de cette drogue pré-années 2000, voyeurisme certain même s'il a un code de conduite: jamais de meurtre. Malheureusement pour lui, une de ses amies s'est retrouvée dans une affaire brûlante et en est morte.

Strange days

Le personnage de Nero est assez vite croqué. Par un de ses clips, on voit qu'il avait une copine incarnée par Juliette Lewis (sublime au possible même si parfois c'est un peu vulgaire, le syndrome rock star peut être); plus tard par le personnage d'Angela Bassett, on sait qu'il était flic et il est entré en disgrâce peu après que sa copine l'a plaqué pour un manager incarné par Michael Wincott, la crapule préférée du cinéma des années 90 (manquerait plus que dans la nouvelle saison de 24 il soit méchant!). Un personnage comme les affecte Cameron et Bigelow, à savoir un anti-héros (rien que son qualificatif de dealer en est la preuve) à la différence que Nero n'est pas un personnage violent. Il n'utilise jamais d'arme et la seule fois où il tue c'est à cause de sa cravate. C'était le voeu de Cameron, faire de cet anti-héros un personnage non-violent qui subi plus qu'il ne donne de coups. C'est toute la subtilité du personnage, il a cotoyé la violence en étant flic et il a été meurtri par la rupture avec la femme qu'il aime. Il est ainsi aidé par le personnage d'Angela Bassett qui n'hésite pas à tirer pour le coup et s'impose comme un cataliseur pour lui. Les deux se complètent. L'affaire brûlante est bien traitée et, comme souvent chez Cameron, possède plusieurs climax. Le premier se situe dans l'immeuble et comporte une partie de la résolution, mais la véritable conclusion se trouve dans la foule paradant pour la grande fête de l'an 2000.

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 Grande fête qui ne va pas tarder à devenir rouge sang face à un peuple méprisé et sans cesse tabassé par une police plus ou moins corrompue, dont le seul représentant encore fiable reste le commissaire de Los Angeles. Parmi elle, deux simples flics de patrouille (Vincent d'Onofrio et William Fichtner parfaits en crapules dérangés comme ils le font si souvent surtout le premier) auteurs d'un crime abominable car touche à la culture et donc en soi au peuple. Si le peuple apprend qu'ils sont les auteurs de ce crime, un grand soulèvement aura lieu ce qui engendra de nouvelles violences. Strange days, plus qu'un réel reflet sur l'Amérique comme l'évoquait Bigelow ci-dessus, est un reflet de notre monde à la fois voyeuriste et violent, où la répression devient d'une sauvagerie sans nom en réponse à la délinquance abondante. L'an 2000 est un contexte propice à l'apocalypse et ce contexte n'en est que plus crédible. La bande-originale se révèle assez pessimiste dans l'ensemble, aliant moments halletants, festivités (le titre While the Earth sleeps de Peter Gabriel et Deep Forest en est la preuve) et une certaine tristesse que l'on retrouve dans le titre Fall in the light de Lori Carson et Graeme Revell. L'apocalypse 2000 dans toute sa splendeur... ou pas. Bigelow signe également d'excellentes scènes d'action, la meilleure étant bien sûr la poursuite en voiture à la fois halletante et spectaculaire. On retiendra également les plans subjectifs qui sont filmés de manière lisible bien en avant l'explosion du found footage avec Le projet Blair Witch.

Strange days

Kathryn Bigelow signe en compagnie de Big Jim un film apocalyptique sur notre notion du voyeurisme et la violence de notre société.

Note: 18.5/20

* Anecdotes issues du hors série numéro 14 de Mad Movies consacré à James Cameron. 

** Propos recueillis dans Mad Movies numéro 268 (novembre 2013). 


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