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"Jean-François Revel" de Philippe Boulanger

Publié le 22 juin 2014 par Francisrichard @francisrichard
"Jean-François Revel" Philippe Boulanger

Le Jean-François Revel de Philippe Boulanger est le quatrième livre de la collection sur Les Penseurs de la liberté, éditée par Les Belles Lettres et dirigée par Alain Laurent, après un Herbert Spencer, un Léon Say et un Ayn Rand. Autant de biographies intellectuelles d'auteurs oubliés ou méconnus du grand public.

Dans la famille libérale, Jean-François Revel peut être qualifié de libéral intégral. Il faut entendre par là que, pour lui, liberté politique et liberté économique vont de pair:

Etat minimal, libre entreprise et capitalisme, individualisme et société ouverte: tels sont les volets du libéralisme intégral de Revel.

L'Etat ne doit pas faire ce qu'il ne sait pas faire mais remplir les fonctions qui lui sont imparties. Il ne doit pas intervenir dans l'économie mais assurer un contexte de liberté propice à la création économique:

La démocratie libérale de Revel implique un Etat de droit qui garantisse la propriété privée et l'ordre public, un pluralisme protégé par la Constitution, des élus qui respectent la souveraineté populaire et un pragmatisme qui permette de trouver des solutions de plus en plus complexes qui surgissent dans les sociétés modernes.

L'Etat tel que le conçoit Revel, ce n'est donc pas l'étatisme:

Tout au long du XXe siècle, argue Revel, le monde a été à la fois de plus en plus étatisé et de moins en moins gouverné. Et d'autant moins ou plus mal gouverné qu'il a été plus profondément étatisé. Il faut donc moins d'Etat, qui empiète sur la société civile, et plus de gouvernement qui encourage l'initiative privée et favorise l'économie de marché encadrée par le droit.

La corruption est d'ailleurs liée à l'étatisme, qui prend la forme d'économies mixtes ou collectivistes. Dans les économies mixtes, elle découle des relations entre pouvoir politique et entreprises, et elle est d'autant plus importante que celui-ci est interventionniste et dirigiste. Dans les économies collectivistes, elle résulte de la confusion entre propriété de l'Etat et patrimoine national.

Revel constate dans L'Express du 6 mars 1978:

Depuis la guerre, le capitalisme a été générateur de plus de prospérité, de plus de justice et de plus de démocratie que le socialisme, qui, lui, n'en a pas engendré du tout, au contraire.

Il défend l'individualisme:

En démocratie libérale, estime-t-il, chaque homme doit pouvoir disposer des moyens de s'accomplir par lui-même et non par l'Etat ou une communauté imposée.

D'ailleurs, explique-t-il dans la préface à l'édition américaine de son Regain démocratique, la supériorité de la démocratie libérale, pragmatique, tient à ce qu'elle est le seul système de permanente autorectification sociale par la méthode des essais et des erreurs suivies de corrections.

Cela n'est évidemment possible que si la liberté d'expression s'appuie sur l'exactitude de l'information:

L'idéologie, assure-t-il dans La Connaissance inutile, fonctionne comme une machine à détruire l'information, au prix même des assertions les plus contraires à l'évidence.

Adversaire de la démocratie libérale, exprimée à basse tension, l'idéologie conduit au tiers-mondisme et, à haute tension, au terrorisme, qui s'est placé longtemps sous le parrainage soviétique, puis a été relayé peu à peu par l'islam depuis la révolution iranienne.

Les plus redoutables adversaires de la démocratie libérale ont été les totalitarismes communiste et nazi que Revel met dans le même panier, tout en les différenciant, c'est-à-dire en ne trouvant aucune excuse au premier, comme il le fait dans un article du Point du 14 janvier 1995:

Ce qui distingue le communisme du nazisme, ce n'est pas le système du pouvoir. Il est identique dans les deux cas. C'est que le premier est une utopie et non le second. Lorsque Hitler supprime la démocratie et crée des camps d'extermination, il réalise ses idées et tient ses promesses. Lorsque c'est Lénine qui le fait, il réalise le contraire de ses idées et trahit ses promesses. Mais il le nie, au nom de l'avenir, qu'il prétend radieux.

Dans La grande parade, Revel explique que les procommunistes cherchent à dédouaner le communisme en accablant le nazisme pour éviter tout rapprochement avec ce dernier. Il souligne cependant - il ne s'est évidemment pas fait d'amis à gauche en écrivant cela - que le communisme a duré plus longtemps que le nazisme et a fait davantage de victimes, les 100 millions recensées par Le livre noir du communisme...

Revel n'est pas tendre non plus avec les démocraties, qui n'ont pas su démonter le parallèle établi par le totalitarisme communiste entre elles et lui, pour le plus grand avantage de celui-ci, et par les concessions consenties au nom de la détente, qui en ont favorisé la politique expansionniste.

La démocratie libérale existe-t-elle seulement, quelque part?

En tout cas pas en France. Le régime présidentialiste français n'a rien d'une démocratie libérale et tout d'une autocratie inefficace, d'une démocratie confisquée, où les pouvoirs exécutif et judiciaire ne sont pas séparés puisque le président nomme les juges, où la servilité est de mise puisque le président distribue places, prébendes et sinécures, où le président, tout en étant son garant, ne respecte pas la Constitution puisqu'il se réserve, sans mandat constitutionnel, la politique étrangère, depuis de Gaulle.

Ce régime présidentialiste est inefficace. Il l'est notamment en raison de ses deux exécutifs, le Premier ministre étant soit le domestique du président, soit son adversaire acharné. De plus, il n'y a pas de contrepoids au président pendant la durée de son mandat, puisque le président peut dissoudre l'Assemblée nationale (qui n'a pas en pratique l'initiative des lois) et que celle-ci ne peut pratiquement pas le démettre. Cela explique pourquoi le seul contrepoids se trouve en France dans la rue et les défilés...

Pour Revel, la démocratie libérale en action existe... aux Etats-Unis, où elle est:

Attentive à l'équilibre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, respectueuse de l'information fournie aux citoyens, dynamique au plan culturel et économique, disposée à améliorer le sort des minorités (noire, indienne ou féministe).

La Constitution y est le ciment de la communauté nationale:

La grande leçon de la Constitution américaine est la production de consensus par le système américain, c'est-à-dire non pas le fait que tout le monde soit d'accord, mais le fait que tout le monde soit d'accord sur la manière de ne pas être d'accord, ce qui permet à la majorité de ne pas écraser la minorité et à celle-ci d'accepter sa défaite.

Toutes les conditions sont réunies pour qu'une révolution libérale y ait lieu et se répande dans le monde... Et Revel se réjouira que, avec des différences de dosage, les partis communistes européens, à la fin du XXe siècle, deviennent sociaux-démocrates et les partis socialistes européens deviennent libéraux (sans le dire), à l'exception notoire du Parti socialiste français...

Philippe Boulanger résume très bien dans sa conclusion l'évolution de Revel:

La "maturation libérale" de Revel s'effectue probablement entre la publication de  Ni Marx ni Jésus et celle de  La tentation totalitaire, c'est-à-dire entre 1970 et 1976. Son libéralisme intégral assumé éclot dans les années suivantes et explique en partie son adhésion reaganienne. Entre 1976 et 1980, il devient "pleinement" libéral. Le voyage américain de 1970, l'Union de la gauche, la marxisation des socialistes français au cours des décennies soixante et soixante-dix ont sans aucun doute joué un rôle prépondérant dans cette évolution intellectuelle. Lui qui était convaincu que la vraie gauche ne pouvait être que libérale et antiautoritaire en a été évincé autant qu'il s'en est éloigné pour mieux la critiquer, souvent durement.

Philippe Boulanger, qui qualifie Revel de publiciste du XIXe siècle, se demande in fine s'il n'est pas le dernier grand libéral français du XXe siècle... Je ne sais.

Je sais que Revel n'était pas un libéral dogmatique, mais un libéral d'expérience, qu'il était attaché aux faits et non pas aux théories, et qu'il a bâti un solide argumentaire libéral. Ce dont il faut lui savoir gré.

Je ne sais pas, cependant, si c'est être libéral que de militer pour une Europe politique supranationale et pour un gouvernement mondial, si c'est être libéral que de ne pas être hostile à une redistribution maîtrisée...

Francis Richard

Jean-François Revel - La démocratie libérale à l'épreuve du XXe siècle, de Philippe Boulanger, 444 pages, Les Belles Lettres


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