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Céleste Albaret : Monsieur Proust

Publié le 05 juillet 2014 par Lebouquineur @LBouquineur

Céleste AlbaretCéleste Albaret, née sous le nom Augustine Célestine Gineste le 17 mai 1891 à Auxillac (Lozère) et décédée le 25 avril 1984 à Montfort-L’amaury, était la servante dévouée de Marcel Proust. Le 28 mars 1913, Céleste Gineste épouse Odilon Albaret, chauffeur de taxi dont Marcel Proust est un client régulier. En 1914, par l'entremise de son mari, elle devient la toute jeune servante de l'écrivain et le restera jusqu’au décès de celui-ci en 1922.

Sur les conseils du célèbre collectionneur et bibliophile Jacques Guérin, elle livre ses souvenirs, recueillis et mis en forme par le journaliste Georges Belmont, dans l'ouvrage Monsieur Proust paru en 1973. À la même époque, elle vend à Jacques Guérin plusieurs ouvrages que Marcel Proust lui avait offerts et qui figurent aujourd'hui parmi les trésors les plus recherchés des bibliophiles français. En hommage à une personnalité qui a participé intimement à l'histoire de la littérature et qui a grandement contribué à la préservation de ses textes, Céleste Albaret est faite commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres. Dans sa Recherche du temps perdu, Marcel Proust a immortalisé sa gouvernante sous le nom de Françoise et dans Sodome et Gomorrhe, un personnage porte le nom de Céleste Albaret.

Au crépuscule de sa vie, Céleste Albaret 82 ans, plus qu’agacée par ce qui a été écrit ou dit sur Marcel Proust depuis son décès, décide de frapper du poing sur la table afin de rétablir la vérité. Sa vérité. Et il faut admettre qu’elle était certainement la mieux placée pour évoquer le grand écrivain, puisqu’elle avait vécu avec lui de 1913 à 1922 date de sa mort. Le contenu de l’ouvrage est franchement fascinant à tout point de vue !

Il l’est tout d’abord par la puissance mémorielle de la dame. Sans avoir tenu de journal (elle insiste plusieurs fois sur ce point), cinquante ans après les faits, elle se souvient dans les moindres détails, de ce qui s’est passé tel jour, de qui s’est présenté à l’appartement de Proust, ou plus fort encore, de quelles personnes Marcel Proust a rencontré lors de dîners ou de réceptions où elle n’était pas, mais que l’écrivain lui a raconté car il adorait papoter avec elle. Si le bouquin était sorti aujourd’hui, mon premier réflexe aurait été de douter…

Servante, coursière, secrétaire, confidente, Céleste Albret partagea la vie de Proust dans l’appartement du boulevard Haussmann puis de la rue Hamelin à Paris. On connaît désormais la vie de reclus de l’écrivain, vivant la nuit et dormant (si peu) le jour « Longtemps je me suis couché de bonne heure » c’est-à-dire à 8h du matin, son asthme, ses manies voire sa maniaquerie, son œuvre rédigée du fond de son lit, un type qui ne mange qu’un café crème et un croissant par jour, on s’étonnera qu’il ne puisse pas sortir de son lit car trop fatigué !

Tout est parfaitement décrit ici et l’on en retire un portrait psychologique saisissant d’un homme qui semble avoir consacré son existence à un seul but, écrire son œuvre. « Il avait une haute idée de sa supériorité, tout en se gardant de le laisser voir » mais il savait être d’une extrême bonté et largesse avec les gens. Même ses caprices ( ?) quand il désire quelque chose immédiatement sont acceptés car demandés de telle manière que Céleste ne refuse jamais. Fabuleusement observateur, doté d’une mémoire infaillible, très calculateur aussi, toutes ses actions, ses sorties dans le monde, ne servent qu’à alimenter son imaginaire et ses livres. Quant à son homosexualité présumée, Céleste en doute, moi j’y vois plus certainement un homme asexué.

J’ai parlé de bouquin fascinant car outre la personnalité de Marcel Proust, assez ahurissante à elle seule, on peut aussi s’interroger sur celle de Céleste Albaret. Une jeune femme arrivée de sa province qui tombera immédiatement sous le charme (dans le sens de surnaturel ?) de cet homme qui mène une vie complètement inconcevable, vivant la nuit dormant le jour, il ne supporte aucun bruit, aucune odeur, tout doit être à sa disposition dès qu’il réclame, tout cela étant le boulot de Céleste qui elle-même devra adopter ce rythme de vie et ces horaires décalés. Non seulement elle ne se plaint pas, mais elle adore cela, leurs rapports variant de mère/enfant « Oui, mais vous êtes beaucoup mieux à remplacer Maman auprès de moi » sauf qu’elle est beaucoup plus jeune que lui,  à gourou/disciple dans un dévouement qui confère à l’aveuglement consenti. Elle seule sait de quoi et quand Marcel a besoin, c’est pourquoi elle sera sa « préférence » aurait chanté Julien Clerc. Leur couple symbiotique laisse sans voix. Parce que c’était elle, parce que c’était lui…

Livre passionnant pour les admirateurs de l’écrivain, fascinant pour tous les autres. Et si l’on s’étonne de tant de précisions ou de contradictions minimes (il n’utilise pas la cheminée à cause de son asthme mais un jour il réclame « Chère Céleste, auriez-vous la bonté de mettre encore une bûche… » p. 323), nous sommes en présence d’un ouvrage de référence avec des informations de première main, même si l’objectivité doit être mesurée à l’aune de l’admiration de Céleste pour Monsieur Proust. 

    

« Car la vérité, c’est cela : il ne s’est pas amusé à peindre un jeu des portraits ; il y avait un monde qu’il avait connu, toute une société et un mode de vie qui s’effritaient et tombaient peu à peu par pans entiers dans un autre monde qui se refaisait. Il l’avait vu ; je suis sûre qu’il en avait eu la perspective dès le début. Il avait vu la chute de ce monde, bien avant de la connaître. C’est cela qu’il a voulu écrire, un moraliste, avec tous les ressorts humains, toutes les beautés, mais aussi tous les ridicules. Il était terrible dans ses jugements. Oui, il a prédit la chute – voilà ce qu’il faut lire dans son œuvre. Si l’on ne sait pas y lire cela, c’est qu’on n’y a rien compris. »  

Céleste Albaret
Céleste Albaret   Monsieur Proust   Souvenirs recueillis par Georges Belmont  Robert Laffont – 450 pages –

Avec cahier de photos et index des noms cités


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