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Quand 20 Minutes se vautre dans la culture du viol

Publié le 15 juillet 2014 par Juval @valerieCG

Le fait contre lequel il est le plus difficile de lutter est ce qu'on appelle le "bon sens", le bon gros bon sens qui tâche qui fait tant de dégât et qui a la force d'inertie d'un socialiste devant le MEDEF.
"Oui tu m'as montré statistiques à l'appui que la plupart des viols sont commis dans un appartement par un proche, mais tout de même ON SAIT BIEN que se promener en mini jupe tard le soir est imprudent".
On sait bien que.
Il y a des évidences, fausses, qui concourent au sexisme, à la culture du viol mais qu'il ne fait pas bon remettre en question sans doute parce qu'elles sont trop douloureuses, remettent en question un ordre établi où seules les vilaines filles court-vêtues qui sortent le soir risquent d'être violées et pas n'importe quelle femme, à n'importe quel moment.
C'est ainsi donc que 20 minutes nous sort un marronnier sur le viol.

Qui 20 minutes a t il trouvé pour parler du sujet ? Une association de lutte contre le viol ? Non un profiler médiatique qui s'était déjà commis dans des sujets de qualité et loin du racolage habituel tel que La carte des plus célèbres serial killers parisiens.

La thèse de 20 minutes est donc de nous dire
- qu'il y a davantage de viols en été
- que cette augmentation du nombre de viols est due aux tenues légères des victimes et à l'alcool qu'elles ont ingéré

Constatons déjà que les chiffres de 20 minutes(le fameux 2635 faits en juillet 2013) ne concernent pas les viols de manière générale mais les plaintes pour viol déposées par des personnes majeures. Ne sont pas prises en compte les plaintes déposées par des personnes mineures.
D'après différentes études, on sait qu'environ 10 % des victimes portent plaintes (âges et genre confondus) . Il est donc tout à fait faux de mélanger "plaintes pour viol" et "nombre de viols". Rappelons également que des hommes sont également violés chaque année ce que semble oublier 20 minutes ; mais on corrèle moins la tenue masculine et le viol ( on a plus tendance à culpabiliser les victimes masculines via d'autres critères que la tenue) ceci expliquant sans doute le silence de 20 minutes sur le sujet.

Corrigeons donc déjà l'hypothèse pour 20 minutes et partons sur la piste suivante : il y a davantage de plaintes pour viol en été ce qui pourrait nous laisser entendre qu'on viole davantage en été. Soulignons toutefois que cela n'est pas parce que le nombre de plaintes augmente que le nombre de viols a forcément augmenté ; si par exemple une campagne de lutte contre le viol a été efficace on peut voir le nombre de plaintes augmenter - parce que les victimes se sont senties davantage en confiance pour porter plainte par exemple - cela ne voudra absolument pas dire que le nombre de viols a augmenté.

Voici les chiffres que j'ai collectés sur cartocrime concernant les plaintes pour viol sur tout le territoire français déposées par des personnes majeures) :
- janvier 2013 : 2352
- février 2013 : 2291
- mars 2013 : 2419
- avril 2013 : 2404
- mai 2013 : 2391
- juin 2013 : 2552
- juillet 2013 : 2635
- août 2013 : 2215
- septembre 2013 : 2272
- octobre 2013 : 2643
- novembre 2013 : 2416
- décembre : 2417

J'ai également pris les chiffres pour le Var estimant que c'était une destination traditionnelle de vacances.
- janvier 2013 : 22
- février 2013 : 27
- mars 2013 : 32
- avril 2013 : 28
- mai 2013 : 19
- juin 2013 : 34
- juillet 2013 : 33
- août 2013 : 34
- septembre 2013 : 42
- octobre 2013 : 39
- novembre 2013 : 34
- décembre : 26

Au niveau national, constatons déjà que le mois où le plus de plaintes pour viol ont été déposées est le mois d'octobre 2013. Le mois d'août est le mois où le moins de plaintes ont été déposées. Avec ces deux chiffres on pourrait arriver à la thèse opposée à celle de 20 minutes et conclure un magnifique "les femmes ont l'habitude de porter davantage d'imperméables et des parapluies en octobre et cela explique sans doute qu'on viole beaucoup plus en octobre". Enfin on pourrait peut-être aussi arguer que c'est l'été indien et que la thèse de 20 minutes reste juste.
Au niveau départemental, en prenant le très touristique département du Var on constate une hausse en septembre et octobre mais absolument pas l'explosion du nombre de plaintes en juillet, août qu'on attendait.
Donc les chiffres de 20 minutes sont faux et il n'y absolument pas plus de plaintes pour viol en été.
Nous pouvons donc en conclure déjà que le journaliste de 20 minutes n'a pas pris la peine de vérifier les chiffres sur un an, pas plus que son rédacteur en chef et que ce papier - que je peinerais à appeler un article - est surtout là pour racoler et faire de la page vue à peu de frais.

Seconde hypothèse de 20 minutes ; on est davantage violée quand on est en tenue légère et/ou alcoolisée.

Nous sommes dans une société - cela n'est pas la seule - qui assimile le viol au fait de trouver une femme séduisante. Une femme en mini jupe est séduisante et sexy, elle plait aux hommes hétéros DONC il n'est pas anormal de penser que certains en viennent au viol.
Le viol est ainsi assimilé à un acte d'excitation sexuelle face à des jambes ou des seins.
Des études ont été faites aux Etats-Unis sur ce dont se souvenaient les violeurs de leur victime ; dans la majeure partie des cas, ils n'avaient aucun souvenir de ce qu'elle portait. Ils avaient une parfaite conscience de ce qu'ils avaient interprété comme quelque chose d'excitant ; en clair n'importe quel acte, attitude, geste, sourire, non sourire, pouvait être perçue comme excitante mais jamais la tenue de leur victime n'avait influencé leur acte.
Il est aisé de mélanger excitation sexuelle et viol parce qu'on parle d'un crime sexuel. Parler d'un crime qui passe par les organes génitaux permettait - peut-être è d'évacuer dans la tête du tout venant que l'excitation sexuelle a quelque chose à voir dans l'histoire.
Le viol ne provient pas d'une excitation sexuelle sauf à moins d'être excité par un corps amorphe, endormi, ivre mort, tétanisé, hurlant, tremblant ce qui existe évidemment mais ne constitue absolument pas l'immense majorité des violeurs qui ne sont pas des sadiques - au sens clinique du terme. Le viol est avant tout une prise de pouvoir sur quelqu'un. Si le viol avait quelque chose à voir avec une excitation physique devant une femme jugée sexy, alors il serait profondément pulsionnel (des hordes d'hommes sauteraient sans contrôle sur des femmes dans la rue), alors il aurait beaucoup lieu dans des lieux où les femmes sont souvent peu vêtues (ex la boite de nuit) et cela n'est pas le cas) et le violeur s'arrêterait immédiatement devant les réactions des victimes ; en général on est assez peu excité devant quelqu'un qui est terrorisé sauf si justement ce qu'on recherche est l'humiliation et la domination de la victime.

Il n'y a pas de corrélation entre le physique d'une victime et son viol ; on viole des gens qui sont loin des canons de beauté. On viole des gens âgés, des enfants, des bébés, des gens considérés comme laids dans nos sociétés, des femmes en jupe ou en jogging, en baskets ou en escarpin, des femmes en débardeur ou en burqa.

Rappelons également que le viol est davantage commis au domicile du violeur ou de la victime par une connaissance ; le viol d'Argelès auquel se réfère l'article de 20 minutes ou celui de Perpignan sont des viols rares, contrairement à ce qui nous est enseigné.
Donc le fait de sortir tard, comme le dit Bourgoin, n'a strictement rien à voir avec le fait de risquer d'être violée ou non par un inconnu dans la rue. Nous sommes nourris avec l'image du violeur armé d'un couteau qui sort d'une ruelle sombre qui est une image fausse et infondée.
j'en profite pour souligner cette interview de Bourgoin commise il y a un an.
Je cite " Nous savons tout de même que les crimes sexuels sont en augmentation durant l’été. Les causes sont connues. La chaleur accentue le désir. D’autant que les gens sont moins vêtus et surtout moins vigilants. Tout est accentué durant les vacances. On consomme plus d’alcool. On va plus en boîte de nuit. En somme: les conduites à risque sont multipliées. Et les prédateurs sont nombreux."
Nous savons déjà que les crimes sexuels ne sont pas en augmentation. On peut se demander par quel effet biologique la chaleur accentuerait le désir ; on est encore là dans une idée reçue de l'ordre du bon sens populaire mais fondée sur strictement rien de concret. Enfin nous apprenons que la boite de nuit est un lieu "à risque". Comme je l'ai déjà dit et répété ce sont les domiciles privés qui sont des lieux à risque.
Maintenant est-ce qu'on risque davantage si l'on a bu/consommé des drogues.
Aux Etats-Unis les statistiques montrent qu'en effet le risque augmente. Il n'est sans doute pas illogique de penser la même chose pour la France.
Il importe de prévenir TOUT LE MONDE que la prise d'alcool vous met en état de vulnérabilité (et pas seulement en ce qui concerne le viol souvenons nous des nombreux jeunes hommes morts noyés dans la Deule). C'est nécessaire de le dire en rajoutant toujours une chose ; quel que soit votre état d'ébriété, vous ne serez pas responsable si vous êtes violé-e/agressé-e. Vous n'aurez rien "cherché" du tout, vous ne serez responsable de rien. Il y a toujours un seul coupable dans un viol, et pas à 90%, 99% ou 99.9999% mais à 100% : le violeur.

Il ne me parait pas gênant de prévenir les gens de manière générale, que l'alcool accentue la vulnérabilité sauf que cela n'est évidemment pas ce qui nous est dit.
Si l'alcool augmente le risque d'être violé-e il augmente le risque de violer également.
Or si on ne cesse de répéter aux femmes qu'elles ne doivent pas boire car "'elles se mettent en danger", on n'entend que très peu le conseil inverse à savoir qu'un homme ivre peut devenir un violeur et qu'il conviendrait donc que les hommes ne boivent pas. Encore une fois le viol devient le seul crime où la responsabilité de la victime - homme comme femme d'ailleurs - est engagée et celle du coupable ne l'est que très rarement.

Cet article alimente la culture du viol à plusieurs titres :
- il fait mentir les chiffres pour assoir l'idée qu'on viole davantage des femmes légèrement vêtues
- il associe tenue et viol alors qu'il a été maintes et maintes fois prouvé que les deux faits ne sont pas liés
- il fait porter la responsabilité aux victimes. Il ne s'agit pas de ne rien dire aux femmes mais il s'agit de leur dire la vérité. Si l'on veut vraiment parler de viol, alors qu'il faudra leur dire que le risque vient plutôt des connaissances que de l'inconnu croisé dans la rue tard le soir. Si l'on veut parler de risques alors qu'on dise la même chose aux hommes ; qu'on leur apprenne qu'ils risquent aussi d'être blessés ou agressés sexuellement dans l'espace public.
A chaque crime où la victime est une femme (viol dans l'espace public ou meurtre de joggeuse), nous avons droit dans tous les journaux, nos cercles de connaissance, notre famille, à la litanie de conseils stériles, inefficaces, visant avant tout à restreindre notre liberté et pire on nous rappelle qu'il était tout de même bien imprudent de sortir dehors, d'aller en boite de nuit ou de courir. Il y a eu 4 ou 5 meurtres de femmes qui faisaient leur jogging sur les 3 dernières années ; je vous laisse comparer avec le meurtre de femmes par leur conjoint. Il y a beaucoup moins de viol dans l'espace public par un inconnu que par une connaissance ; pourtant l'on ne cessera de rappeler aux femmes le danger à sortir, à jogger. Nous attendons toujours - si l'on veut vraiment lutter contre le viol ou la violence conjugale - les faits et pas de vagues idées reçue infondées.
Ce genre d'article en plus d'être mensonger colporte des idées fausses autour du viol et, en cela, participe à la culture du viol.


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