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Watter – This World

Publié le 18 juillet 2014 par Hartzine

La musique dépouillée de chant est un refuge, une turne instrumentale laissant libre court, pour qui daigne y pénétrer, à l’imagination la plus débridée. L’expérience de l’ailleurs sans sortir de chez soi, sans même quitter sa chambre, voir son plumard. Finalement, le post-rock, s’il a une réalité dans la boîte à pandore de l’étiquetage utilitaire, s’est avant tout attelé à la fin des années quatre-vingt à expurger toute vocalise des coins et recoins de paysages sonores parsemés de poussières de rêves. Drag City, Tortoise, Gastr del Sol, John McEntire et Jim O’Rourke n’ont jamais eu qu’une finalité : faire de L’Illinois et Chicago leur centre du monde, avec, coincée au milieu d’une forêt de buildings, d’entrepôts industriels et l’immense lac Michigan, une myriade d’images mentales d’un globe parcouru les yeux mi-clos, les mains caressant un manche de guitare ou d’éparses claviers. Du moins, cette finalité, c’est celle qu’on leur a toujours prêté. A cette époque, en 1984, à quelques centaines de miles de là, à Louisville dans le Kentucky, Britt Walford, quatorze piges au compteur, n’en a rien à foutre de cet échappatoire eidétique : il frappe les fûts au sein du groupe hardcore Squirrel Bait en bonne compagnie de David Grubbs et Brian McMahan. Un EP et LP plus tard, chacun édité via Homestead Records – le premier label de Sonic Youth – , la formation splitte en un éclair et se constelle de jolie manière : Grubbs embrasse une foultitude de projets dont Bitch Magnet, Bastro, Gastr del Sol ou The Red Krayola quand Walford et McMahan jettent les bases de Slint, bientôt rejoints de David Pajo. Il ne manquait que le jeune producteur Steve Albini pour que la légende se dessine en un seul album et plusieurs esquisses : leur Spiderland paru en 1991 sur Touch and Go Records est inimitable et indépassable, le quatuor désormais rejoint par Todd Brashear à la basse a tout juste vingt ans de moyenne d’âge et l’avenir gisant à ses pieds. La luxueuse et récente réédition de ce coup de maître, serti du DVD Slint Documentary Breadcrumb Trail narrant cette aventure (lire), en dit long sur le sujet d’autant que celle-ci s’avère suffisamment fugace pour relever du mythe : l’année de la sortie de Spiderland est aussi celle de leur séparation. L’histoire retiendra le destin de David Pajo, guitariste du groupe, qui entreprendra les intimes projets Aerial M puis Papa M, en sus d’une intermittence au sein de Tortoise, et celui de Brian McMahan qui, après une collaboration avec Will Oldham pour son projet Palace Brothers, fonda l’insondable The For Carnation. Et Britt Walford alors ? Rien ou presque : quelques apparitions aux cotés de McMahan, une pige pour les Breeders et c’est à peu près tout. Faut dire que le mec, a contrario de tout ses potes, n’a jamais déménagé de Louisville.

Watter

Précisément là, dans La ville du bourbon, où le désormais quadragénaire a fait la rencontre de Zak Riles, multi-instrumentaliste et membre actif de la formation orégonaise Grails. Ensemble, ils forgent Watter, à mi-chemin de leur attachement commun pour cette musique des grands espaces, indissociable du patrimoine génétique américain, et celle trouvant ses racines dans l’Allemagne de la kosmiche, non loin des influents Cluster, Tangerine Dream ou Can. Britt dépoussière ainsi sa batterie, Zak s’occupant du reste avec Tyler Trotter à la production. Comme s’il fallait marquer le coup après vingt années de mutisme discographique pour Walford, sur This World, le premier LP de Watter paru le 27 mai dernier via Temporary Residence Ltd, défilent des invités de marque : Rachel Grimes de Rachel, Todd Cook de The For Carnationet The Shipping News, et enfin, Tony Levin des mythiques King Crimson. Un cercle amical recomposé donc, managé par Todd Brashear – batteur de Slint, lui aussi perdu de vue – mais aussi et surtout porté par une identité ne faisant pas que déterrer des fantômes du passé. Car si à la première écoute, on croit avoir à faire au second LP d’Immense - éphémère signature Fat Cat Records emmenée par Dave Collingwood, qui, à l’orée dès années 2000, a accouché d’un impeccable Evil Ones & Zeroes - on sent poindre dès la seconde cette langue du voyage introspectif qui a fait le sel du post-rock – les arrangements sont boisés, les entre-lacs sont sinueux et déroutants, les montées en pression subtiles et récurrentes – mais avec ce quelque chose en plus : l’incorporation quasi-consubstancielle d’une électronique présente sans être omnisciente, en témoigne l’introductive Rustic Frog. S’ensuit deux diptyques : les balades electro-acoustiques Lord I Want More et Bloody Monday, chacune peu à peu balayée de nuages réverbérés, les longues et plombantes Small Business et Seawater alliant un carénage basse / batterie puissant à la menace d’une guitare versant avec progressivité dans la distorsion. S’il s’était clôturé en si bon chemin, This World aurait pu s’avérer aussi commun que des milliers d’autres disques s’escrimant dans cette impétueuse veine. Mais les gens exceptionnels n’en ont que faire des si et sont surtout capables de véritable chef d’oeuvre, se posant là, en toute fin d’album : le morceau-titre This World est une ode à l’espace-temps, enterrant à lui seul toute la mélancolie du monde dans un dialogue aérien entre une guitare fluette et un piano cristallin. Conférant tout son sens aux cinq premières lignes du tracklisting, à ses vingts années d’absence, à l’absence, à la perte, à l’attente, à tout ce que chacun pourra y mettre, à tout ces pays imaginaires que l’on ne visitera jamais mais qui pourtant apparaissent si distinctement, mais aussi à l’écoute répétitive et presque exclusive dudit morceau : un tel uppercut cousu d’une telle dentelle justifie n’importe quelle traversée du désert, aussi longue soit-elle.

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