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"C'est la même chose dans toutes les conspirations, il y a toujours un individu qui tire les ficelles et d'autres qui suivent le mouvement..."

Publié le 20 juillet 2014 par Christophe
La conjuration des Pazzi. Je dois avouer que, si j'avais déjà entendue cette expression, j'aurais bien été en peine d'expliquer sa signification, de la situer dans le temps et dans l'espace... C'est pourtant cet événement qui est au coeur de notre roman du jour, et l'on se rend compte qu'il est sans doute bien plus important que ce qu'on pourrait imaginer de prime abord, que si cette conjuration était parvenue à ses fins, elle aurait probablement changer la face du monde... A moins qu'elle ne l'ait fait, malgré tout, sans qu'on s'en rende compte... Oui, je parle par propos sibyllins, pour ne pas trop en dire, mais je dois reconnaître que "le complot Médicis", de Susana Fortes (sorti en grand format aux éditions Héloïse d'Ormesson), m'a surpris tant dans la forme que dans le fond, et c'est tout cela que je vais essayer de partager maintenant avec vous, chers visiteurs, fidèles ou de passage.

Ana Sotomayor est étudiante en histoire de l'art et elle a choisi de quitter, provisoirement, l'Espagne pour venir travailler à Florence. En effet, elle a choisi comme sujet de thèse un peintre florentin du Quattrocento, Pierpaolo Masoni, surnommé il Lupetto, qui travaillait dans le même atelier que le jeune Léonard de Vinci, chez le Maestro Verrocchio. Il ne reste que peu d'oeuvres de ce peintre et on en sait bien peu sur son existence.
Mais on sait qu'il est devenu aveugle en 1478, interrompant son travail sur plusieurs oeuvres importantes, toutes des commandes d'un des hommes les plus puissants d'Italie et sans doute d'Europe : Laurent de Médicis, dit le Magnifique. Parmi ces oeuvres inachevées, une d'entre elle est particulièrement célèbre et mystérieuse quant à son sens : la Madonna di Nievole.

A Florence, bénéficiant d'un bourse de la fondation Rucellai, elle peut se consacrer à plein temps à ses recherches. Et, depuis qu'elle s'est plongée dans la documentation d'époque, ce n'est pas seulement sa curiosité d'étudiante et d'esthète qui est titillée, mais des questions d'un tout autre genre se bouscule dans sa tête.
A la lecture de 9 cahiers dans lesquels Pierpaolo Masoni a consigné certains éléments de sa vie et de son travail et qui prenait la poussière dans les caves des Archives de la ville de Florence, elle a découvert une véritable intrigue historique. Des éléments qui pourraient permettre de voir un événement historique fondamental de la Renaissance italienne : la fameuse conjuration des Pazzi.
Je ne vais pas ici vous raconter en détails cet événements, vous pourrez chercher par vous-même ou lire le roman de Susana Fortes, mais il s'agit d'un complot fomenté par la puissante famille Pazzi et ses alliés, certainement avec l'appui du Vatican qui voyait d'un mauvais oeil le pouvoir croissant des Médicis, pour éradiquer cette famille, ni plus, ni moins.
L'attaque se déroule en pleine messe de Pâques, en pleine cathédrale, au vu et au su de tous, déclenchant une panique terrible et un bilan humain sans doute bien au-delà de la famille Médicis, visée en priorité. Un massacre qui en entraînera d'autres, on a beau être en pleine Renaissance, le raffinement et la soif de culture n'efface pas complètement la cruauté si profondément ancrée en l'être humain.
Ce que comprend Ana à la lecture des cahiers du peintre Masoni, c'est que l'Histoire n'aurait pas retenu le nom de tous les instigateurs de ce complot. Il en manquerait un, et pas n'importe lequel : le principal... Resté cinq siècles dans l'ombre, le voilà qui pourrait enfin être démasqué. Mais de qui s'agit-il ?
Voilà ce que recherche Ana mais il lui manque 3 cahiers pour avoir une vue globale de la situation. Pourtant, petit à petit, l'idée lui vient que les réponses pourraient se trouver dans cet étrange tableau qu'est la Madonna di Nievole, un portrait de la Vierge à l'Enfant qui n'a rien à voir avec les scènes du même genre peintes par ses confrères de la Renaissance. Et si ce tableau recelait des indices, des codes, des symboles qui pourraient permettre de trouver les clés d'une énigme remontant des siècles en arrière...
Parallèlement à l'histoire d'Ana, on suit le parcours du jeune Luca Di Credi, arrivé à Florence au début de l'année 1478 pour y travailler au sein de l'atelier de Maître Verrocchio. Il va y faire la connaissance de Pierpaolo Masoni qui va le prendre sous son aile et lui faire découvrir Florence. La ville magnifique que l'on connaît, mais aussi ses bas-fonds.
Il va aussi lui expliquer et lui montrer les personnages importants de cette ville libre, farouchement indépendante, ce qui ne l'exempte pas de devoir faire avec des rivalités, des ambitions, des jalousies et des trahisons. Le lecteur plonge aux côtés de Luca dans cette ville, ce siècle, ses côtés resplendissants et ses endroits plus mal famés.
On rencontre également tous les acteurs du drame qui se met en place. Dont un en particulier retient l'attention. Evidemment, je ne vous dirais pas de qui il s'agit, même si, précisons-le avant d'y revenir en détail, "le complot Médicis" n'est pas un thriller, même s'il joue avec ces codes. Le récit historique parallèle va nous conduire lentement mais sûrement au massacre du dimanche de Pâques 1478 et sur ses conséquences...
Reste un aspect que je n'ai pas encore abordé dans ce roman. Il nous faut, pour cela, revenir au récit contemporain et aux recherches d'Ana. Avec l'aide de son mentor, le professeur Giulio Rossi et un restaurateur de tableau, Francesco Ferrer, la jeune femme poursuit son travail de fourmi et commence à réaliser l'ampleur de ses découvertes.
Intervient alors une certaine tension, entretenue par l'arrivée d'un homme étrange, qui dit travailler pour le Vatican. Bien que voilées, ses propos pourraient bien ressembler à des menaces. Comme si la thèse d'Ana pouvait faire trembler sur ses bases une Eglise fragilisée par la santé défaillante de Jean-Paul II, puisque l'action se déroule en 2005.
Cette rencontre fort désagréable entraîne une espèce de paranoïa que certains événements viennent renforcer... Mais que se passe-t-il ? Qu'est-ce que révèlent ces carnets oubliés pour réveiller un possible danger ? L'étudiante passionnée est alors entraîné dans une histoire qui semble la dépasser. Plongée dans son enquête, son esprit s'emballe...
A ce point du billet, on pourrait croire que Susana Fortes s'inscrit dans la lignée d'un Dan Brown ou du duo Ravenne / Giacometti. Qu'elle signe avec "le complot Médicis" un thriller ésotérique, genre très en vogue depuis une quinzaine d'année maintenant. Mais pas du tout. Pour moi, Susana Fortes s'amuse à entretenir cette ambiguïté.
En revanche, et j'ai cité Jacques Ravenne et Eric Giacometti à dessein, il y a en filigrane une idée qui ne déplairait pas à ces deux-là, car elle pourrait parfaitement rejoindre certaines intrigues démêlées par leur flic, Antoine Marcas. L'hypothèse est hardie, mais je l'ai trouvée passionnante :  d'une certaine manière, le thriller ésotérique serait né de la conjuration des Pazzi.
Bon, je prends quelques raccourcis, évidemment, mais croyez-moi, ce que Susana Fortes met en évidence dans le roman est une idée très intéressante qui rapproche deux époques séparées par cinq siècles de façon surprenante. Comme quoi, dès qu'il est question de pouvoir, peu importe la période, les mêmes maux produisent souvent les mêmes effets.
Quand je dis que Susana Fortes joue avec les codes du thriller ésotériques, c'est jusqu'au bout, jusqu'au dénouement du "complot Médicis". On est, à mes yeux, dans un roman de littérature générale avant tout, même le récit historique est présent, incontournable. Elle donne d'ailleurs une courte liste de romans qui l'ont inspiré et l'on retrouve en tête "le Nom de la Rose". Personnellement, c'est plus "le tableau du peintre flamand", d'Arturo Perez-Reverte qui m'était venu à l'esprit.
Alors, à ceux qui redouteraient le côté trop "danbrownien" du sujet, si vous me permettez ce néologisme pas très joli, ne soyez pas inquiets ; à ceux qui préféreraient que ce soit un roman à la Dan Brown, je reconnais que Susana Fortes a dégoté là un formidable sujet qui aurait pu donner lieu à une enquête de Robert Langdon, sans aucun problème.
Un sujet qu'elle n'a pas inventé de toutes pièces. En effet, ce qu'elle raconte repose sur de véritables découvertes révélées en 2004, l'année précédant celle à laquelle se passe la partie contemporaine du roman. Un article lu dans un grand quotidien espagnol, une information qui se grave dans un coin du cerveau, l'imagination d'un écrivain qui se met en route et quelques mois, quelques années plus tard, un livre naît.
Mais je m'en voudrais dans ce billet d'oublier un élément majeur, central : l'art. Sous toutes ses formes, à la fois création, expression d'un talent, objet présentant le beau, source de fascination, artefact patrimonial, richesse parfois incommensurable, mais aussi marchandise, source de convoitise, attribut de pouvoir...
Tous ses aspects sont présents et d'autres encore. La Renaissance a été un mouvement politique, c'est vrai, mais également un incroyable bouillonnement artistique. Laurent le Magnifique, sans être un personnage parfaitement recommandable, à la réputation sans tache, était un vrai amateur d'art et un immense mécène qui a permis à bien des artistes de vivre.
Situer sous son règne ce genre d'histoire, reposant sur la vie d'un peintre mais aussi en grande partie sur un de ses tableaux, est l'assurance d'entremêler l'art et la politique, le génie et la stratégie. Pas étonnant qu'un Machiavel ait grandi, se soit épanoui et ait écrit dans un tel contexte, finalement. Il y a là de quoi inspirer le plus attentif des observateurs de la vie politique.
Pour revenir à Dan Brown, il n'a rien inventé en glissant un code ou des messages cryptés dans des tableaux. C'est une réalité qui prend de nombreuses formes : telle personnalité connue s'incarnant dans un personnage particulier, mis dans une situation bien précise, le décor, les détails, les symboles, tout, quasiment, dans les tableaux Renaissance peut être interpréter.
Ici, le tableau qui fascine tant Ana est tellement atypique, dans sa forme, dans sa mise en scène, dans les détails surprenants dont il regorges, qu'il devient un champ d'exploration parfait. Mais, comment décrypter ce que tout cela peut vouloir dire ? C'est là le travail de ces universitaires, scientifiques et historiens, et je dois dire qu'au-delà de la dimension romanesque, déjà fascinante, je suis toujours impressionné par le travail qu'on peut effectuer sur les oeuvres pour les lire, même si parfois, on arrive à des conclusions pas toujours très convaincantes.
Oui, l'art est au coeur du roman de Susana Fortes et je ne suis pas surpris du tout qu'elle ait choisi de l'intituler "Quattrocento" (titre du roman en version originale), ce XVe siècle italien étant le parfait reflet de ce que je viens de raconter, la fin du Moyen-Âge, l'entrée dans une nouvelle ère, où la politique et la culture vont se transfigurer de concert.
Qu'ils soient artiste ou politiques, les personnalités qui vont émerger sont de véritables personnages de romans, ambigus, déroutants, pas entièrement noirs malgré leurs zones d'ombre, mais sûrement pas des anges non plus. A l'image de Laurent le Magnifique et de cet autre personnage, commanditaire de la conjuration, dont j'ai choisi de peu parler ici, et que vous découvrirez au fil des pages du roman, et qu'immortalisa dans un fameux portrait l'illustre Pietro Della Francesca.
Tous n'ont pas seulement chamboulé profondément leur époque, mais toutes celles qui vont suivre...

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