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Edito : Les dérives du traitement de l’émotion populaire par la Loi

Publié le 25 juillet 2014 par Infoguerre

propagande-web​Le non lieu prononcé fin mai 2014 dans l’affaire du naufrage du Bugaled Breizh, exacerbe les tensions.  Après dix années de procédure, les circonstances de la disparition des cinq membres d’équipage du chalutier breton restent une énigme. Mais ce qui provoque l’étonnement, c’est le combat  porté par  l’association « SOS Bugaled Breizh » créée par Jacques Losay en novembre 2013. En effet au-delà du soutien aux proches des marins disparus, l’objectif est « de promouvoir la réforme de nos Constitutions en vue d’assurer une meilleure protection des citoyens dans les procès impliquant des agents des forces armées ou de l’Administration… » . Et cette demande a trouvé un écho auprès de la sénatrice Leila Aichi  qui précise qu’une réflexion sur la levée « du secret défense » doit être engagée. Pour elle, « la transparence doit aujourd’hui prévaloir sur la raison d’Etat » avec par exemple la mise en place d’une responsabilité sans faute de l’Etat.
Comment peut-on passer d’un accident de pêche, aussi terrible soit il, à une demande de réforme de nos constitutions et institutions ? Ce n’est pas la première fois que cela se produit. Cette affaire illustre parfaitement une tendance apparue depuis une vingtaine d’années qui veut qu’à chaque drame médiatisé, une réponse législative est proposée suivant le modèle : « un drame, une Loi ». Après le Bugaled Breizh, nous verrons que trois autres exemples permettent de mieux comprendre ce type de mécanique.  

La polémique sur le naufrage du chalutier Bugaled Breizh
Dès le 16 janvier 2004, lendemain du naufrage du Bugaled Breizh, la Préfecture maritime de l’atlantique indique qu’un exercice sous marin de l’Otan est en cours, mais qu’il a débuté le matin même, donc un jour après la perte du chalutier. De plus aucun des sous marins en plongée et participant n’était à moins de 60 kms du lieu du drame, ce que confirmeront les cartes fournies par les différentes autorités maritimes sollicitées. Le « Bureau Enquêtes après Accident de Mer » (organisme public) ouvre une enquête dès le 17 janvier et une inspection sous marine de l’épave est diligentée le 18 janvier. La thèse d’une collision avec le porte-containeurs Seattle Trader est alors présentée comme la plus probable par les juges d’instruction  nommés et le secrétaire d’Etat aux transports et à la mer, M Dominique Bussereau. Tout semble donc avoir été mis en œuvre très rapidement afin de comprendre les circonstances du naufrage. Six mois plus tard la piste du porte-containeurs, à laquelle les familles n’ont pas vraiment cru, se révèle fausse. Dès lors, l’affaire va prendre une tournure désastreuse. Des journalistes révèlent que le jour du naufrage et dans sa zone se déroulait, comme chaque semaine, un  « Thursday War », exercice britannique de sous marins. Les autorités françaises sont accusées par les familles d’avoir tu cette information capitale et de refuser de communiquer les journaux de bords des sous marins, alors même qu’elles se sont engagées à collaborer. Dans le milieu des marins, dès le départ,  la thèse d’un accrochage avec un sous marin apparait comme la plus vraisemblable. Entre 1987 et 1991, le ministère de la défense a répertorié quatre accrochages entre chalutiers et sous marins français, onze depuis 1971. Pourtant le BEA mer conclut en novembre 2006 à un accident de pêche dû à « une croche molle ». L’exaspération et les soupçons grandissent chez les familles des marins, tandis que l’Ifremer réfute cette théorie en décembre 2007 et que les juges concluent, contre l’avis du Parquet,  que la croche avec un sous marin est « l’hypothèse la plus sérieuse en l’état du dossier ».  Les médias se sont emparés de l’affaire et pointent, y compris dans un livre (« Le Bugaled Breizh : secrets d’états autour d’un naufrage », de Laurent Richard et Sébastien Turay), les incohérences du dossier, laissant planer la théorie du complot. Certains, comme le journaliste Daniel Schneidermann fustige la manière dont JT et télévisions ont soutenu « les délires de persécution des familles ». Pourtant  l’émoi des familles, relayé par l’écrivain Yann Queffelec, gagne progressivement la classe politique alertée sur ce combat pour la vérité du faible contre le fort. En cause, la « Grande Muette » et le ministère des Armées qui s’abriteraient derrière la séparation des pouvoirs et le « secret défense » y compris étranger pour justifier leurs réserves quant au dossier. La résistance s’organise avec des projections régulières,  notamment au Sénat, du film « The Silent Killer » réalisé par Jacques Losay, le beau père du fils de l’un des marins naufragés, Georges Lemetayer. Le Ministre des Armées, M Le Drian est plusieurs fois interpellé par des députés et sénateurs. Il faudra attendre août 2013 pour qu’une clarification soit faite par son ministère révélant que les journaux de bords des sous marins nucléaires français ont été donnés aux juges d’instruction dès novembre 2005. Les avocats des familles qui les réclamaient depuis plusieurs années ne le savaient pas et la seconde équipe de juges d’instruction ignorait leur présence dans le volumineux dossier.  Incompréhension mutuelle qu’une simple communication aurait pu éviter ? Mais il est trop tard pour gommer l’impression de mépris  produit par le mutisme des autorités, d’autant plus que la procureure, Brigitte Lamy, relayant les conclusions de deux nouvelles expertises écarte l’hypothèse d’une croche avec un sous marin, a fortiori avec le sous marin britannique suspecté, le Turbulent. Les familles sont dès lors persuadées que la révélation de la vérité est entravée par «  le secret défense » et le souci diplomatique d’épargner notre allié.  Face aux menaces de clôture de l’instruction qui ressurgissent, Jacques Losay crée en juin 2013 le site officiel du Bugaled Breizh, puis en novembre 2013  l’association « SOS Bugaled Breizh ». Au-delà du soutien aux proches des marins disparus, l’objectif est « de promouvoir la réforme de nos Constitutions en vue d’assurer une meilleure protection des citoyens dans les procès impliquant des agents des forces armées ou de l’Administration… » . Et la demande, relayée par la sénatrice Leila Aichi, d’une réflexion sur la levée « du secret défense » et la mise en place d’une responsabilité sans faute de l’Etat a officiellement été exprimée lorsque M Le Drian a reçu les familles en mars 2014. La députée Annick Le Loch à l’initiative de cette rencontre, retient la clarté de  l’action du Ministre et sa volonté que la lumière soit faite.
Le 26 mai 2014, les juges prononcent une ordonnance de non lieu au motif qu’ils n’avaient aucun élément pour connaitre l’origine de l’accident du 15 janvier 2004. Ils  indiquent qu’à leurs yeux l’hypothèse d’un secret d’Etat relève d’un « fantasme savamment entretenu ». Les avocats des familles qualifient d’indécent le non lieu et déclarent immédiatement qu’ils vont faire appel et relancer la procédure initiée en Grande Bretagne. Sur le site de l’association, les motifs du combat ont désormais un sens plus général que précédemment : « le but est double, continuer le combat pour la vérité et d’obtenir la réforme de notre système judiciaire pour une meilleure protection des citoyens ».Le président de l’association, Dominique Launay, souligne le caractère « universelle » de l’association et rapporte que « des parlementaires » (non nommés) ont compris l’enjeu de leur combat et seraient prêts à travailler à l’élaboration d’un texte législatif instituant une « responsabilité sans faute » . « L’association… entend mobiliser toutes les énergies pour parvenir à cette avancée qui manque à notre démocratie ». Outre le fait qu’il existe déjà en droit administratif français depuis deux siècles une responsabilité de l’administration sans faute pour les risques courus par les tiers, sous réserve de  prouver l’implication de l’administration, on peut s’interroger sur le lien entre la survenance d’un drame et les velléités d’en tirer une loi. Trois autres « affaires » illustrent cette récurrence.

Le débat sur le coût des soins aux handicapés
En 1983, Nicolas Perruche vient au monde lourdement handicapé. Sa mère a contracté pendant sa grossesse une rubéole qui n’a pas été correctement diagnostiquée. Dans le cas contraire, la famille aurait fait pratiquer une IVG, l’enfant à venir ne pouvant qu’être atteint de très lourds handicaps. Après 11 ans de procédure, la Cour de Cassation en Assemblée plénière, dans un arrêt du 17 novembre 2000, consacre le droit pour un enfant à être indemnisé de son propre préjudice, résultant du handicap provoqué par les fautes retenues (erreur de diagnostique). Cette décision provoque un vif émoi, la Cour de Cassation étant accusée d’avoir considéré le seul fait d’être né comme un  préjudice. L’UNAPEI (première fédération d’associations françaises de représentation et de défense des intérêts  des personnes handicapées) reproche à la Cour une approche technique du cas, dénuée de toute « considération éthique ». La haute juridiction, qui en l’espèce répare non pas la vie reçue, mais le handicap qui génère un dommage pour Nicolas, est également vivement critiquée par les praticiens et le monde médical. Le débat dépassant la responsabilité médicale pour être étendu aux questions du handicap, de l’eugénisme et de l’avortement entraine de vives réactions. Le CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) condamne ce qui est d’après lui une obligation de résultat dans la pratique du diagnostique prénatal et les conséquences délétères qui en découleront, comme la baisse annoncée du nombre de vocation. Roger Bessis, le Président du Collège Français de l’Echographie Fœtale , CFEF,  se faisant le porte-parole de ses collègues,  parle « d’un véritable cataclysme ». Il refuse que les médecins soient rendus responsables « des erreurs de la nature » et dénonce la tentation de conseiller au moindre doute aux parents un avortement médical. La profession menace de cesser le suivi prénatal. Le CFJD, (Centre Français pour la Justice et les Droits fondamentaux), branche française d’une association américaine (ACLJ) à la pointe du combat des  « pro-life », revendique le lobbying fait auprès des sénateurs et députés pour qu’une loi « anti Perruche »  soit votée. Le 3 décembre 2001, Jean François Mattéi propose une  loi spécifique concernant l’indemnisation de tels cas. Reprise par la Loi Kouchner du 4 mars 2002, devenue l’article  L 114-5 du code de l’action sociale et des familles, la loi déclare qu’il n’est pas possible d’être indemnisé pour le préjudice d’être né et pose le principe selon lequel le coût des soins aux handicapés devrait être pris en charge par la solidarité nationale. Comme le spécifie Bernard Kouchner, qui relève que la presse et les commentateurs ont dénoncé l’arrêt en parlant d’eugénisme, de discrimination, d’handiphobie,  « ce projet de loi est né de cette émotion ». Mais votée dans l’urgence afin de mettre un terme au débat public qui a entouré la position de la Cour de Cassation, la loi n’a pas supprimé le malaise des praticiens qui appellent toujours à une réflexion plus approfondie sur les pratiques qui entourent la naissance. Elle a valu à la France en octobre 2005, deux condamnations de la Cour Européenne des droits de l’homme, à l’unanimité des 17 juges formant la grande chambre, pour l’application rétroactive de la loi « anti-perruche » aux affaires en cours à l’époque. La Cour n’a pas manqué de souligner également le fait que depuis 2002, l’engagement de l’Etat de prendre en charge le coût lié à une naissance handicapée n’avait pas été tenu . Après l’introduction en mars 2010  d’une  « question prioritaire de constitutionnalité », le Conseil Constitutionnel a quant à lui  sanctionné partiellement la loi, pour sa portée rétroactive qui violait l’un des grands principes généraux du droit. .  

La controverse sur la récidive
Autre drame, autre Loi. Le 16 novembre 2011, Agnès Marin âgée de 13 ans est violée, tuée et son corps est brulé par un camarade du pensionnat dans lequel elle suit sa scolarité. Très rapidement appréhendé, le suspect lui-même mineur, se révèle être l’auteur un an auparavant d’un autre viol, dont le mode opératoire est le même. Arrêté après ce premier crime, Matthieu est incarcéré trois mois et demi, puis il bénéficie d’une liberté conditionnelle assortie d’un contrôle judiciaire compte tenu d’une expertise psychiatrique favorable. Le meurtre de la jeune Agnés va dès lors susciter  une vive émotion et une polémique non moins vive sur la récidive,  le suivi des délinquants et la validité des expertises psychiatriques. Les parents et grands parents d’Agnès voudraient que le procès de son meurtrier soit celui des « dysfonctionnements ». Ceux de la justice, des experts et du Lycée qui n’ont pas creusé la question des antécédents avant d’admettre Matthieu. Sept jours après le drame, Jean Marie Angelini, responsable de l’unité de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) chargée de suivre l’adolescent témoigne du caractère très particulier et exceptionnel de Matthieu. Alors qu’il travaille depuis 40 ans à la PJJ, c’est la première fois qu’il rencontre un jeune qui commet de tels actes. Pourtant les medias reflètent l’opinion générale d’une mort qui aurait pu être évitée. Dès le 21 novembre 2011, le ministre de l’intérieur fustige le dysfonctionnement et déclare qu’une réforme de la justice des mineurs et de l’ordonnance de 1945 devra être une des priorités après les élections présidentielles et législatives à venir. Et le 30 novembre, un amendement législatif est adopté en conseil des Ministres pour améliorer les conditions d’évaluations de la dangerosité des jeunes et rendre obligatoire le placement en centre éducatif fermé des jeunes auteurs de faits graves. Pourtant des voix s’élèvent pour douter de l’efficacité de la Loi votée dans l’urgence. Ainsi, Jean Pierre Rosenczveig, Président du Tribunal pour enfants de Bobigny,  dans le blog qu’il anime dans les pages web du Monde, fustige la règle du « un drame, une loi ». Il décortique les mesures annoncées et conclut sur le fait « qu’une Loi ne suffira pas à régler les problèmes soulevés par le drame de Chambon–sur-Lignon » et « qu’il ne faut pas répondre avant d’avoir analysé». Il n’est pas le seul à s’inquiéter. Dès novembre 2009, Christophe Regnard, Président de l’Union Syndicale des magistrats, lors du congrès de l’USM, interpelle la Ministre de la Justice et les parlementaires : «  dans le même temps, il suffit de quelques faits divers tragiques et médiatisés  pour que des pans entiers du Droit s’effondrent pour que des principes qui fondent la tradition démocratique de notre pays soient remis en cause ». Il dénombre de 1998 à 2009 pas moins de 10 lois qui modifient le code de procédure pénale.

Les incohérences sur l’indemnisation des victimes
Autre drame, autres lois. En février 2007, Irène Frachon, pneumologue à Brest alerte l’Afssaps sur les risques d’accidents cardiaques liés à la consommation du médicament commercialisé sous le nom de Médiator par les laboratoires Servier. L’antidiabétique, utilisé comme coupe faim, est retiré par les laboratoires  Servier des marchés suisse (1998), espagnol (2003) et italien (2004), officiellement pour des raisons commerciales, mais son principal composant, le benfluorex est interdit en France dans les préparations pharmaceutiques dès 1995. Il faudra cependant attendre le 30 novembre 2009 pour que l’antidiabétique soit retiré du marché, alors que l’Afssaps avait émis en 2007 une simple recommandation de ne pas l’utiliser comme coupe-faim.  En octobre 2010, la CNAM conclut une étude, réalisée auprès d’un million de diabétiques, en constatant  une multiplication par quatre du nombre de valvulopathies chez les patients traités avec le Médiator tandis que l’Inserm et l’épidémiologiste Agnés Fournier, chiffrent le bilan portant sur la période de 1976 à 2009 ( dates de début et fin de commercialisation du médicament) à 1300 morts et 3100 hospitalisations, tout en précisant « qu’il s’agit vraisemblablement d’une sous-estimation » . Jacques Servier, fondateur des laboratoires, se défend : « C’est à se demander si cette affaire est une fabrication ». Le but serait « d’embêter le gouvernement ». Mais  les révélations se succèdent.
Face à l’ampleur du désastre sanitaire qui s’annonce, le Ministre du travail, de l’emploi et de la santé Xavier Bertrand  saisit le 29 novembre 2010, l’inspection générale des affaires sociales d’une mission d’enquête relative au Médiator. 6 semaines plus tard, les conclusions relèvent la lourde responsabilité des laboratoires Servier qui ont dès l’origine poursuivi le positionnement du Médiator comme coupe-faim, en décalage avec sa réalité pharmacologique. Mais l’IGAS condamne également le comportement de l’Afssaps qui a été « inexplicablement tolérante à l’égard d’un médicament sans efficacité thérapeutique réelle »,  tout en fustigeant le système de pharmacovigilance qui s’est montré « incapable d’analyser les graves risques apparus en termes de cardiotoxicité du Médiator ».
Suite à ce rapport, Xavier Bertrand promet en janvier 2011 une réforme du système de pharmacovigilance.  Dès juin 2011, un projet de Loi est déposé, qui deviendra le Loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement sur la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Ce texte réforme l’Afssaps qui devient l’ANSM, l’agence Nationale de Sécurité du Médicament et sera désormais financée par l’Etat, afin d’éviter tout soupçon de collusion. Ses prérogatives seront modifiées. Une déclaration d’intérêt publique pour tous les acteurs de la santé est instituée. Elle permettra de mettre à jour leurs liens éventuels avec les industries pharmaceutiques.   Une révision complète de la pharmacopée accompagnera la loi, afin de simplifier et rationaliser l’existant. Enfin un professionnel de la santé qui alerterait les pouvoirs publics, sera protégé de toute sanction ou discrimination, en particulier de la part de son employeur. En parallèle, la Loi du 29 juillet 2011 et le décret du 1 août 2011 mettent en place un nouveau dispositif géré par l’Office National d’Indemnisation des accidents médicaux (l’ONIAM). Le dispositif prévoit la création d’un collège d’experts qui évaluera le préjudice subit par les victimes du Médiator, afin de faciliter l’indemnisation et gérera le fond créé à cet effet.
Pourtant, si les mesures prises sont énergiques et le discours volontariste, quelques mois plus tard un second scandale sera dénoncé par les associations d’aide aux victimes (Cadus et Avim). En effet, en décembre 2012, dans une conférence de presse organisée dans les locaux du journal « Prescrire » et en présence du Dr Iréne Frachon, Jacqueline Houdayer (Présidente de Cadus) et Dominique Courtois (Président de l’Avim) dénoncent les pratiques du Comité d’experts mis en place par la Loi. Présidé par Roger Beauvois, par ailleurs Président de la Chambre honoraire de la Cour de Cassation, le collège se montre très strict quant aux preuves que doivent apportées les victimes, trop strict.  Et contrairement aux déclarations des deux ministres de la Santé  successifs,  Xavier Bertrand et Marisol Touraine, le doute ne bénéficie jamais à la victime. Dès le 3 octobre 2012, le journal Le Parisien affirmait que 85% des dossiers des victimes seraient jugés irrecevables.
Ces chiffres ressortaient de l’examen de 831 dossiers médicaux  traités (sur les 7500 dossiers parvenus  aux experts chargés du fond d’indemnisation) et s’appuyaient sur les déclarations du Président de l’ONIAM, Dominique Martin. Celui-ci prenait position dès la mise en place du fond pour la nécessité d’un lien de causalité clairement établi entre les dommages fonctionnels et la prise du Médiator. Or dans certains cas, les preuves sont difficiles à apporter aussi explicitement. En juin 2013, le nouveau Président du collège d’experts, lui aussi magistrat, apportera un assouplissement significatif dans le traitement des dossiers. Déclarant s’appuyer sur la jurisprudence la plus récente (2008), il indique qu’il sera possible d’indemniser les victimes sur la base de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes. Comme le résume Irène Frachon : « deux ans de bataille ….. Auparavant le doute ne profitait pas à la victime, ce qui est un contresens : la loi de 2011 est une loi de solidarité et de réparation, pas une loi votée pour infliger un deuxième calvaire en exigeant des preuves impossibles à fournir. Parvenir à trouver un lien de causalité certain, c’est juste irréalisable ; mais une forte présomption d’imputabilité est en réalité dans le raisonnement médical l’équivalent d’un lien direct et certain ».
Malgré cette avancée, Jacqueline Houdayer rappelle toutefois que pour chaque avis d’indemnisation positif, les experts font « une évaluation du préjudice subi » mais celle-ci n’est  « pas chiffrée ». Et c’est ensuite à Servier de faire une proposition d’indemnisation à la victime. Dès lors « cela reste un problème, car si la victime refuse l’offre de Servier, elle se met dans une situation difficile : elle doit tout reprendre seule et payer tous les frais de dossier. C’est pour cela que toutes les victimes acceptent ».  Ainsi, malgré la Loi, il revient au fautif de fixer l’indemnisation de sa victime.
Quant à la Loi sur la Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, elle n’empêchera pas début 2013,  que l’affaire des pilules de 3éme et 4éme génération, baptisée « l’affaire Diane 35 », donne l’impression d’être une variante de l’affaire du Médiator. Initialement retirée du marché en 2013 pour une utilisation en tant qu’anti acnéique, non conforme à son autorisation de mise sur le marché,  qui aurait entrainé des décès,  Diane 35 sera réintroduite en 2014 après une condamnation de la France par la Commission européenne. Le gouvernement,  s’appuyant sur  les avis de l’ANSM avait appliqué le principe de précaution. Il sera critiqué pour sa gestion anxiogène de l’affaire.  

L’instrumentalisation de la Loi
Guy Carcassonne, éminent professeur de Droit Public rappelle : « Pour penser la Loi il faut du temps ». Et il déplore que trop souvent, les drames engendrent des Lois. « Légiférer est devenu un réflexe, souvent conditionné par la télévision. Tout sujet d’un vingt heures est virtuellement une loi. Un fait divers quelconque, mais aussi un problème tangible provoquent une démangeaison législative plus ou moins rapide. La loi est une réponse, à défaut d’être une solution. On légifère d’abord puis, rarement et seulement si on n’a rien de plus rentable à faire, on réfléchit ensuite. »
Il est rejoint dans cette vision sévère du travail législatif par d’autres juristes : « Les Lois doivent tenir compte des besoins de la société pour s’y adapter. En revanche, ce qui est préjudiciable à l’Etat de droit et à la sacralité de la Loi au sens générique du terme reste et demeure la banalisation et la succession des initiatives législatives, sans même prendre le temps et le soin d’évaluer sereinement,  donc objectivement, l’impact des précédentes initiatives. »  Jean Baptiste Kleberson.  Et si l’explication venait du fait que la Loi n’est plus aujourd’hui un acte normatif pensé et muri dans l’optique de gouverner la Cité, au sens grec du terme, mais davantage une mesure de gouvernement conçue pour juguler nos peurs et nos colères ?

Isabelle Lhermite


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