Magazine Asie

Phèdre: requiem pour un massacre

Publié le 03 juillet 2014 par Aurélien

Vendredi soir dernier je passe devant la comédie française; 20h et rien de prévu pour la soirée; j’achète un billet pour Phèdre.

Riche idée: pour le double d’un ticket de cinéma, j’ai dix fois l’ennui d’un navet.

Or quelques jours plus tôt, par coïncidence, on me parlait de ces vers, que Barjavel tient pour les plus belles paroles jamais dites par l’homme:

Ariane, ma sœur, de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée?

Je pensais aussi à son coup de foudre pour Hippolyte le fils de son époux:

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps, et transir et brûler.

Et à tout cela qui tourne mal:

Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus toute entière à sa proie attachée.

Ou encore:

Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur.

Vers étranges, rauques, rudes, chtoniens, comme ailleurs la Cesarée dans laquelle erre Antiochus. J’étais impatient de les entendre dire.

Et dès les premiers vers c’est une pénitence: les acteurs débitent les alexandrins comme une machine à coudre. On se croit transporté dans une classe de sixième à qui on a fait lire des vers. Les enfants se sentent obligés d’accentuer toutes les césures, de respirer après chaque vers, et surtout d’ôter tout naturel aux mots en déclamant d’un ton monocorde ces vers dont le sens leur semble inconnu.

Seule Phèdre (Elsa Lepoivre) tire parfois son épingle du jeu, quand dans certains moments émus elle ralentit sa diction: alors la scansion outrancière s’adoucit et découvre le phrasé naturel des vers de Racine. Idem pour le très beau récit de la mort d’Hippolyte aux coups d’un monstre marin.

La mise en scène de Michael Marmarinos, quant à elle, est pleinement solidaire du massacre. Des personnages statiques et engoncés se mettent soudain à gesticuler et bondir de long en large sur la scène. Ou bien, cette radio laissée allumée pendant toute la pièce: sensée évoquer “l’extérieur” de l’antichambre racinien, elle a pour principal effet de gâcher le silence des beaux moments avec un grésillement qui rappelle les crachotis asthmatiques d’un public égrotant.

Ah oui, cerise sur le gâteau: la servante interromp de maigres applaudissements pour lire un message qui exprime la pleine solidarité des sociétaires de la Comédie française pour le sort des intermittents. Vive le théâtre français.

Phèdre: requiem pour un massacre

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Aurélien 184 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog