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Itw – Kitarô Kôsaka : tracer sa route, avec ou sans Miyazaki…

Par Paoru

Kitarô Kosaka

En réalisant cette interview à Japan Expo il y a environ un mois, je ne pensais pas qu’elle serait autant d’actualité, avec le flot de questions depuis lundi sur ce qui va se passer dans les mois à venir pour le studio Ghibli. Ce qui était prévu au départ, c’était de profiter de la venue d’un animateur-clé et d’un responsable de l’animation des studios Ghibli, Kitarô Kôsaka pour essayer d’avoir enfin un autre regard sur le travail de ce studio, loin du flou, de la provoc’ ou des propos parfois contre-productif de Miyazaki himself. Bien évidemment, le sujet du futur de l’entreprise est venu sur la table en fin d’entretien, on ne pouvait pas passer à coté. Mais il s’agissait d’abord de voir comment un exécutant – de talent mais exécutant quand même – avait pu observer  et travailler au sein de quelques projets clés, sous la coupe et les volontés des personnages clés de la société. D’autant qu’en dehors des studios Ghibli, Kôsaka a une carrière plus qu’étoffée et a su déployer, par moment, ses propres ailes.

Donc pour ce qui est de l’avenir des studios Ghibli, direction l’article – démêlage de Journal du Japon. Mais pour laisser parler Kitarô Kosaka et en savoir plus sur ce petit bonhomme épatant, en route pour l’article !

Travailler pour Miyzaki, mais pas que !

Kitarô Kosaka est un homme des plus discrets mais qui cache un CV prestigieux. A 52 ans passés, cet homme de la préfecture de Kanagawa a connu les postes d’intervalliste, d’animateur clé, de responsable de l’animation, de character designer, de réalisateur d’épisode ou de série entière, de storyboarder, etc. En dehors de producteur et de responsable de la musique il a du tout faire, depuis ses débuts en 1979, à travers la quarantaine d’œuvres sur laquelle il a officiellement travaillé. Je ne vais pas vous en faire la liste complète (il y a ANN pour ça) mais regardons quelques moments clés de son parcours, pour se faire une idée.

Nous disions donc… 1979. L’homme a 17 ans et il est un grand fan de Miyazaki. Il veut travailler pour le monsieur, qui n’a pas encore fondé le studio Ghibli à l’époque mais qui travaille au sein de la société Telekom, une sorte de sous-division de TMS Entertainment pour ceux qui connaissent. Or Telekom cherche de nouveaux animateurs. Kôsaka postule mais, bad luck, sa candidature ne sera pas retenue. Comme il a de la suite dans les idées, l’homme parvient à décrocher un poste dans la société Oh! Productions, aka un studio qui travaille parfois avec Miyazaki (et aussi avec Gainax, Bones, Nippon Animation et d’autres). Il commence en tant qu’animateur clé sur différents projets comme Lupin III puis travaille avec Miyazaki sur la première pierre de son édifice : Nausicaä de la vallée du vent, en 1984.

Lorsqu’on lui demande quel souvenir il garde de ce projet, il se rappelle de l’exaltation des débuts mais aussi du caractère déjà difficile du maître : « Au tout départ c’était surtout une chance de pouvoir participer à un projet avec mes réalisateurs préférés, donc j’étais vraiment excité. Après, encore aujourd’hui, je ne sais pas si j’étais à la hauteur sur Nausicaä car monsieur Miyazaki m’a souvent hurlé dessus et a corrigé tous mes dessins… Donc il y a des souvenirs difficiles mais ça reste un moment palpitant, une grande expérience pour moi.« 

Un an plus tard se forment les studios Ghibli et Kôsaka continue de travailler avec Miyazaki de l’extérieur, chez Oh! Productions puis en freelance à partir de 1986. Il va longtemps rester animateur-clé mais occupe ce poste sur des animes marquants, avec et sans Miyazaki d’ailleurs : Meitantei Holmes (1985), Laputa (1986), Les aîles d’Honneamise (1987) mais aussi Akira, en 1988. C’est à la fin des années 80 – début 90 qu’il commence à franchir quelques paliers. Sur une adaptation d’une oeuvre de Naoki Urasawa, Yawara!, il travaille au storyboard, à l’animation et à la direction d’épisode et officie sur la série pendant toute sa durée, jusqu’en septembre 1992.

Rôles et dilemmes d’un animateur

Cela dit, malgré ce premier poste à responsabilité sur son CV, il redevient animateur clé pendant 2 ans, notamment sur Pom Poko en 1994. Autant vous dire qu’il connait bien ce poste. Nous lui demandons d’ailleurs ce qui fait un bon animateur clé. « Il s’agit de réfléchir à une bonne façon d’exprimer le mouvement, de donner cette impression à travers les images sur lesquelles on travaille. Dessiner bien ne suffit pas, ce n’est pas la chose la plus importante à ce poste. L’animateur clé doit avant tout donner vie aux images et c’est quelque chose qui vient avec l’expérience. Une fois que l’on sait faire cela je pense qu’on commence à devenir un bon animateur clé » nous explique-t-il, avant d’insister sur l’importance de ce poste souvent mis au second plan : « C’est un travail très important. J’ai été ensuite responsable de l’animation, mais ce poste et celui d’animateur clé sont tout aussi importants l’un que l’autre, c’est juste un travail différent. Le responsable de l’animation coordonne les différents animateurs clé donc sans eux son travail n’existe pas.« 

Comme il le dit lui-même il devient, enfin, responsable de l’animation pour un projet Ghibli : Mimi o Sumaseba, aka Si tu tends l’oreille, réalisé par Yoshifumi Kondô (le fameux génie qui aurait du prendre la suite de Ghibli mais qui est décédé en 1998). Avec ce poste à responsabilité, voici l’heure des choix épineux, car même si c’est Kondô qui réalise, Miyazaki n’est jamais loin,et il faut réussir à contenter les deux. Kôsaka évoque le dilemme : « mon souvenir le plus marquant sur ce film c’est de m’être retrouvé entre monsieur Kondô et monsieur Miyazaki. Leur façon de travailler et leurs attentes étaient différentes. Par exemple, sur une scène où un garçon et une fille se serrent dans les bras l’un de l’autre : pour monsieur Miyazaki ils vont se serrer comme s’ils allaient s’étouffer l’un l’autre, alors qu’avec monsieur Kondô il y beaucoup plus de timidité et de subtilité. J’étais donc au milieu à devoir essayer de répondre à ses deux désirs assez contradictoires, c’était vraiment difficile ! »

A la vue du résultat on peut dire qu’il s’en est plutôt bien sorti. Il continue d’ailleurs à ce poste, chez Ghibli et ailleurs : responsable en chef de l’animation sur Princesse Monoke en 1997, responsable multitâche sur Master Keaton en 1998 où il gère le chara-design, le storyboard, l’animation, etc. Après ce second travail sur du Urasawa il participe aussi à l’adaptation d’un manga de CLAMP, Clover, en 1999.

Miyazaki, ses coups de pouces et ses envies…

Dans les années 2000 il continue d’occuper le poste de grand responsable de l’animation chez Ghibli, sur Chihiro (2001), Le château ambulant (2005), Ponyo (2008), et signe à nouveau le chara-design pour un nouvel Urasawa, Monster, en 2004. Mais c’est pour quelque chose de complètement différent qu’il va finalement se faire connaître et reconnaître à l’international : Nasu, un été andalou. L’histoire derrière le projet est assez significative d’ailleurs… Je m’y arrête deux secondes si vous le voulez bien.

Il se trouve que Kitarô et Hayao partage une passion commune, le vélo, et c’est Miyazaki qui lui suggère de jeter un œil à Nasu, le manga sur le cyclisme de Iô Kuroda. Notre animateur tombe sous le charme et propose d’en faire un film au producteur, mais ce dernier rétorque (déjà !) qu’il « se sent trop vieux et qu’il n’a pas assez d’énergie pour ce projet. » Kôsaka propose alors l’idée à Masao Maruyama qu’il connait de longue date, et qui n’est autre que le co-fondateur des studios Madhouse.

En 2003 va donc sortir le long-métrage, le seul réalisé par Kôsaka à l’heure actuelle, mais qui va lui permettre de se faire connaître au delà des frontières nippones : c’est le premier long-métrage nippon sélectionné au Festival du Film de Cannes. La classe quand même. Je vous invite d’ailleurs à lire l‘interview qu’a donné Kôsaka, fin 2003, au site Midnight Eye. Il y dit (en anglais) des choses très intéressantes et très censées sur le cyclisme, le Japon et son travail sur ce projet. Quelques infos de ce papier viennent de là d’ailleurs. Revenons-en maintenant à notre histoire.

On peut donc dire que le parcours de Kôsaka est très lié à celui de Miyzaki, même s’il a su briller en dehors de son périmètre. J’aurais bien aimé embrayer là dessus d’ailleurs mais, interview à deux médias oblige, nous nous sommes tournés vers la dernière œuvre en commun de Kôsaka et Miyazaki : Le vent se lève. Je vous passe les détails mais globalement on y a appris qu’initialement Miyazaki n’avais pas encore pris la décision de son départ. Néanmoins, comme l’explique Kôsaka, « chaque nouveau film se doit d’être meilleur que le précédent pour monsieur Miyazaki« . Ainsi, bien que le producteur ait une réelle conscience des questions de budget et de planning, il s’est lâché et il est allé au bout de ses envies cette fois-ci, comme sur le passage du séisme où tout a été réalisé à la main. En dehors de l’aspect technique, Kôsaka insiste sur le symbole très fort de cette scène pour les Japonais, dans son traitement de la mort : « elle parle de la mort de manière très directe, c’est assez inhabituel au Japon. Je me dis que pour vous, en France, cette façon de traiter ce sujet ne vous a peut-être pas marqué mais cela était assez choquant pour beaucoup de Japonais.« 

Ghibli : la fin du Miyazaki-centré…

Kitarô Kôsaka
Durant cette interview, Kitarô Kôsaka n’a donc cessé d’évoquer Hayao Miyazaki, que cette omniprésence soit bénéfique ou subie. Mais lorsqu’on lui demande à quoi les studios Ghibli doivent leur portée et leurs succès internationaux, il est univoque : « Le succès du studio Ghibli est avant tout basé sur la force de monsieur Miyazaki, dans ses dessins et sa réalisation. Monsieur Miyazaki le dit lui-même au staff des studios : il se moque complètement de l’histoire, c’est vraiment l’image qui compte. Pour monsieur Takahata par exemple, c’est presque l’inverse. J’ai vraiment apprécié de travailler avec l’un ou avec l’autre, ce sont deux visions très différentes et tout aussi enrichissantes, mais je pense que c’est cette priorité sur l’image et le désir d’excellence dans ce domaine qui donnent toute sa force au studio Ghibli. »

Impossible pour nous, ensuite, de ne pas poser la question : et du coup maintenant, comment faire ?

Kôsaka conclut avec gravité : « aujourd’hui le studio est devenu beaucoup plus grand qu’à ses débuts mais c’est un business model qui ne marche qu’avec monsieur Miyazaki. Maintenant qu’il n’est plus là, officiellement en tout cas, je pense que nous serons obligé de nous adapter, c’est-à-dire de diminuer la taille du studio et de changer notre modèle économique… Nous ne pourrons pas continuer ainsi.« 

Au regard de son CV et de son rôle notable dans les animes du studios, Kitarô Kôsaka n’aura aucun mal à retrouver du travail si jamais on ne le rappelait pas au sein de la firme de Totoro. D’ailleurs est-ce vraiment un mal, lorsqu’on voit qu’il n’a pu s’exprimer à la réalisation qu’en dehors de ce dernier, et qu’on se demande si c’est un choix personnel ou imposé. On se souvient en tout cas de Mamoru Hosada, qui devait réaliser Le château ambulant mais qui a été remercié durant le développement du projet en 2003-2004, peu avant de devenir un nouveau phare du cinéma d’animation nippon avec La traversée du temps, Summer Wars et le plus récent Les Enfants loups.

C’est en tout cas tout le mal que l’on vous souhaite, monsieur Kôsaka !

Remerciements à Kitarô Kosaka pour son temps et sa franchise. Merci également à Japan Expo et à notre interprète du jour pour cette interview. Questions commune avec le média Melty.fr et photos signées Danielle Gueugnot.


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