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Charte d'un Parc naturel régional : le devoir de cohérence de l'Etat (Conseil d'Etat)

Publié le 10 août 2014 par Arnaudgossement

PNR Haut Languedoc.jpgCe 25 juin 2014, le Conseil d'Etat vient de rendre un arrêt qui contribue à préciser la valeur juridique d'une Charte de Parc naturel régional. La place de la Charte dans la hiérarchie des normes ne peut en effet être analysée sous le seul angle conformité/compatibilité. Le devoir de cohérence de l'Etat et des collectivités territoriales adhérentes est une condition essentielle de la mise en œuvre de la Charte.


Charte de PNR et activités extractives

Dans l'affaire objet de la présente note, deux fédérations professionnelles régionales de l'industrie des carrières demandaient "l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 2 du décret du 11 décembre 2012 portant classement du parc naturel régional du Haut-Languedoc en tant qu'il adopte la mesure 3.1.3 de la charte et les plans s'y rapportant".

En résumé, ces deux fédérations reprochaient à la Charte de ce parc naturel régional d'imposer une localisation précise des sites de carrières.

L'arrêt est intéressant en ce qu'il met en lumière ce qui fait la spécificité de la charte d'un parc naturel régional et rappelle une règle : l'Etat et les collectivités territoriales ont un devoir de cohérence. Ces derniers ne peuvent prendre des engagements à l'endroit de la Charte qu'ils ne tiendraient pas par la suite.

La valeur juridique d'une Charte de parc naturel régional

L'arrêt en ce qu'il contribue à préciser la valeur juridique de la Charte d'un Parc naturel régional. La charte d'un parc naturel régional échappe en effet à une distinction trop rapide entre actes contraignants/non contraignants.

Pour bien comprendre la place de la Charte d'un PNR dans la hiérarchie des normes, il convient de se reporter à l'article L.333-1 du code de l'environnement (ici dans sa version actuelle), lequel dispose :

"II. - La charte du parc détermine pour le territoire du parc naturel régional les orientations de protection, de mise en valeur et de développement et les mesures permettant de les mettre en oeuvre. Elle comporte un plan élaboré à partir d'un inventaire du patrimoine indiquant les différentes zones du parc et leur vocation. La charte détermine les orientations et les principes fondamentaux de protection des structures paysagères sur le territoire du parc. Un plan de financement portant sur les trois premières années du classement du parc est annexé à la charte. Pour les années suivantes, le financement est assuré dans un cadre pluriannuel jusqu'à expiration du classement."

En premier lieu, il convient de distinguer les cinq types d'éléments qui composent une Charte de PNR :

- "les orientations de protection, de mise en valeur et de développement"

- "les mesures permettant de les mettre en œuvre"

- "un plan élaboré à partir d'un inventaire du patrimoine indiquant les différentes zones du parc et leur vocation"

- "les orientations et les principes fondamentaux de protection des structures paysagères sur le territoire du parc.

"Un plan de financement portant sur les trois premières années du classement du parc est annexé à la charte"

Ces éléments peuvent être classés en trois catégories : les orientations, les mesures de mise en œuvre et les plans. Il convient de se reporter à l'article R.333-3 du code de l'environnement pour savoir comment ces éléments sont organisés pour constituer le contenu de la Charte.

En deuxième lieu, ce même article L.333-1 du code de l'environnement précise que l'Etat et les collectivités territoriales adhérentes du PNR, lesquels contribuent à la rédaction de la Charte, ont un devoir de cohérence. Leurs actions et financements doivent être "cohérents" avec les engagements pris au sein de la Charte :

"V. - L'Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte appliquent les orientations et les mesures de la charte dans l'exercice de leurs compétences sur le territoire du parc. Ils assurent, en conséquence, la cohérence de leurs actions et des moyens qu'ils y consacrent."

Outre ce devoir de cohérence, l'article L.333-1 du code de l'environnement définit également les conditions d'articulation entre la Charte et d'autres documents de planification :

"VI. - Lors de leur élaboration ou de leur révision, les documents de planification, d'aménagement et de gestion des ressources naturelles relatifs à l'énergie mécanique du vent, aux carrières, à l'accès à la nature et aux sports de nature, à la gestion de l'eau, à la gestion cynégétique, à la gestion de la faune sauvage, au tourisme et à l'aménagement ou à la mise en valeur de la mer sont soumis pour avis à l'organisme de gestion du parc naturel régional en tant qu'ils s'appliquent à son territoire."  

Le Parc naturel régional doit ainsi être consulté pour avis pour la rédaction de certains documents de planification, dont l'ancien schéma départemental des carrières.

On notera que les dispositions spécifiques à un autre document de planification peuvent également prévoir des règles d'articulation avec la Charte d'un PNR. le Juge sera alors amené à interpréter et appliquer les règles propres à la Charte avec celles propres à un autre document de planification.

La place de la Charte dans la hiérarchie des normes peut donc être définie de plusieurs manières :

1. L'Etat et les collectivités territoriales adhérentes ont un "devoir de cohérence" entre leurs engagements pris pour la mise en œuvre de la charte et leurs actions et financements;

2. Le Parc naturel régional doit être consulté pour avis lors de l'élaboration de nombreux autres documents de planification environnementaux;

Le devoir de cohérence de l'Etat et des collectivités territoriales 

L'arrêt comporte tout d'abord un considérant de principe tendant à définir la valeur juridique et la portée des dispositions de la Charte d'un parc naturel régional :

"3. Considérant que la charte d'un parc naturel régional est un acte destiné à orienter l'action des pouvoirs publics dans un souci de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, de développement économique et social et d'éducation et de formation du public sur le territoire du parc et à assurer la cohérence de cette action avec les objectifs qui y sont définis ; qu'il appartient, dès lors, à l'Etat et aux différentes collectivités territoriales concernées de prendre les mesures et de mener les actions propres à assurer la réalisation des objectifs de la charte et de mettre en oeuvre les compétences qu'ils tiennent des différentes législations, dès lors qu'elles leur confèrent un pouvoir d'appréciation, de façon cohérente avec les objectifs ainsi définis ; que, toutefois, la charte d'un parc naturel régional ne peut légalement imposer par elle-même des obligations aux tiers, indépendamment de décisions administratives prises par les autorités publiques à leur égard ; qu'elle ne peut davantage subordonner légalement les demandes d'autorisations d'installations classées pour la protection de l'environnement à des obligations de procédure autres que celles prévues par les différentes législations en vigueur ; que si les orientations de protection, de mise en valeur et de développement que la charte détermine pour le territoire du parc naturel régional sont nécessairement générales, les mesures permettant de les mettre en oeuvre peuvent cependant être précises et se traduire par des règles de fond avec lesquelles les décisions prises par l'Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte dans l'exercice de leurs compétences devront être cohérentes, sous réserve que ces mesures ne méconnaissent pas les règles résultant des législations particulières régissant les activités qu'elles concernent ; que leur légalité est également subordonnée à leur compatibilité avec l'objet que le législateur a assigné aux parcs naturels régionaux et à leur caractère nécessaire pour la mise en oeuvre des orientations de la charte ;"

Il convient de bien analyser ce considérant de principe.

Si la Charte d'un parc naturel régional ne peut, par elle-même, créer des règles de procédure qui viendraient s'imposer à l'instruction d'actes administratifs individuels, elle comporte des engagements de l'Etat et des collectivités territoriales : ces derniers, sous réserve de leur légalité, doivent être respectés "de façon cohérente". En d'autres termes, la Charte n'est pas opposable à un "tiers" personne physiques ou morals mais s'impose aux signataires de la Charte qui vaut en quelque sorte contrat.

Tel était le cas, s'agissant de la Charte du Parc naturel régional du Haut-Languedoc :

"4. Considérant que la mesure 3.1.3 de la charte comporte des orientations stratégiques en ce qui concerne l'exploitation des carrières sur le territoire du parc, dont l'une consiste " à poursuivre l'exploitation des matériaux du sous-sol du massif du Sidobre ", l'autre à " valoriser les autres gisements potentiels, identifiés par les schémas départementaux des carrières sur le territoire du parc, à travers la possibilité de renouveler et étendre les carrières existantes ", sauf dans les zones regardées comme " espace d'intérêt écologique " et " espace paysager remarquable ", et dont la dernière consiste à " permettre la réouverture d'anciennes petites carrières patrimoniales " ; qu'au nombre des engagements pris par l'Etat figurant dans la charte figure celui d'associer le syndicat mixte du parc dans la révision des schémas directeurs en s'assurant de la prise en compte des orientations particulières et déclinaisons locales de la charte à réaliser"

Ainsi, aux termes de la mesure 3.1.3 de la Charte du PNR du Haut Languedoc, l'Etat s'est engagé

1. d'une part à associer le PNR à la planification de l'activité de carrières ;

2. d'autre part, à "prendre en compte" les orientations particulières et déclinaisons locales de la charte"

Or, cette charte comporte un certain nombre de dispositions qui tendent à encadrer la localisation des sites de carrières.

Le Conseil d'Etat impose à l'Etat un devoir de cohérence : sa position doit être la même lorsqu'il signe la Charte d'un PNR et lorsqu'il signe un schéma départemental des carrières.

"5. Considérant que l'activité d'extraction de matériaux étant susceptible de provoquer des nuisances environnementales et paysagères, une charte de parc naturel régional peut légalement comporter les mesures précises énoncées au point précédent et imposer, en particulier, une localisation de cette activité dans des zones qui lui sont affectées ; qu'un schéma départemental des carrières prend en compte, selon les termes de l'article L. 515-3 du code de l'environnement, " l'intérêt économique national, les ressources et les besoins en matériaux du département et des départements voisins, la protection des paysages, des sites et des milieux naturels sensibles, la nécessité d'une gestion équilibrée de l'espace, tout en favorisant une utilisation économe des matières premières " ; que dans le cas où le zonage de ce schéma départemental serait différent de celui de la charte d'un parc naturel régional, il appartient à l'Etat de veiller à ce que les décisions qu'il prend dans l'exercice de ses autres compétences soient cohérentes avec les prescriptions de la charte ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les auteurs de la mesure 3.1.3 de la charte du parc national régional du Haut-Languedoc adoptée par le décret attaqué, auraient excédé leur compétence et empiété sur celles du préfet, chargé de l'élaboration du schéma départemental des carrières, en application de l'article R. 515-5 du code de l'environnement, doit être écarté ;

NB : il ne peut être déduit de ce considérant que la Charte d'un PNR pourrait, à elle seule, imposer la localisation d'un site de carrières. Au demeurant, la Charte du PNR du Haut Languedoc n'impose pas réellement une seule localisation pour les carrières.  

Très précisément, le Conseil d'Etat juge que l'Etat ne doit avoir qu'une seule position, notamment en matière de localisation des futurs sites de carrières, et ce, de manière à prévenir toute contradiction entre une Charte et un schéma départemental des carrières. En cas de contradiction, et sous réserve de la légalité des dispositions de la Charte, le Préfet devra, dans les décisions qu'il prend, s'assurer que celles-ci soient "cohérentes" avec les prescriptions de la Charte. Il ne s'agit pas ici d'un rapport d'opposabilité type conformité ou de compatibilité mais d'un devoir de cohérence.

En d'autres termes, une éventuelle contradiction entre un schéma départemental des carrières et une Charte ne démontre pas ipso facto l'illégalité de cette dernière et c'est pour ce motif principal que le recours en annulation dirigé contre la Charte du PNR du Haut Languedoc est rejeté.

En l'état actuel du droit, la position du Conseil d'Etat n'est pas critiquable. le rappel du devoir de cohérence de l'Etat s'imposait. Pour autant, le droit actuel n'est pas satisfaisant. Le droit doit être plus accessible, plus simple et la sécurité juridique, notamment des carriers, est un droit.

La Charte n'est pas un outil d'interdiction

Il est important de relire l'arrêt rendu le 12 février 2014 par le Conseil d'Etat pour s'assurer que la fonction de la Charte du PNR n'est pas d'autoriser ou d'interdire telle ou telle activité.

Dans cette espèce, un PNR avait formé un recours tendant à l'annulation de la délibération par laquelle un conseil municipal avait approuvé la révision simplifiée d'un POS dont l'une des conséquences était de permettre la construction d'installations industrielles, en contradiction, selon les requérants, avec les dispositions de la Charte du PNR.

Le Conseil d'Etat a opéré la lecture suivante de cette Charte du PNR Oise Pays de France :

"que ces dispositions, qui doivent être interprétées à la lumière des orientations générales du rapport de la charte, limitent les possibilités de construction dans les zones d'intérêt et de sensibilité paysagère, en laissant toutefois une marge d'appréciation aux autorités compétentes pour autoriser notamment des équipements d'utilité publique, dès lors que les contraintes techniques le justifient et à condition de prendre des précautions pour minimiser les atteintes à l'environnement et au paysage ; qu'elles n'interdisent pas les activités extractives situées en dehors des sites classés, sous réserve notamment qu'elles soient cohérentes avec la vocation agricole des espaces et qu'elles soient en particulier assorties de mesures en matière d'intégration paysagère et de remise en état du site" (je souligne).

Le Conseil d'Etat refuse, à raison, d'interpréter une mesure en particulier sans la relier aux orientations générales de la Charte. Ce faisant, il juge que cette Charte n'a pas pour conséquence d'interdire les activités extractives. De manière générale, la Charte n'a pas pour objet d'autoriser ou d'interdire telle ou telle activité ou d'ajouter une nouvelle contrainte procédurale opposable au demandeur d'une autorisation d'exploiter.

C'est ainsi que, par arrêt du 8 février 2012, le Conseil d'Etat a annulé les mesures d'une Charte qui avaient pour effet de créer une nouvelle obligation d'étude à la charge du demandeur d'une autorisation d'exploiter une carrière :

"Considérant, toutefois, que le point 5.1 " Spécifications applicables à toutes les carrières " de ce document comporte un troisième et un cinquième alinéas qui prescrivent la réalisation de nouvelles études ; que, selon le troisième alinéa de ce point, les exploitants de carrière doivent " fournir une étude d'impact très détaillée avec l'élaboration d'une étude paysagère et environnementale montrant visuellement l'évolution de la carrière tous les trois ans (photos montages, simulations plans / coupes / vues 3D), et indiquant les dispositions techniques nécessaires à une renaturation progressive et coordonnée entre les méthodes d'exploitation et de réaménagement. Les contraintes liées à l'eau, à la biodiversité, aux transports, aux nuisances visuelles ou sonores, à l'émission de poussières devront être traitées au même degré d'exigence. L'étude devra sortir du cadre du périmètre de l'exploitation et disposer d'une analyse des impacts autour de l'exploitation et en "aval" de la production (transport, bruit, poussière) notamment sur les communes concernées par le flux de matériau. L'étude d'impact devra ainsi développer une série d'indicateurs mesurables permettant d'évaluer l'effet de l'exploitation lors de son suivi régulier " ; que le cinquième alinéa prévoit que toute demande d'ouverture ou d'extension de carrière doit être accompagnée " d'une étude complète portant sur la logistique d'acheminement des matériaux intégrant les exigences des communes traversées et la capacité des axes empruntés " ; que ces dispositions imposent aux exploitants de carrière, pour l'exercice de leur activité ainsi que pour toute demande d'une autorisation d'ouverture ou d'extension de carrière, le respect d'obligations de procédure qui s'ajoutent à celles prévues pour la délivrance des autorisations d'installations classées et par la législation relative aux carrières ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le décret attaqué ne pouvait légalement les adopter

La Charte impose un devoir de cohérence à l'Etat et aux collectivités territoriales, principalement en matière de planification mais, ne peut avoir effet de permettre à un PNR d'exercer un pouvoir de police, par exemple des ICPE.

De l'intérêt du Parc naturel régional

Cet arrêt devrait amener l'Etat et les élu(e)s concernés à améliorer les conditions de la concertation préalable à l'élaboration des Chartes.

De manière générale, l'intérêt de l'institution "Parc naturel régional" est, à mon sens très grand. Mais ce sentiment n'est pas partagé, notamment au sommet de l'Etat. La plupart des lois sur l'écologie et l'urbanisme oublient les parcs naturels régionaux ou les cantonnent à la biodiversité ou à la défense des paysages en milieu rural. Ce qui est important mais ne correspond qu'à une partie des compétences et possibilités d'un Parc naturel régional. A ce titre, la loi ALUR du 24 mars 2014, pourrait être revue s'agissant de l'articulation entre SCOT et Charte de PNR.

Le Parc naturel régional est un outil souple et fort utile pour déployer une politique de développement durable dans tous les territoires. Les clivages droite/gauche ou majorité/opposition existent mais sont souvent moins marqués au sein des organes délibérants des établissements de gestion des PNR. Ce sont plutôt des visions de l'avenir d'un territoire qui s'y expriment. Par ailleurs, les chargés de mission des PNR, souvent jeunes et très compétents sont au contact quotidien de tous les acteurs (élus, associations, chambres consulaires, administrations, collectivités...) d'un territoire. Ce qui leur permet de réaliser des diagnostics précis et de proposer des projets à la fois ambitieux et consensuels pour développer l'activité économique dans le respect de l'environnement.

Depuis leur création, les Parcs naturels régionaux ont su se développer et augmenter leur nombre mais leur régime juridique doit être modernisé sans pour autant que ne soit compromis ce qui fait la richesse d'un PNR. Une fausse bonne idée serait par exemple de doter la Charte d'un caractère contraignant et strictement opposable à toute demande d'autorisation administrative individuelle. La Charte doit d'abord être un outil de dialogue sans qu'il soit ici utile de succomber aux charmes du positivisme juridique. 

L'outil "Parc naturel régional" est, notamment, un outil très important pour le développement du dialogue environnemental dans tous les territoires. L'arrêt rendu ce 25 juin 2014 par le Conseil d'Etat démontre d'abord qu'il faut consolider les conditions de ce dialogue au sein des PNR entre élu(e)s et professionnels.

Arnaud Gossement

Selarl Gossement avocats 


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