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La contrefaçon : entrave et péril pour l’Afrique

Publié le 15 août 2014 par Unmondelibre
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Du 4 au 6 août dernier, près d’une cinquantaine de chefs d’État Africains ont été conviés par Barack Obama à  un sommet États-Unis - Afrique. Outre les questions de partenariats économiques et l’inquiétude autour du virus Ebola, la problématique de la sécurité dans le Sahel était aussi une préoccupation du sommet, notamment en raison des récentes exactions commises par le groupe terroriste Boko Haram au Nigéria. Or, la question du terrorisme en Afrique de l’ouest soulève une autre question non moins délicate : celle de la contrefaçon. Le marché des produits contrefaits est en effet une source de financement croissante pour les groupes criminels organisés, notamment les groupes terroristes.

Aujourd’hui, la contrefaçon représente plus de 2 000 milliards de dollars en termes de chiffre d’affaire dans le monde : c’est plus que les business de la drogue et de la prostitution réunis. Le fait est que, depuis le début des années 1980, le marché des produits contrefaits ne cesse de croître, tirant profit de la révolution des transports et de la mondialisation des échanges. Les produits contrefaits font désormais l’objet d’un véritable marché, et les contrefacteurs s’organisent en réseaux internationaux très sophistiqués (intermédiaires multiples, sociétés-écrans, etc.)

Il est urgent d’organiser le combat contre la contrefaçon en Afrique, car ce marché de l’ombre devance souvent la production des marchés officiels (dans les filières copiées) et possède de multiples ramifications : non seulement il est susceptible de financer l’activité des groupes criminels, notamment terroristes, mais il gangrène sévèrement le développement des firmes installées en  Afrique, notamment en Côte d’Ivoire.

Le marché des produits contrefaits est un ‘’cancer sociétal’’ pour l’Afrique, comme le dit Jean-Michel Lavoizard (DG d’Aris-Intelligence.) Il entrave en effet sérieusement la liberté économique, et donc le développement des sociétés. Pour cause, en tant qu’il n’est soumis à aucune réglementation et aucune taxation, ce marché est une source évidente de concurrence déloyale pour les entreprises. Il viole également leur droit de propriété intellectuelle, faisant fi des brevets industriels. Il affaiblit donc l’activité des entreprises légales et obstrue la création d’emplois : en Côte d’Ivoire, on estime que ce sont chaque année 8 500 emplois, rien que dans le secteur du pagne, qui ne sont pas créés à cause de la contrefaçon, et que cette dernière coûte 30 milliards de FCFA/an au pays (l’équivalent de 50 millions d’euros.) L’existence des entreprises installées en Côte d’Ivoire s’en retrouve menacée. En corollaire, la contrefaçon représente un manque à gagner net pour les États africains : les produits contrefaits étant en majorité écoulés dans le commerce informel, ils ne sont pas taxés et réduisent donc l’assiette fiscale.

Par ailleurs, le marché de la contrefaçon est également destructeur en cela qu’il  fait encourir des risques certains pour la santé des consommateurs. En effet, les produits contrefaits ne respectent aucune norme de sécurité. Selon le PDG d’Uniwax, Jean-Louis Menudier, les médicaments contrefaits tuent ainsi 700 000 personnes chaque année dans le monde (tandis qu’ils rapportent 55 milliards d’euros aux gens qui les produisent…) Or, en Côte d’Ivoire, on estime que 30% des médicaments sont contrefaits. Mais au-delà des médicaments, ce sont bel et bien tous les produits contrefaits qui sont nocifs : dentifrice acide qui brûle la peau, jouets inflammables, rhum frelaté, toxicité des produits cosmétiques nigérians, encre corrosive des pagnes chinois, fausses poches de sang … Les dégâts sanitaires causés par la contrefaçon sont multiples et régulièrement mortels.

Endiguer la contrefaçon est donc, plus que jamais, une nécessité. Or, il semble que les États africains n’aient pas encore pris la mesure du phénomène. En Côte d’Ivoire, par exemple, le service des douanes dédié à repérer les marchandises contrefaites ne dispose pour l’instant que d’un seul véhicule 4x4 pour couvrir tout le territoire national. L’insuffisance des moyens de lutte contre la contrefaçon est flagrante. En cause : le gouvernement ivoirien a préféré mieux doter les services des douanes chargés de la fiscalité, car il estime que ces derniers sont plus à même de lui fournir une rentrée fiscale. Mais l’État ne doit pas se leurrer : la contrefaçon représente un manque à gagner certain pour ses caisses, et il gagnerait à mieux l’endiguer.

La faiblesse de volonté politique oblige les entreprises, alors que cela n’est pas leur tâche première, à lutter elles-mêmes contre les contrefacteurs afin de s’en protéger: Unilever a ainsi créé, de sa propre initiative et en son propre sein, une commission de lutte contre la contrefaçon en 2006. Des initiatives de coopération entre entreprises pour lutter contre ce fléau ont également vu le jour : une coalition anti-contrefaçon, piraterie et fraude a ainsi été créée en 2013 sous l’impulsion du think tank ivoirien Audace Institut Afrique. Enfin, les sociétés étrangères qui souhaitent s’implanter en Afrique ont de plus en plus recours aux entreprises d’intelligence économique pour estimer l’ampleur de la contrefaçon dans tel ou tel pays. Mais ces initiatives privées doivent être  assidument accompagnées par le déploiement des structures étatiques, car c’est bien à l’État qu’échoie le devoir de faire respecter les droits de propriété.

L’État ivoirien semble s’être réveillé en novembre 2013, en créant un nouveau cadre juridique régissant la propriété intellectuelle qui met en place un Comité National de Lutte contre la Contrefaçon. Mais d’une part ce comité semble encore loin d’être opérationnel, d’autre part l’État ferait mieux de commencer par mieux équiper ses agents de la douane chargés de la lutte contre la contrefaçon.Notons que la corruption et le système judiciaire défaillant sont des freins à la lutte. D’autant que des hauts dirigeants sont souvent impliqués dans les trafics.

‘’ Les Hommes marchent presque toujours dans les voies frayées par d’autres, et procèdent dans leurs actes par imitation.’’ Ainsi Machiavel déplorait dès 1513 dans Le Prince l’appauvrissement intellectuel et stratégique engendré par l’imitation. A l’heure actuelle, cette même problématique perdure sous la forme de la contrefaçon. Et l’arrivée prochaine des nouvelles imprimantes 3D sur le continent Africain risque de considérablement aggraver la situation. C’est pourquoi il est nécessaire que les gouvernements africains mettent en place une lutte régionale et œuvrent sérieusement à une amélioration de l’environnement des affaires, ce qui évitera la fuite des entrepreneurs africains vers des réseaux illicites. Mais cela paraît bien difficile à court terme et, dans l’immédiat, les entreprises d’intelligence stratégique spécialistes de l’investigation sont les seules solutions efficaces offertes.

Gaspard Le Roux, sciences-po Lille. Le 15 août 2014


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