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Les combattants (Thomas Cailley)

Publié le 26 août 2014 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

On pourrait considérer qu’il s’agit d’un film décalé, sur le décalage. Un film touchant, profond, portés par ses jeunes acteurs, qui dit la vérité sous couvert d’une dérision réussie. Un film français qui plus est, proposé par son jeune réalisateur et sélectionné à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs.

Ce qui fait la réussite de ce film, c’est trois ingrédients associés avec justesse et imbriqués : l’humour du ton (des répliques aux situations), le scénario qui surprend en allant où on ne s’y attend pas, la puissance des jeunes acteurs, Adèle Haenel et Kevin Azaïs,qui donnent une vraie crédibilité au mal générationnel qu’ils représentent.

Dès le début captivés, c’est par l’humour et les plans dans l’action, on oscille entre la gravité de la situation et l’ironie de la situation.

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Les deux jeunes frères artisans du bois, débattent de l’essence la plus appropriée pour le cercueil de leur père, tandis qu’un employé des pompes funèbres leur propose des choix de produits de qualité discutable à prix exorbitants.

Le ton est donné, le film ménagera toujours cette dualité, de ses personnages que tout oppose : la jeune femme qui joue les dures, le jeune homme sensible ; à la vanité de la vie et de ses situations : le camp de survie dans lequel les deux héros s’engagent se déroule en pleine forêt mais jouxte une station service, l’amusement dans notre société qui est synonyme schématiquement, d’agitation sous les spots sur de la musique bon marché et comme le dit vulgairement l’héroïne « faire la pétasse du dancefloor” ; en passant par la vacuité de la vie à laquelle les personnages opposent des projets d’avenir très concrets (loin des études longues de Madeleine, titulaire d’un master en macro-économie finalement inutile puisque tel qu’elle le dit “ça sert à prévoir des mouvements économiques qui ne se produisent jamais”), et plutôt manuels qu’intellectuels ; et jusqu’aux convictions de cette génération : s’en remettre aux éléments plutôt qu’en la société de consommation, et en soi plutôt qu’en quelqu’un d’autre.

Dans une logique d’inversion des rôles classiques c’est Arnaud, le jeune protagoniste, qui donne une touche d’espoir et de délicatesse : parce qu’il est le seul à accorder du crédit au discours dramatique de Madeleine, parce que les plans serrés du réalisateur sur son visage révèlent sa sensibilité, parce qu’il vit les choses pleinement en saisissant les opportunités de la vie et en choisissant de croire en l’humain. En cela, il contre les théories catastrophistes de Madeleine dont le seul but est de s’engager dans l’armée pour apprendre les techniques de survie, pour être parée à la fin du monde menacé par de multiples facteurs naturels comme humains. Arnaud convainquant par sa délicatesse, autant que sa sensualité virile, tente de percer la carapace de son amie et infiltrer les mystères de son regard farouche, qu’il souligne avec brio lors d’un atelier maquillage-camouflage lors de leur stage militaire. A l’inverse de Madeleine qui lutte contre la vie (persuadée que l’existence est une survie, s’entêtant à battre des records physiques, à anihiler sa condition féminine), il se fait repérer par le recruteur avec facilité, sans faire quoi que ce soit, il est promu lors de leur stage dans l’armée, et démontre sa puissance physique à maintes reprises.

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Madeleine, elle déboulonne ses interlocuteurs : à ses voisines de chambre au camp militaire qui s’exclament “t’es vachement musclée mais qu’est-ce que tu fais dans la vie ?” elle répond froidement “de la macro-économie”. Portée par Adèle Haenel, qui transcende son rôle, le personnage de Madeleine incapable de tendresse et d’altruisme (insensible au charme attendrissant d’un petit furet, comme à l’amitié naissante avec Arnaud, elle l’accompagne “s’il veut” son dernier soir avant son départ pour le stage, et ne sait montrer qu’elle pense à quelqu’un d’autre qu’à elle. Mais au fil du film, la force de ses certitudes s’étiole. Le camp militaire, la survie et la vie sauvage, sont-ils vraiment ce qui peut rendre la vie plus supportable ? Plus sensée ? Dans l’ironie des événements, montrée avec justesse lors des différents épisodes du stage dans l’armée, on suit la lente et douloureuse désillusion de la jeune femme.

Dans un jeu de miroir et une analogie réussis avec l’animal, la jeune femme qui vient de démontrer maladroitement qu’elle est capable d’élans envers un chien, s’approche de la même façon de son ami, qui ne s’y attend plus. C’est sans doute dans la relation et dans le rapport à l’autre qu’il est possible de trouver son intérêt et de donner un sens à son existence.

Dans leur démonstration avortée qu’il est possible de vivre selon le précepte, “d’amour et d’eau fraiche”, et comme pour répondre aux craintes de la jeune femme, c’est les éléments qui happent les deux jeunes protagonistes. Une fumée angoissante et apocalyptique recouvre alors la terre et le village désolé et déserté dans lequel ils trouvent refuge. Cet épisode final introduit avec succès le doute et l’inquiétude, avant de basculer dans une issue heureuse et inattendue.

A voir :
Les combattants
, de Thomas Cailley, (1h38)

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