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Gouttes d’eau sur pierres brûlantes x La Cantine

Publié le 06 septembre 2014 par Jebeurrematartine @jbmtleblog

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Le collectif La Cantine, compagnie au bienheureux logo vichy rouge, posera à la fin du mois ses valises sur les planches de Théâtre de Belleville afin d’y interpréter « Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » – une tragi-comédie écrite par Rainer Werner Fassbinder en 1966, à l’âge de dix-neuf ans.

La première pièce écrite par Fassbinder


Dans le Berlin des années 70, Franz, jeune homme de vingt ans, rencontre par hasard Léopold, plus âgé, qui l’invite à le suivre chez lui. Ce dernier parvient à séduire Franz, qui va abandonner fiancée, famille, travail et appartement pour s’installer chez son amant.

« Léopold va se révéler être un pervers narcissique et un manipulateur. Il va détruire Franz, rentrer dans sa tête, censurer ses idées, contrôler le moindre de ses gestes et de ses pensées. C’est un drame, mais il y a un aspect comique dans l’histoire » explique Hugo Bardin, le metteur en scène.

« Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » n’a jamais été mis en scène du vivant de l’auteur. Depuis, la pièce demeure peu jouée dans les théâtres français : cela s’explique notamment par la sortie en 2000 d’une adaptation cinématographique par François Ozon, devenant dès lors une référence pour le grand public.

Le sujet du pervers narcissique


Quand on lui demande s’il y a une part de provocation dans le choix de cette pièce, où le sexe est très présent et où les protagonistes sont deux hommes en couple, Hugo répond que non. «  Ce qui m’intéresse ici, c’est le sujet du pervers narcissique. Je trouve plus avant-gardiste de parler de cela que d’homosexualité au théâtre. Ce sont les personnages et l’univers de Fassbinder qui m’ont également séduit. »

« C’est incroyable que Fassbinder ait écrit ça si jeune » continue-t-il. « Le terme de pervers narcissique est seulement apparu à la fin des années 80, on n’en parlait pas du tout avant. L’histoire pourrait à première vue être celle d’une simple dispute conjugale, mais cela décrit de manière extrêmement précise le cheminement du pervers narcissique : les détails sont trop parlants pour qu’il s’agisse seulement d’une histoire de couple. »

Antonin Chalon, interprète de Franz, précise que « les pervers narcissiques sont des gens très intelligents et sensibles, mais profondément égocentriques. Ils voient les choses de leur manière et ne conçoivent pas qu’elles puissent être autrement. » Foncièrement malade, Léopold « reproche à Franz des choses que lui-même fait. Parallèlement, il joue sur le fait de n’être jamais trop affreux pour donner l’envie à son amant de partir ; il va savoir le consoler, car il ne veut pas perdre la personne qu’il est pourtant en train de détruire. »

Le cas de perversion narcissique, encore tabou de nos jours, touche aujourd’hui près d’un couple sur cinq. Un sujet presque universel d’après Hugo : « On peut tous être le Léopold, et on peut tous être le Franz. Parce que Léopold ne se rend pas compte qu’il fait du mal, parce que lui-même pense qu’on lui en fait. »

Quatre rôles complexes


Emmanuel Rehbinder, qui joue le rôle de Léopold, raconte sa fascination pour son personnage : « il n’a profondément pas conscience d’être méchant, il est malade – il pense sincèrement que le monde est un endroit insupportable. Ce personnage possède beaucoup de facettes : au début de la pièce, Léopold montre son aspect très séducteur. Puis il se révèle beaucoup plus noir, avant de revenir à un entre-deux. Il y a énormément à jouer pour un acteur. »

« Je pense que c’est ce qui en fait un rôle intéressant pour Emmanuel : il joue le bourreau, mais il croit qu’il est une victime. Et les rôles peuvent s’inverser ensuite entre les personnages. Il n’y a pas d’issue » rapporte Hugo.

Mais si Léopold se révèle être une personnalité complexe, Franz n’en est pas moins intrigant. Pris au piège, « il peut opter entre vivre libre ou continuer son histoire destructrice, mais il n’a pas conscience d’avoir ce choix-là. Il est manipulé et ne voit plus très clair. Je me figure ça comme être attiré dans une souricière » confie Emmanuel.

Antonin, lui, explique que chacun peut être confronté à ce genre de situation, et qu’il est délicat de s’en rendre compte. « Cela arrive à beaucoup de gens je pense, parfois dans des relations amicales ou dans le cadre du travail. Tout le monde peut le comprendre ; c’est un rapport de force et de pouvoir très particulier. Moi-même je pense m’être déjà retrouvé dans cette situation. »

Aussi, autour des deux protagonistes prennent place deux personnages féminins, Anna et Véra. Loin de les mettre en retrait, Hugo déclare avoir besoin que les rôles féminins lui plaisent pour se décider à mettre en scène une pièce. « A priori, quand on regarde le texte, ce sont seulement deux idiotes. Mais justement, il y a tellement de choses à faire avec ces rôles-là, pour rendre les deux femmes intéressantes et manipulatrices. »

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Une mise en scène du mal-être


Pour ce qui est de la mise en scène, Hugo avoue avoir choisi les années 70 dans leur aspect « ringard et un peu glauque. Je me suis inspiré des sitcoms allemandes des années 70 pour le décor et les costumes. Tout est lent, les couleurs sont moutardes, marrons, vertes, on n’est pas à l’aise. Concernant les musiques, on a puisé du côté de l’électronique, de la chanson « Libertango » de Grace Jones et de la musique des films de Peter Greenaway. On a essayé de créer une boucle sans fin. »

« De manière générale, les pièces de Fassbinder sont montées soit de façon très sombre, en omettant tout l’humour que l’on y trouve, soit de façon très kitsch, en en faisant ressortir l’homosexualité. Fassbinder est un auteur pessimiste, mais avec un humour noir. » La principale difficulté pour le metteur en scène demeure avant tout de ne pas copier le film de François Ozon : « Le piège est de jouer la pièce de manière trop cinéma, c’est-à-dire trop naturaliste. Si on le fait, on risque de perdre quelque chose. Et puis il faut garder du rythme pour ne pas perdre le spectateur. »

« Le sujet parle à tout le monde, donc on peut y ajouter de la théâtralité. Le théâtre de Fassbinder est très trivial, il aborde des choses quotidiennes, respecte une cohérence dans les déplacements, les délais dans les scènes sont tous indiqués. Y apporter de la théâtralité enlève le côté voyeur que l’on pourrait avoir si l’on était dans quelque chose de trop réaliste. »

« Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » de Rainer Weiner Fassbinder
Mise en scène Hugo Bardin
Avec Antonin Chalon (en alternance avec Alexis Gilot), Marie Petiot, Emmanuel Rehbinder et Kameliya Stoeva
Durée 1h30
Théâtre de Belleville (94 rue du faubourg du Temple, métro Belleville ou Goncourt)
Du 22 septembre au 21 octobre, Dimanche et lundi 21h15, Mardi 19h
https://www.facebook.com/events/309190265926695/?fref=ts

 


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