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Mardi 8 septembre 1914, faites-bien remarquer surtout que si votre belle cathédrale n'a pour ainsi dire pas été effleurée, c'est que nos canonniers avaient reçu de l'Autorité supérieure, l'ordre formel de la respecter

Par Cantabile @reimsavant

L’occupation continue.

Le ‘’Courrier de la Champagne’’ reparaît.

La ville est assez calme jusqu’au lendemain.

Gaston Dorigny

Paul Hess

Quelle n'est pas ma surprise, en me promenant dans la rue Colbert, ce matin, d'entendre au loin un crieur de journaux. D'abord, je n'en crois pas mes oreilles - mais, il n'y a pas de doute, je l'aperçois, s'arrêtant pour distribuer ses feuilles à droite et à gauche. Je hâte le pas afin d'arriver à lui avant épuisement de son stock, tout en me demandant ce que cela peut bien être, et je reconnais qu'en effet, il s'agit là du Courrier de la Champagne. Le journal, dont le format est considérablement réduit, reparaît pour donner les faits de cinq jours.

Dès que je l'ai en poche, je rentre à la maison afin de le savourer - nous avons une telle soif de nouvelles - et je lis le résumé d'un entretien que le rédacteur a eu avec le commandant d'armes allemand, lieutenant-colonel von Kiesenvetter, pour solliciter l'autorisation de publier quelques nouvelles. Cette autorisation lui aurait été accordée, sous la réserve qu'il ne serait parlé ni de mouvements de troupes, ni des opérations militaires.

Le commandant d'armes aurait dit qu'il ne voyait aucun inconvénient à ce que Le Courrier de la Champagne reparaisse dans ces conditions. Il aurait ajouté :

Dites bien que nous regrettons tout les premiers la déplorable erreur qui a amené le bombardement de votre ville. Ce bombardement est dû à ce qu'un corps d'armée prussien ayant envoyé la veille des parlementaires à Reims, et ces parlementaires n'étant pas rentrés le lendemain à neuf heures du matin, on a considéré, d'après les règles unanimement admises, que ces parlementaires avaient été retenus prisonniers. Ce corps d'armée, du reste, n'était pas le même que celui dont les officiers discutaient au même moment, à l'hôtel de ville, la question des réquisitions.

Faites-bien remarquer surtout que si votre belle cathédrale n'a pour ainsi dire pas été effleurée, c'est que nos canonniers avaient reçu de l'Autorité supérieure, l'ordre formel de la respecter. Dans un article de tête, intitulé : "A nos lecteurs", le rédacteur explique : Au point de vue de l'information extra-locale, la situation ne s'est pas modifiée; notre ville reste toujours comme emmurée par rapport au monde extérieur. Ni du côté allemand, ni du côté français, ne filtre aucune nouvelle, quelle qu'en soit l'importance, même il nous a été impossible d'obtenir le moindre renseignement sur la question, pourtant mondiale, de la nomination du nouveau Pape.

Il ajoute que Le Courrier va s'efforcer de fournir à la population si éprouvée, une lecture qui la réconforte et l'encourage au milieu des tristesses de l'heure présente, tout en faisant connaître les ordres et avis de l'autorité afin de conseiller le public qui va se trouver aux prises avec les multiples difficultés qu'engendre la situation actuelle.

La tâche du courageux journaliste ne sera pas aisée. Il lui faudra savoir manœuvrer habilement, tout en déployant des qualités de mesure, de tact, et faire preuve d'un doigté difficile pour pouvoir nous faire connaître ce qu'il désirera nous apprendre. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce projet hardi, en faisant des vœux pour que l'entreprise réussisse - et en souhaitant bonne chance à M. Gobert, qui en a pris l'initiative - car, nous avons revu et lu avec plaisir son journal réapparu aujourd'hui, quoiqu'il ne nous ait pas appris grand'chose que nous ne savions déjà.

Mais les déclarations tout à fait inattendues du commandant d'Armes allemand, parlant du bombardement du vendredi 4 comme d'une déplorable erreur, me laissent sceptique. Cette manière de présenter les choses, me produit même, ni plus ni moins, l'effet d'une dérision macabre.

De même, je me permets de douter que si la cathédrale n'a pas été atteinte par les obus qui sont passés si près de sa tour nord, nous le devons à l'ordre formel de la respecter, reçu de l'autorité supérieure, par les canonniers allemands. Je trouve la plaisanterie un peu épaisse et j'y vois encore un bluff voulant donner le change, dans le but de transformer notre légitime indignation en reconnaissance et en remerciements béats.

N'y aurait-il pas lieu, au contraire, de se réjouir, en l'occurrence, de la maladresse des artilleurs allemands.

L'église Saint-André et la basilique Saint-Remi ont été touchées ; il s'en est fallu de si peu que la cathédrale ne le soit, que pour ma part, j'ai du mal à accepter cette explication de tir à côté. Cela me paraît vraiment trop fort et je reste convaincu qu'un examen de gens du métier, démontrerait facilement que les obus tombés rue Robert de Coucy et rue Eugène Desteuque lui étaient bien destinés, ainsi du reste que ceux venus éclater rue des Trois-Raisinets et boulevard de la Paix qui, eux, semblent être passés au-dessus ou entre les deux tours.

- On ignore tout de la guerre, quoique j'aie entendu parler, aujourd'hui, d'une bataille qui aurait eu lieu vers Montmirail, sans rien savoir de plus. On dit aussi que plusieurs quartiers de Rethel ont été brûlés. D’Épernay, on n'a que des nouvelles contradictoires. Que s'y est-il passé ?

- En longeant, cet après-midi, la rue Robert de Coucy, j'ai été le témoin unique d'une petite scène rapide, qui ne vaudrait pas la peine d'être retenue si elle n'avait été, par elle-même, assez caractéristique de l'état d'esprit de certains des hôtes que les événements nous ont imposés.

Une automobile arrivait à toute allure, de la rue du cloître, pour se diriger sans doute vers le Lion d'Or, où il y a beaucoup d'Allemands de la Kommandantur. Dans cette voiture puissante derrière deux officiers dont l'un conduisait, se tenait un hussard de la mort, sous-officier ou homme d'escorte, tenant son revolver au poing, dans la position "haut le pistolet".

J'avais tourné la tête par curiosité, en même temps que deux femmes qui me précédaient sur le trottoir. Lorsque cette auto arriva à notre hauteur, le soldat ricanant, dévisagea ces femmes et se mit à brandir son revolver à bout de bras, voulant probablement les intimider ou leur faire comprendre qu'elles n'avaient pas à broncher. Dans tous les cas, assez vite pour qu'il l'ait vu, un haussement d'épaule de l'une de ces femmes, était la réponse immédiate à celui qui faisait si bêtement le malin. Son geste imbécile m'avait révolté plus qu'elles apparemment, car sans y avoir prêté autrement attention et sans avoir arrêté leur conversation, elles continuaient leur chemin tout tranquillement.

- Deux affiches, émanant de la mairie, ont été placardées en ville. Voici leur texte.

"1 ° - Avis urgent.

Les habitants sont invités à s'abstenir absolument de toucher aux obus qui n'auraient pas éclaté et à les signaler immédiatement à la mairie (Bureau de police, rue de Mars).

Le moindre choc peut amener l'éclatement du projectile.

Reims, le 7 septembre 1914 le maire, Dr Langlet

2° - Ville de Reims

Nous rappelons à nos concitoyens que la tranquillité la plus complète doit régner constamment dans la ville.

Les autorités militaires allemandes ont pris toutes les mesures pour assurer le bon ordre parmi la population et elles ont prié en outre la municipalité de désigner chaque jour, deux notables qui passeront la nuit au quartier général, et dont la présence répondre du calme de notre ville.

Nous comptons donc sur nos concitoyens, pour que l'ordre ne soit troublé en aucune façon.

Reims, le 8 septembre 1914 Le maire, Dr Langlet"

Un petit renseignement dactylographié, non daté, intéressant au plus haut point les réfugiés des Ardennes et de la Meuse, a été également collé sur certains murs. Il est ainsi conçu :

"Mairie de Reims Avis

Les habitants des régions des Ardennes et de la Meuse (sauf région de Verdun) peuvent regagner leurs localités en prenant un laissez passer dans les commissariats de police, en présentant leurs pièces d'identité.

Faire viser ensuite par l'autorité militaire, hôtel du Lion d'or, place du Parvis."

Et voici la formule des laissez-passer délivrés :

"Erlaubnisschein. Herr oder Frau u. Kinder erhalten

die Erlaubnis von Reims nach zurückzukehren.

Reims, den 1914."

Une autre affiche, de l'autorité militaire allemande, dit ceci :

"Avis Les maladies contagieuses doivent être signalées immédiatement au commandant de place (hôtel du Lion d'Or).

Les malades déclarés devront être transportés de suite à l'hôpital civil (Hôtel-dieu) et admis dans la section des contagieux.

Signé : Lindig, Capitaine et commandant de la ville."

- Par moments, on entend le canon ; depuis le 3, il n'a pas cessé de tonner, au loin.

La ville vit maintenant dans un calme d'inquiétude, d'appréhension presque effrayant. Les magasins sont fermés.

Paul Hess dans La Vie à Reims pendant la guerre 1914-1918
Mardi 8 septembre 1914, faites-bien remarquer surtout que si votre belle cathédrale n'a pour ainsi dire pas été effleurée, c'est que nos canonniers avaient reçu de l'Autorité supérieure, l'ordre formel de la respecter
Mardi 8 septembre 1914, faites-bien remarquer surtout que si votre belle cathédrale n'a pour ainsi dire pas été effleurée, c'est que nos canonniers avaient reçu de l'Autorité supérieure, l'ordre formel de la respecter

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