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la syphilis tue

Publié le 08 septembre 2014 par Dubruel

d'après LE LIT 29 de Maupassant

Quand, le capitaine Orvain passait

Dans la rue, les femmes se retournaient.

Aussi, toujours paradait-il

Et sans cesse se pavanait-il,

Fier et préoccupé de sa cuisse,

De sa taille et de sa moustache.

Il les avait superbes, d’ailleurs, la moustache,

La taille et la cuisse.

La taille était élancée

Comme s’il eut porté un corset.

Il marchait

De ce pas un peu balancé des cavaliers

En tendant le jarret

Et en écartant les bras et les pieds.

Bref, le capitaine Albert Orvain

Multipliait les succès féminins.

En 1868, son régiment

Vint tenir garnison à Rouen.

La belle Irma, la maitresse, disait-on,

Du banquier Templier-Papon

Un jour, le vit.

Elle se montra et lui a souri.

Le soir même, Orvain était son amant.

Ils se compromirent mutuellement.

Tout le monde était au courant

Des amours entre Irma et l’officier.

Seul Templier-Papon les ignorait.

Le capitaine répétait à tout instant :

-« Irma m’a conseillé – Irma

Me disait cette nuit – Hier, dinant avec Irma… »

Cet amour, du capitaine à Rouen,

Dura plus d’un an

Mais voilà,

La guerre éclata

Et le régiment d’Orvain fut envoyé

Au front, parmi les tout premiers.

………………..

La guerre terminée, Orvain

Fut muté à Rouen, un beau jour de juin.

Aussitôt, il demanda

Des nouvelles d’Irma.

D’après certains,

Elle avait fait une noce effrénée

Avec l’état-major prussien.

Selon d’autres, elle s’était retirée

Chez ses parents,

Cultivateurs en bas pays normand.

L’absence d’Irma causa à Orvain

Un grand chagrin.

Il attribua son malheur aux Prussiens :

’’ Ils me le paieront, les gredins ! ’’

Or un matin, comme il entrait

Au mess pour déjeuner,

Un commissionnaire lui remit un pli.

Il l’ouvrit :

’’ Mon chéri si affectionné,

Je suis à l’hôpital, bien malade,

Gravement malade.

Viens me voir. J’en serais contente.

Ton Irma. ’’

Le capitaine remué de pitié, déclara :

’’ Nom de nom, elle est souffrante ! ’’

Il partit aussitôt à l’hôpital

D’un pas énergique.

Là, on lui indiqua la salle

Des syphilitiques.

Il entra et demanda Irma. :

’’-Lit 29 ’’. Il s’approcha

Et murmura :

-« Irma… »

Un lent mouvement se fit dans le lit

Et le visage de sa maitresse surgit

Mais si changé,

Si maigre, si fatigué

Qu’il ne le reconnaissait pas.

Haletant, elle prononça :

-« Albert !

C’est toi, Albert !

Oh ! …c’est bien…

C’est bien… »

-« Qu’est-ce que tu as eu ? »

-« C’est écrit sur la porte, tu l’as pas vu ? »

-« Comment as-tu attrapé ça ? »

Elle balbutia :

-« C’est ces salauds d’Allemands.

Ils m’ont prise et m’ont empoisonnée.

Je crois vraiment

Que je ne vais pas en réchapper. »

-« Tu ne t’es donc pas soignée ? »

-« Non, j’ai voulu me venger

Et je les ai tous empoisonnés. »

-« Tu as bien fait ! »

-« Ah ! Oui, j’en ai tué ! »

Au bout d’un moment,

Orvain, ne sachant plus que dire,

Prétexta : -« Je dois partir.

Le colonel m’attend. »

-« Déjà !

Tu me quittes déjà !

Veux-tu m’embrasser

Avant de me quitter ?

Tu reviendras, dis, tu reviendras.

Promets-moi que tu reviendras. »

-« Oui, je te le promets. » -« Peux-tu jeudi ? »

-« Oui, jeudi.

Adieu, chérie. »

Et confus, Orvain partit.

Le soir, un lieutenant lui demandait :

-« Alors, Irma, ta dulcinée… ? »

Il répondit l’humeur faussement chagrine :

-« Elle a une fluxion de poitrine. »

-« Oh ! Pour ça, non. Tu mens.

On l’appelait la femme aux Allemands ! »

Trois jours après,

Orvain recevait

Une lettre d’Irma.

Il n’y répondit pas.

Deux semaines s’étaient écoulées

Quand il reçut un pli cacheté

De l’aumônier de l’hôpital :

’’ Irma Paoli est au plus mal. ’’

Gonflé d’orgueil humilié,

Orvain se rendit à la maison de santé.

-« Qu’est-ce que tu me veux ? »

-« Il parait que je suis au plus bas.

J’ai voulu te dire adieu. »

Le capitaine ne la crut pas.

-« Écoute, tu me rends

La risée du régiment.

Ça ne peut pas continuer. »

-« Mais qu’est-ce que je t’ai fait,

Dis-moi ?

N’ai-je pas toujours été gentille avec toi ? »

Il reprit d’un ton vibrant :

-« Je ne viendrai plus te voir dorénavant

Parce que ta conduite avec les Prussiens

A été une honte, ai-je appris. »

-« Ma conduite avec les Prussiens ?

Mais je te l’ai dit :

Ils m’ont prise, et je t’ai dit aussi

Que je ne m’étais pas soignée

Exprès pour les empoisonner.

J’aurais pu guérir mais je voulais les tuer! »

-« Dans tous les cas, c’est honteux. »

-« Qu’est-ce qui est honteux :

Mourir pour avoir exterminé

Des dizaines de salauds d’Allemands ?

Tu ne parlais pas ainsi auparavant !

Et puis toi, t’en aurais pas fait autant.

J’en ai tué plus que toi, des Allemands ! »

Orvain restait effaré : -« Oh ! Tais-toi…

Je ne te permets pas

De parler de ces choses-là.

Tais-toi ! »

-« Serait-ce arrivé si, ces Allemands,

Vous les aviez empêchés d’arriver à Rouen ?

C’est vous qui deviez les arrêter.

Moi, je leur ai fait plus de mal que toi.

Je vais mourir et toi,

Tu vas te balader.

Tu vas faire le beau, toi !

Ah ! Tu es un joli poseur, toi ! »

Le capitaine se retira

Et courut chez lui s’enfermer.

Il entendait encore Irma :

‘’J’en ai tué plus que toi !

Oui, plus que toi !’’

Le lendemain, elle décédait.


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