Magazine Beaux Arts

Salle 5 - vitrine 6, côté seine : 17. du palmier-dattier et de ses fruits

Publié le 09 septembre 2014 par Rl1948

    ... Brichot était trop heureux de pouvoir donner d'autres étymologies végétales (...) :

"Un des Quarante, dit Brichot, a nom Houssaye, ou lieu planté de houx ; dans celui d'un fin diplomate, d'Ormesson, vous retrouvez l'orme, l'ulmus cher à Virgile et qui a donné son nom à la ville d'Ulm ; dans celui de ses collègues, M. de la Boulaye, le bouleau ; M. d'Aulnay, l'aulne ; M. de Bussière, le buis ; M. Albaret, l'aubier (je me promis de le dire à Céleste) ; M. de Cholet, le chou ; et le pommier dans le nom de M. de la Pommeraye" (...)

Marcrel  PROUST

A la recherche du temps perdu, V

Sodome et Gomorrhe 

Paris, Gallimard, Livre de Poche 1641-1642,

p. 332 de mon édition de 1966. 

  

     A l'extrême fin du XVIème siècle avant notre ère, - sous les règnes d'Amenhotep Ier et de ses successeurs immédiats -, le Directeur des Tombes royales, Directeur des Travaux du Temple d'Amon, Directeur des Greniers d'Amon et par ailleurs Gouverneur de Thèbes, Ineni, obtint l'infime privilège régalien d'être inhumé à Cheik abd el-Gournah, dans la montagne thébaine, sur la rive ouest du Nil, parmi les hauts fonctionnaires, ses pairs.

     Les égyptologues qui étudient les conceptions funéraires se sont abondamment penchés sur le programme iconographique des hypogées de ces riches particuliers du Nouvel Empire et ont ainsi constaté qu'il s'ouvrait sur quelques changements, voire de flagrantes nouveautés, dans le répertoire des scènes peintes ou gravées et, notamment, pour certains d'entre eux, les représentations de jardins, qu'ils fussent ceux de temples, comme chez Neferhotep, Sennefer et Merenrê ou le leur propre, comme Rekhmirê, Senedjem ou Pached.

     

     Ainsi que je le mentionnai sans plus de détails le 20 mai dernier, celui d'Ineni (TT81) eut ceci de spécifique d'avoir conservé, sur la face ouest du deuxième pilier de la partie sud du portique d'entrée, une représentation en couleur d'une importance extrême pour notre appréhension de la végétation arboricole de la XVIIIème dynastie : en effet, sur le dessin un peu naïf ci-dessous que j'ai exporté d'un forum espagnol

Jardin-tombe-d-Ineni.jpg

l'on voit un jardin, - que dis-je ? une propriété - qui dut être immense.

     Outre que les trois premières colonnes du texte hiéroglyphiqueprésent dans la partie supérieure gauche de la scène, au-dessus de ce qui subsiste encore du défunt et de son épouse assis sous un dais, - voir sur ce sitecopie d'un gros plan réalisé à l'encre par l'égyptologue anglais Norman de Garis Davies -, indiquent, de haut en bas et de droite à gauche, qu'Ineni est en train de regarder ces arbres, grands et parfaits que, sur terre, il a plantés dans (son) jardin, sous les éloges de ce noble dieu Amon, Seigneur de Karnak, la suite énumère pas moins d'une vingtaine d'arbres et arbustes, en nombre imposant pour certains d'entre eux, que le défunt souhaita y voir associés : 73 sycomores, 31 mimusops, 170 dattiers, 120 palmiers-doum, 5 figuiers, 5 grenadiers, 12 vignes, 9 saules et 10 tamaris

     Oeuvre unique, semble-t-il, - Ineni, dans l'état actuel des fouilles archéologiques est bien le seul notable à avoir dressé semblable liste -, ce "jardin", vous l'aurez compris, amis visiteurs, contrairement à ceux que nous connaissons aujourd'hui, ne fut manifestement pas que d'agrément mais, et pour les évidentes raisons religieuses et funéraires que je vous ai également déjà signalées, délibérément empreint de connotations symboliques de manière à assurer à son propriétaire la meilleure existence possible dans l'Au-delà.

     À l'extrême fin du XXème siècle de notre ère, - sous la présidence de Pierre Rosenberg -, le nouveau redéploiement des collections au sein du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre met en évidence, devant nous dans cette salle 5, sur l'étagère de gauche du panneau central, côté Seine, séparant en deux portions distinctes la vitrine 6,

Vitrine 6 (Côté Seine) (L.-p.)

certains des fruits qu'Ineni dut savourer : réalisés en différentes matières, ces modèles ont appartenu à quelque trousseau funéraire dont tout défunt aisé espérait bénéficier dans sa maison d'éternité.

     Comme vous l'aurez d'évidence compris la semaine dernière, qu'elles se soient passées en Belgique ou à l'étranger, et même si, en Crète, le récit légendaire du Minotaure enfermé par le roi Minos en son labyrinthique palais de Cnossos aux fins que non seulement il ne s'échappât point mais qu'en outre nul ne soupçonnât son existence, avait en commun avec maint dieu du panthéon égyptien antique d'être thérianthrope, d'égyptologie dans mon chef, il ne fut guère question tout au long de ces vacances puisque, sur le seul plan intellectuel, je les avais décidées essentiellement proustiennes.

     Aussi, ce ne fut qu'après mon retour "définitif" au pays, donc dans la dernière semaine d'un août relativement frais et pluvieux et aux premiers jours d'un septembre guère plus favorable que, mettant à profit les notes de lecture rédigées avant mes escapades estivales surbecquets et paperoles, morceaux de papier, chiffon ou de Japon, de riz ou d'Arménie - j'eusse là pu composer une chanson ! -, je décidai de reprendre le fil des considérations qui nous occupent depuis un temps certain pour, à partir d'aujourd'hui, vous entretenir du palmier-dattier, ainsi que le titre donné à notre présent entretien vous l'aura évidemment permis de deviner. 

     Toujours bien présent dans le paysage égyptien contemporain, 

 

08.-Palmier-dattier.JPG

cet arbre produit de généreuses grappes de fruits, les dattes,

09.-Fruits-Palmier-dattier.JPG

qu'ici, en cette salle 5, nous retrouvons tout à la fois dans le récipient en verre n° 15 du socle vitré 9 (N 1418)

 

Coupe 15 - Dattes et noyaux de dattes (N 1418)

et, sur l'étagère devant nous, entre les simulacres de laitues romaines, en bois, à gauche, et la coupe de faïence, à droite, deux modèles également en bois, (E 9316 et E 9317), peut-être du Nouvel Empire, le cartel assortissant cette indication d'un prudent point d'interrogation. 

 

Etagere---Partie-gauche.jpg

     Je me garderai bien d'ici parodier pour vous, amis visiteurs, le Professeur Brichot, sorbonnard dont, selon Proust, les habitués des soirées du mercredi chez les Verdurin se gaussaient volontiers dès qu'il se lançait dans une de ses explications d'étymologie botanique semblable à l'extrait que j'ai choisi ce matin en guise d'exergue.

     Nonobstant, arrivés au terme de cet entretien et avant de lui consacrer notre prochain rendez-vousaccordez-moi quelques instants supplémentaires pour rapidement signaler les diverses acceptions que vous seriez susceptibles de rencontrer au sein de la littérature consacrée à cet arbre plurimillénaire.

     À ce que l'on désigne en français sous le vocable de palmier-dattier, - mais aussi date palm en anglais, Dattelpalme en allemand, palmera datilera en espagnol ou palma da datteri en italien -, il vous faut savoir que les Égyptiens avaient attribué le nom féminin de bnrt (prononcez : bénéret)

     De manière à être universellement compris, les scientifiques contemporains, plébiscitant d'évidence la langue latine plutôt que les dénominations vernaculaires, l'appellent désormais Phoenix dactylifera L.

     Phoenix probablement parce que, selon le savant qui, en 1734, détermina et dénomma l'espèce, le naturaliste suédois Carl von Linné, auquel déjà j'eus rapidement l'opportunité de faire allusion lors de notre rendez-vous du 20 maidernier, les Grecs de l'Antiquité le considéraient comme l'arbre des Phéniciens (Phoinike ou Phoinix).

     La culture du palmier-dattier est d'ailleurs appelée phoeniciculture.

     Existe une autre hypothèse qui, faisant appel à ces mêmes Grecs, établit une comparaison entre le phénix, oiseau légendaire qui renaissait de ses cendres et le dattier qui avait la propension de reprendre vigueur même après avoir subi les assauts des flammes.

     Aux philologues, - ou aux poètes- , de trancher !

     Dactylifera parce que Linné voyait dans les dattes que l'arbre portait (fero, du verbe "porter" en latin) une forme de doigt (dactylus, en latin).

     Quant au "L." dont cette dénomination est assortie, n'allez pas vous imaginer qu'il connote une quelconque classification alphabétique. Non, il représente plus prosaïquement la première lettre du patronyme du savant suédois.

     Dans le même ordre d'idées, permettez-moi de vous rappeler que nous avons précédemment croisé le Mimusops laurifolia (Forsk.) et le Hyphaena thebaïca (Del.) faisant respectivement référence à Pehr Forsskal, autre figure suédoise de l'étude des végétaux et au Français Alyre Raffeneau Delile, ce dernier déjà évoqué le10 juin.

     Ce que les naturalistes, ce que les égyptologues qui ont étudié les espèces botaniques de l'antique Kemet nous apprennent à propos du palmier-dattier, je me propose donc, amis visiteurs, de vous l'exposer  le mardi 16 septembre prochain si, comme je l'espère, nous nous retrouvons ici même, devant la vitrine 6, côté Seine, de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.         

BIBLIOGRAPHIE

BAUM  Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, p. 1.

GROS-BALTHAZARD Muriel & alii 

Origines et domestication du palmier-dattier (Phoenix dactylifera L.) - État de l'art et perspectives d'étude, dans  Revue d'ethnoécologie, 4. (2013). Librement téléchargeable sur ce site.

LOEBEN  Christian E.

Les jardins égyptiens. Les plus anciens du monde, dans Égypte, Afrique & Orient 72, Avignon, Centre d'égyptologie, 2014, pp. 25 sqq. 


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