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Pour l'économiste Gaël Giraud, "la politique d'austérité se trompe de diagnostic"

Publié le 10 septembre 2014 par Blanchemanche
#autérité #transitionénergétique
PROPOS RECUEILLIS PAR HENRIK LINDELL
© Stéphane OUZOUNOFF/CIRIC
Selon l'économiste jésuite, la politique d'austérité budgétaire aggrave la spirale de la déflation. Pour l'auteur d'Illusion financière, c'est d'abord aux banques de se désendetter. L'Etat, lui, devrait s'engager d'urgence dans la transition énergétique.Quel regard portez-vous sur la politique d’austérité du gouvernement Valls II ?Je ne veux pas faire de procès d'intention à ce gouvernement, puisqu'il vient tout juste de s'installer. Je dirais simplement que la politique d'austérité préconisée par l'Europe et l'Allemagne se trompe de diagnostic. Souvent, on nous explique que la cause de la crise actuelle – chômage, panne de croissance, etc. – se trouve dans l'excès d'endettement public des Etats. Quelle est la preuve de cette affirmation ? En réalité, la cause de la crise économique actuelle est la déflation dans laquelle toute l'Europe est en train de tomber. Cette déflation provient de l'excès de l'endettement privé, pas public. Je vous rappelle que l'endettement des Etats tourne autour de 90 % du PIB en moyenne dans la zone euro, proche de celui des entreprises non-financières. L’endettement des banques est d'environ 350 % ! Le phénomène de la déflation est classique, car on a pu l’observer déjà dans les années 30 aux Etats-Unis, puis au Japon au milieu des années 90. D’ailleurs, le Japon n'est toujours pas sorti de la trappe déflationniste.Pourquoi, au fond, la déflation est-elle si dangereuse ?Si tout le monde essaye de se désendetter en même temps – en vendant ses actifs – cela provoque la chute des prix et on entre ainsi dans une spirale déflationniste. Cette chute des prix peut être plus rapide que la vitesse à laquelle les dettes diminuent, de sorte que, paradoxalement, le poids réel de la dette augmente !  Autrement dit, plus on essaye de se désendetter simultanément, plus la dette augmente. Il ne faut donc pas que tout le monde se désendette simultanément mais l'un après l'autre.
Ce qui me paraît fondamental dans ce contexte, c'est évidemment que le secteur bancaire se désendette en premier. Car tant que ce secteur sera écrasé par ses propres dettes, il ne pourra plus faire des crédits bancaires à l'économie réelle. Ce qui provoque l’arrêt des investissements et l’impossibilité d’une reprise. En revanche, les dépenses publiques alimentent les stabilisateurs qui ralentissent l'effondrement de l'économie. Elles doivent donc être rognées en dernier.Vous êtes favorable à un Etat interventionniste. Dans quel domaine devrait-il s'engager davantage ?L'Etat devrait intervenir pour favoriser, financer et encourager la transition énergétique. Pourquoi est-ce important ? Entre autres parce que c’est l’énergie qui pilote une grande part de la croissance. Savez-vous qu’au moins la moitié de la croissance pendant les Trente glorieuses provenait simplement de l'augmentation de la consommation de l'énergie ? Une fois qu'on a compris l’importance de l'énergie, il faut se demander d'où elle vient en Europe : en grande partie de l'extérieur, via notre importation du pétrole (70 milliards d'euros chaque année, pour la France). Nous dépendons beaucoup trop du pétrole importé. Dans ces conditions, et dans la mesure où le pétrole pollue beaucoup et sera de plus en plus contraint en volume, nous avons tout intérêt à diminuer cette dépendance. Bien entendu, il ne faut pas le remplacer par le charbon, car ce serait catastrophique pour l'environnement, mais par exemple par du gaz, ce qui est déjà un peu mieux en termes de CO2. Pour réduire notre dépendance en pétrole, on en a pour au moins 30 ans.C’est plus qu’un plan de relance, c’est un choix de société…Oui. L’an dernier, j’ai participé au comité d’experts du Conseil national du débat sur la transition énergétique (CNDTE) auprès du gouvernement. Une douzaine de scénarios de transition énergétique pour la France ont été élaborés par une cinquantaine d’autres experts. Il faut mettre en œuvre un vrai débat démocratique sur ces scénarios. C'est un choix de société, en effet. Quelle place pour le nucléaire ou le gaz de schiste, par exemple ? Il faut en débattre. Ensuite, ce sera à l'Etat de trouver les moyens correspondants et d'aider à leur financement, en sachant que ces investissements seront peu rentables à court terme. Mais si on est persuadé que la priorité devrait être de désendetter l'Etat coûte que coûte, nous avons peu de chance de nous en sortir.L'Etat peut-il encore s'endetter, selon vous ?Je ne dis pas que la contrainte budgétaire publique n'existe pas. Mais si on a un vrai projet économique, il peut valoir la peine d'augmenter la dette publique. Actuellement, elle est à 92 % du PIB en France, un chiffre qu'il faut comparer à la dette japonaise qui atteint 250% du PIB. Tenter de se désendetter à tout prix provoquera la chute du PIB et... fera augmenter le ratio dette publique/PIB.
Cela dit, j'ai élaboré au sein du CNDTE des propositions de financements qui permettraient d'assurer des transitions énergétiques sans augmenter la dette publique. L'Etat français pourrait apporter ainsi sa garantie publique sur certains prêts bancaires pour des investissements à long terme, tant dans les infrastructures que dans la rénovation des bâtiments. C'est donc comme si c'était l'Etat qui finançait alors que ce n'est pas lui. Ces garanties sont du hors-bilan, et n’ont pas d’incidence sur la dette publique.Cela fait quelques années que la croissance ne revient pas ou demeure très faible. Peut-on faire sans ?Premier point : je ne vois pas du tout comment dans le modèle actuel on pourrait retrouver la croissance dans les vingt années qui viennent. Compte tenu du fait que la croissance vient au moins pour moitié de la consommation de l’énergie et que nous n’arriverons certainement pas à augmenter cette consommation-là avec la part actuelle du pétrole dans notre mix énergétique, c’est tout simplement impossible. En plus, la déflation tue toute opportunité de croissance.
Deuxième point : l'absence de croissance du PIB, est-ce bien grave ? Je n’en suis pas sûr. Le PIB est un mauvais indicateur. Nous devrions nous désintoxiquer de cette idée que la croissance du PIB est la clé du bonheur. Le débat n'est pas : pour ou contre la croissance du PIB ? Changeons d’indicateur. On pourrait par exemple utiliser la batterie d'indicateurs alternatifs analysés par Florence Jany-Catrice et Jea Gadrey http://developpementdurable.revues.org/1695
Troisièmement, si nous réalisons la transition énergétique, qui est un programme qui nous occupera pendant plus d'un demi-siècle, on créera beaucoup d’activités, donc des emplois. Augmentera-t-on le PIB ? Cela n’a pas une importance de premier ordre. Le seul qui s'en plaindra, c'est l'Etat dont la base fiscale repose en grande partie sur le PIB. Mais, de toutes les manières, nous devons aussi réformer profondément notre système fiscal, notamment dans le sens préconisé par Piketty.Une nouvelle Commission européenne est en gestation. Sur le plan économique, que devrait-elle faire tout de suite ?Il y a deux urgences à mon sens. La première est la régulation financière. Depuis la crise de 2007-2009, on a trop peu avancé en cette matière. L’Union bancaire est encore à un stade embryonnaire et, de mon point de vue, très insuffisante. Le secteur bancaire européen est très fragile, proche d'une faillite possible à tout instant. Une énorme épée de Damoclès pèse sur notre Europe !
Par ailleurs, les cours boursiers mondiaux ont dépassé les niveaux qui étaient les leurs avant la crise de 2007. Nous avons donc une nouvelle bulle financière, gigantesque, qui est alimentée par les liquidités injectées par les banques centrales à destination des banques. Actuellement, sur les marchés financiers, il n’y a quasiment plus de primes de risques. C’est le signal que la bulle ne va plus durer très longtemps : des investisseurs s’endettent pour acheter des actifs financiers, et qui ne pourront pas rembourser leurs dettes car l'économie réelle, paralysée par la déflation, ne peut pas suivre l'embellie artificielle de la finance. On est à nouveau dans une situation comparable à celle de 2004-2005. Face aux risques, je pense qu’il faut imposer la directive Barnier sur la séparation des banques. Cela pourrait être fait en trois mois. La loi de séparation française est un tartufferie, et ne sépare rien. [La directive Barnier, qui sera examinée à partir de novembre, vise à interdire aux banques de spéculer pour leur propre compte sur les matières premières et sur les produits financiers - actions, obligations, etc. - que l’on échange sur les marchés. Par ailleurs, la directive donne aux autorités de contrôle la possibilité d’imposer le cantonnement dans une filiale séparée d’autres activités de marché à haut risque, ndlr.]
La deuxième urgence, c’est la transition énergétique. Cela devrait être un projet européen financé par la Banque centrale européenne et la Banque européenne d’investissement. Voilà qui redonnerait un vrai projet politique à notre chère Europe.
A cela, j’ajouterais la nécessité de réformer à terme les institutions européennes, qui souffrent d’un déficit démocratique majeur. La Commission européenne, en particulier, n’a aucune légitimité démocratique.Le type de politique que mène Manuel Valls est-il libéral, blairiste, social-libéral, social-démocrate, socialiste ? Quel terme employer ?Je ne veux pas accabler le gouvernement Valls II qui n’a pas vraiment commencé à travailler. En ce qui concerne Valls 1, nous avons vu à l'œuvre une politique inspirée par la conviction que la prospérité provient de la financiarisation de la société. Les adeptes de cette politique ne croient plus à l’industrie, mais à la finance hors-sol. Ils mènent une politique de l’offre, alors qu’ils n’ont pas compris qu’il faut à la fois de l’offre et de la demande (pour sortir de la déflation, encore une fois). Financiarisation, mépris de l’industrie, politique exclusive de l’offre sont trois signes d’une politique néo-libérale. Même la droite européenne dans les années 50 n’aurait jamais fait ça. C’est le signe d’une certaine social-démocratie ouest-européenne qui n’a plus de projet économique. Comme elle ne sait pas quoi proposer, elle a fini par épouser les thèses d’un néo-libéralisme qui vient de la droite, mais qui est très partagé par une partie de la droite (non gaullienne) et une partie de la gauche (disons strauss-kahnienne, pour faire image) aujourd’hui. Quelle différence dans les programmes économiques entre François Hollande/Manuel Valls et ce qu’aurait fait Nicolas Sarkozy ?Arnaud Montebourg, qui voulait sauver l'industrie, avait-il un projet alternatif ?Oui, il a un vrai projet alternatif ! Idem pour Europe écologie les Verts et Nouvelle Donne. Montebourg veut en effet réindustrialiser l’économie française. Pour cela, il lui faut donc mettre au pas la finance. EELV et Nouvelle Donne sont, eux, favorables à la transition énergétique. Les projets alternatifs existent donc.

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