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La Guerre de Troie n'aura pas lieu [Jean Giraudoux]

Publié le 15 septembre 2014 par Charlotte @ulostcontrol_
Hello,

Je vous retrouve une nouvelle fois autour du thème de la mythologie, mais avec un livre un peu différent cette fois puisqu’il s’agit d’une pièce de théâtre ! De plus, il n’est pas question d’Œdipe ni d’Antigone cette fois, mais de la guerre de Troie et de ses personnages : Andromaque, Hector, Pâris et évidemment, Hélène ! C’est promis, la prochaine chronique ne traitera pas de mythologie, mais attendez-vous à en revoir sur le blog ;-)

La Guerre de Troie n'aura pas lieu [Jean Giraudoux]
« La guerre de Troie n’aura pas lieu », dit Andromaque quand le rideau s’ouvre sur la terrasse du palais de Priam. Pâris n’aime plus Hélène et Hélène a perdu le goût de Pâris, mais Troie ne rendra pas la captive. Hector, pour Troie, et Ulysse, pour la Grève, tentent à tout prix de sauver la paix. Mais la guerre est l’affaire de la Fatalité et non de la volonté des hommes. La guerre de Troie aura lieu. Pièce en deux actes, La Guerre de Troie n’aura pas lieu a été représentée pour la première fois le 22 Novembre 1935 au Théâtre de l’Athénée, sous la direction de Louis Jouvet. Son succès fut immédiat et éclatant ; il ne s’est jamais démenti.

Vous vous souvenez de Bauchau qui ne nous racontait pas le mythe d’Œdipe mais ce qu’il se passait après ? Et bien ici, c’est quasiment la même chose : Giraudoux ne nous raconte pas le déroulement de la guerre de Troie, mais la période juste avant la guerre, c’est-à-dire les quelques heures qui précèdent la déclaration de guerre de Sparte à Troie. Le rideau s’ouvre alors que Pâris vient d’enlever Hélène et de la ramener à Troie. Pour que vous vous y retrouviez parmi tous ces personnages, je vais déjà commencer par vous expliquer rapidement qui est qui :

  • Ménélas est le roi de Sparte et l’époux d’Hélène
  • Pâris, Hector et Cassandre sont frères et sœurs, leurs parents sont Priam et Hécube
  • Priam est le roi de Troie
  • Hector est marié à Andromaque, celle-ci est enceinte de leur fils Astyanax.
C’est donc une femme qui est à l’origine de la guerre puisque Ménélas déclarera la guerre à Troie afin de récupérer son épouse Hélène, enlevée par Pâris. Vous me suivez ?

Dans ce livre, Giraudoux observe et imagine la façon dont chaque personnage réagit face à une menace de guerre. En écrivant une pièce de théâtre et pas un roman, il met ainsi les paroles des personnages au centre du récit, et donc leurs pensées et leurs émotions. A première vue, on peut donc penser que, en mettant en scène ces personnalités mythiques dans un contexte aussi tragique que celui de la menace imminente d’une guerre, Giraudoux nous a concocté une tragédie digne de ce nom dans laquelle les passions des personnages et leurs sentiments les plus nobles seront décrits de manière très lyrique et poétique (un peu comme dans une pièce de Racine). Et bien pas du tout !La première chose qui surprend dans ce livre est le ton absurde qui est employé par Giraudoux et l’ambiance comique et loufoque de la pièce en général. Cela est du en premier lieu aux personnages et à leur caractère.En effet, les personnages sont complètement caricaturés, Giraudoux semble leur avoir attribué un seul trait de caractère : celui pour lequel ils sont mythiques. Hélène se résume ainsi uniquement à sa beauté, les troyens crient d’ailleurs « Vive la Beauté » (acte 1, scène 4) lorsqu’ils la voient passer, la réduisant ainsi complètement à son apparence ! Elle n’a d’ailleurs pas l’air d’avoir de caractère du tout, comme le montre la scène 8 de l’acte 1 : Hector parvient à la manipuler sans problème et à lui faire dire ce qu’il veut !Andromaque est quant à elle une mère-épouse et représente avec Hector, le guerrier invincible et directif, le « couple parfait ». Hélène dira même que « s’il suffit d’un couple parfait pour vous faire admettre la guerre, il y a toujours le vôtre, Andromaque. » (fin de la scène 8 de l’acte 2).Les personnages de Giraudoux sont donc beaucoup plus comiques que tragiques ! En les caricaturant, le dramaturge se moque d’eux et les rend ridicule. Il semble ainsi nous rappeler qu’il écrit à propos de personnages qui ne sont pas encore entrés dans la légende : avant d’être mythiques ils peuvent être aussi ridicules que de simples mortels.


La Guerre de Troie n'aura pas lieu [Jean Giraudoux]


L’absurde ne se trouve pourtant pas uniquement dans le caractère des personnages mais aussi dans la façon dont Giraudoux traite le sujet de la guerre.Celle-ci est d’abord pronostiquée par Andromaque et Cassandre dès la scène d’ouverture : « ANDROMAQUE : La guerre de Troie n’aura pas lieu, Cassandre ! CASSANDRE : Je te tiens un pari, Andromaque. »C’est l’aspect symbolique de la guerre qui est abordé ensuite : si Hécube trouve qu’utiliser une porte pour symboliser une guerre est stupide (acte 2, scène 4) : « ça fait tellement peu soigné » dit-elle, Demokos réunit quant à lui son premier conseil de guerre non pas pour discuter stratégie ou armement, mais pour « porter au comble l’enthousiasme des soldats » en créant un chant de guerre ! Mais c’était sans compter sur Le Géomètre qui considère « qu’il y a plus pressé que le chant de guerre, beaucoup plus pressé ! » : les épithètes. C’est-à-dire les insultes comme « cousin de crapaud » ou « fils de bœuf ». La scène qui traite du problème de l’épithète est d’ailleurs une des plus drôles du livre, selon moi ! Les personnages prennent tellement au sérieux cette histoire que ça en devient presque hilarant : « Des guerriers connus pour leur sang-froid le perdent illico quand on les traite de verrues ou de corps thyroïdes. Nous autres les troyens manquons terriblement d’épithètes. » dit l’un. « Nous sommes vraiment les seuls à ne pas insulter nos adversaires avant de les tuer » dit l’autre.Mais malgré la présence de la fantaisie et du comique dans la pièce, il s’agit quand même d’une pièce tragique. En effet, « le destin » est présent tout au long de la pièce : dès la première scène où Cassandre le définit comme « la forme accélérée du temps » et jusqu’à la scène 8 de l’acte 2, dans laquelle Andromaque dit que « l’univers veut quelque chose. Depuis ce matin, tout me semble le réclamer, le crier, l’exiger, les hommes, les bêtes, les plantes… Jusqu’à cet enfant en moi… ». On sent ainsi toute la fatalité qui pèse sur les personnages, et le caractère inévitable de la guerre.Les héros de cette pièce sont donc impuissants face à la guerre, et c’est d’ailleurs ce qui rend possible l’ironie tragique : en tant que lecteur ou spectateur, on connaît d’avance la fin de l’histoire et du mythe. Même si les personnages pensent que leurs efforts pour empêcher la guerre sont efficaces, nous savons qu’ils sont inutiles et qu’ils finiront par mourir. L’ironie tragique naît ainsi de la distance entre ce que sait le spectateur et ce que pense le héros. Le lecteur voit les personnages se débattre et essayer de briser leur destin mais ne peut rien pour eux.Enfin, ce qui est intéressant, c’est de mettre en perspective la pièce avec le contexte historique dans lequel Giraudoux l’a écrite. Il faut en effet souligner que la pièce a été créée dans les années trente, c’est-à-dire pendant la période de l’entre-deux-guerres en Europe. La peur d’Andromaque de voir la guerre éclater et son mari mourir peut ainsi symboliser la peur de chaque femme de l’époque. La montée des totalitarismes, les tensions entre l’Allemagne et la France, la crise financière, etc. ravivaient des souvenirs de la première guerre mondiale et rendaient la menace d’une nouvelle guerre chaque fois plus pressante. De nombreuses références à la guerre de 14-18 sont ainsi dissimulées un peu partout dans l’œuvre : les défilés sous les arcs de triomphe, les mutineries, etc.

La Guerre de Troie n'aura pas lieu [Jean Giraudoux]

→ MON AVIS

Comme pour Œdipe sur la route, j’ai beaucoup aimé découvrir « un moment parallèle » à l’histoire d’un mythe, ici la période juste avant la guerre. Encore une fois, je trouve que cela permet à l’auteur d’adopter un point de vue très original, et qu’il peut vraiment être créatif et imaginatif. L’originalité de la pièce m’a d’ailleurs tellement emballée que je l’ai lue d’une traite (je précise quand même qu’il s’agit d’une pièce très courte puisqu’elle commence à la page 50 et se termine à la page 160 !).J’ai tout de suite adoré le point de vue hyper original choisi par Giraudoux, le dynamisme et le rythme qu’il donnait à la pièce. En seulement deux actes, le dramaturge a réussi à inventer des dialogues excellents, piquants et drôles, des personnages ridicules mais singuliers et des scènes qu’on n’aurait jamais pensé pouvoir trouver dans une pièce à propos de la guerre de Troie ! Ce livre est un recueil de petites pépites et de phrases cultes « L’eau sur le canard marque mieux que la souillure sur la femme », « Le visage d’un roi que pince un crabe n’a jamais exprimé la béatitude », etc. En bref, on est assuré de passer un moment génial en lisant cette pièce.C’est donc, selon moi, une pièce très originale et très moderne que nous propose Giraudoux. L’empreinte « trop classique » qui peut freiner certains lecteurs ou les ennuyer n’est pas du tout présente ici, c’est un livre parfait pour lire plus de classiques ou se lancer dans du théâtre ! Je le conseille vraiment à tous ceux qui veulent lire une petite pièce épicée, dynamique tordante. Je trouve d’ailleurs que c’est une œuvre qui ressemble beaucoup à La Machine infernale de Cocteau (une autre pièce de théâtre géniale, moderne et surprenante autour des mythes – celui d’Œdipe, cette fois !) : si vous avez aimé l’une, vous aimerez forcément l’autre.Enfin, vous l’aurez peut-être deviné mais cette lecture est un vrai coup de cœur ! Je tournais autour de cette pièce depuis quelques années, et je me demande encore pourquoi je ne me suis pas lancée plus tôt. C’est pour moi une œuvre à découvrir de toute urgence, et vraiment une pièce qui pourrait faire aimer les classiques à ceux qui ont peur de s’ennuyer en les lisant ou de les trouver trop vieux. Vraiment, cette pièce se dévore en un rien de temps !


Dites-moi : avez-vous déjà lu La Guerre de Troie n'aura pas lieu ou La Machine infernale ? Y a-t-il des pièces de théâtre ou des romans qui vous ont surpris et auxquels vous ne vous attendiez pas ? N'hésitez pas à me faire partager vos dernières découvertes théâtrales !

A bientôt !



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