Magazine Cinéma

Vol 93 (United 93)

Par Kinopitheque12

Paul Greengrass, 2005 (États-Unis)

VOL 93


Dix ans après le 11 septembre 2001, en classe, des enfants de 13-14 ans savaient ce qu’il s’était passé. Ils avaient une connaissance des événements, du moins du double crash provoqué contre les tours de New York, savaient qui était visé et par qui. Il est peu probable qu’ils aient gardé un souvenir direct de la journée et de l’attaque terroriste (puisqu’ils avaient 2 ou 3 ans) mais, à partir des médias (cinéma compris), de leur entourage, de ce qu’ils avaient peut-être vu à l’école, ils ont construit une mémoire autour du fait. Onze, douze, treize ans après les événements, des élèves du même âge, nés cette fois pour certains juste après, perdent en précision, ne savent plus ce qu’était le World Trade Center et ont oublié le nom d’Oussama Ben Laden. Ils savent encore pour l’effondrement des tours jumelles mais n’ont plus idée des causes de la catastrophe. En 2014, et très rapidement l’opinion publique n’ayant couramment plus parlé que du « 11 septembre », j’entends maintenant demander « c’était quelle année déjà ? ». La fabrication de la mémoire collective est étonnante et plus encore, quand on y assiste au jour le jour, sa contamination et sa désagrégation.

Héritier d’une certaine veine documentaire (John Grierson ou Gillo Pontecorvo*), Paul Greengrass comme dans ses autres films basés sur des événements politiques réels (Green zone, 2010, Capitaine Phillips, 2013) se veut très précis dans sa reconstitution et très rigoureux dans ses suggestions (d’où le recours à des archives et à des témoignages très nombreux). Contrairement au World Trade Center d’Oliver Stone produit la même année (par la Paramount), Vol 93 (qui lui est un film Universal) n’évoque jamais l’attaque terroriste depuis le sol new-yorkais. Manhattan n’apparaît d’ailleurs que de loin (depuis la fenêtre d’un centre de contrôle ou bien par l’intermédiaire des téléviseurs). Se déroulant en temps réel, il décompose les 90 minutes de vol du Boeing 757 (un peu plus avec l’enregistrement des passagers), du décollage de l’aéroport international de Newark dans le New Jersey à son crash dans la campagne de Pennsylvanie. Cependant, Vol 93 ne devient un film de catastrophe aérienne que dans sa toute dernière partie. Au préalable, depuis l’avion et depuis plusieurs centres de contrôle et de sécurité aéroportuaires, on a vu comment, progressivement et dans une panique grandissante, les détournements d’avions de ligne et les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont été perçus par les premiers concernés. La réalisation est très vive, la caméra n’est jamais stable, jamais posée, les échanges entre interlocuteurs sont aussi réactifs qu’inquiets (le contrôleur de l’espace aérien américain Ben Sliney dans son propre rôle comme une dizaine d’autres). Quand il a les yeux rivés sur les moniteurs avec les ingénieurs aéronautiques, le spectateur ressent la même crainte constante de perdre le signal d’un des nombreux avions surveillés. Par sa manière de faire, efficace et maîtrisée, Paul Greengrass recrée les conditions du traumatisme (voir les expressions figées et les visages décomposés lorsque le deuxième avion s’abat sur la deuxième tour jumelle).

Cependant le réalisateur montre surtout des individus : les passagers dans leurs gestes quotidiens les plus simples, le personnel de la FAA (l’agence chargée de l’aviation civile) et les militaires chargés de la protection de l’espace aérien en pleine effervescence (et plutôt désorganisés d’ailleurs) quand la situation s’aggrave. Il donne également un visage et des expressions aux terroristes. Ces derniers hésitent, ont peur, prient, autant d’attitudes qu’ils partagent avec les autres passagers. Les terroristes ne sont pas des spectres désincarnés, ils ont un visage. Et les passagers du vol 93 ne sont pas les héros présentés par les politiciens américains**. Ils n’étaient certainement pas les patriotes qu’ils sont devenus une fois morts. Simplement des hommes et des femmes qui, dans une situation inextricable, ont tenté ensemble de sauver leur vie.


* Lire l’entretien réalisé par Samuel Blumenfeld pour Le Monde.fr le 21 novembre 2013 (consulté le 12 septembre 2014).

** George W. Bush lors du discours commémoratif, Flight 93 Memorial Speech, prooncé le 10 septembre 2011.


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