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ARON, Raymond &FOUCAULT;, Michel, Dialogue. Compte-rendu.

Publié le 28 septembre 2014 par Antropologia

DIALOGUE00-74db0 Paris, Lignes, 2007.

Sept ans après la publication, je lis le dialogue enregistré en 1967 entre Aron et Foucault. Il me semble poser la question des modalités de lecture d’un texte en m’appuyant sur celle de Jean-François Bert qui analyse en 21 pages un dialogue de 14.

En premier lieu, le commentateur étudie le dialogue comme un texte écrit, comme s’il avait été mûri et corrigé indépendamment des conditions d’expression. Outre qu’il s’agisse d’un bref échange d’à peine 19 minutes, comment ne pas prendre en compte la souplesse de Foucault et la rigidité relative d’Aron en raison de l’âge et du statut de chacun. Foucault y faisait la promotion des Mots et des choses et s’intégrait peu à peu parmi les « vedettes » de l’intelligentsia française. Rejeté par les Temps Modernes et Sartre, il ne pouvait se couper de toutes les ouvertures. Comment en effet, expliquer sa gentillesse qui ne s’adressait pas à tous (n’est-ce pas Garaudy ?) face à des positions opposées aux siennes ? Une note de la page 56, le dit explicitement : « Foucault était comme un petit garçon devant Aron ».

En second lieu, l’oubli (ou la méconnaissance) de Naissance de la clinique tant chez Aron que chez Bert. De façon beaucoup plus précise et argumenté que dans Les mots et les choses, Foucault y décrit le passage d’un type de médecine à un autre qu’il appelle « clinique », des flux aux symptômes à la fin du XVIIIème siècle. J’ai toujours lu Les mots et les choses comme l’élargissement des résultats de Naissance de la clinique, ce qui fait que le premier ne peut se comprendre que par le second.

En troisième lieu, Foucault est curieusement présenté par Bert comme structuraliste (« l’identification de Foucault au structuralisme » p. 40). Non seulement, plus tard il a dit explicitement le contraire (« Je n’ai rien à voir avec le structuralisme » (Foucault, 1994 : 579)) mais surtout, on ne voit pas en quoi il le serait, même de loin, à moins qu’on limite ses informations au splendide dessin de Maurice Henry reproduit dans « Roland Barthes par Roland Barthes » qui le montre habillé d’un pagne en compagnie de Lacan, Lévi-Strauss et Barthes (Barthes, 2002 : 721).

En quatrième lieu, y-a-t-il ou non rupture à la fin du XVIIIème siècle demande Aron? A la recherche infinie des sources et par son éclectisme, il affirmait une continuité entre Montesquieu et Auguste Comte alors que Foucault les rangeait dans des épistémès différents. L’enjeu est évidemment la pertinence de cette notion qui n’est pas évidente. Allons de l’assuré au plus discutable. Foucault a montré la rupture en médecine. En outre Kuhn a présenté un schéma de l’histoire des science fondé sur la « science normale » acceptée et le changement de paradigmes qui la fait changer. Il propose ainsi des moments de ruptures et d’autres plus calmes. Comme il l’a dit lui-même, à la différence de Foucault, Kuhn expliquait les révolutions alors que le premier ne faisait que les enregistrer. Enfin, le domaine d’étude de Foucault dans Les mots et les choses est si vaste qu’on ne peut s’attendre à des démonstrations aussi argumentées et précises que celles de Naissance de la clinique.

Les 14 pages enregistrées ont surtout l’intérêt de nous proposer l’image d’un Foucault qui n’était pas encore Foucault, ce qui permet de l’écouter en fonction de ce qu’il fera et de prendre conscience qu’il n’a pas toujours été celui que nous connaissons. Mais ce dialogue enregistré parle surtout de l’attitude du « Vieux » qui veut bénéficier de la notoriété nouvelle d’un auteur à succès et du jeune qui cherche à accéder au sommet de l’institution académique. Il cherche à se concilier des alliés dans la place quitte à arrondir ses positions. Pensons qu’à la même époque, une phrase de Foucault à propos de Sartre faisait « la une » de la Quinzaine littéraire avant d’être démentie puis supprimée : « Il faut secouer le cocotier ! » : mais Sartre n’avait pas de statut institutionnel.

On comprend alors que Foucault ne veuille pas la publication posthume d’inédits. Ils pourraient être lus comme des textes aussi élaborés que ceux dont il avait organisé l’édition. Heureusement, son vœu n’a pas été respecté, ce qui nous donne la si suggestive série de cours au Collège de France. Ils ne peuvent cependant être utilisés qu’en tenant compte des conditions de leur expression, c’est-à-dire comme des recherches non abouties.

Bernard Traimond

Bibliographie

BARTHES, Roland, Œuvre complète, Paris, Le Seuil, 2002.

FOUCAULT, Michel, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963.

Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966.

Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994.

KUHN, Thomas S., La structure des révolutions.



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