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Le Voyage dans le passé [Stefan Zweig]

Publié le 30 septembre 2014 par Charlotte @ulostcontrol_
Bonjour à tous !

Peut-être que vous le savez déjà, mais mon auteur préféré est Stefan Zweig : je l’ai découvert grâce au livre Le Joueur d’échecs, et depuis je ne m’arrête plus. C’est un auteur autrichien qui a surtout écrit des nouvelles ; ses récits sont donc courts et se lisent très rapidement, son écriture est particulièrement vive et dynamique et il a un talent incroyable lorsqu’il s’agit de décrire les passions humaines !

Depuis que je l’ai découvert, je ne ressors plus de librairie sans un livre de Zweig (même que parfois j’en prends deux), et je n’ai jamais été déçue ! Je voulais donc vous parler aujourd’hui du dernier livre que j’ai découvert : Le Voyage dans le passé.

Le Voyage dans le passé [Stefan Zweig]Louis, un jeune homme pauvre mû par une « volonté fanatique », tombe amoureux de la femme de son riche bienfaiteur, mais il doit partir au Mexique pour une mission de confiance. La Grande Guerre éclate. Les retrouvailles du couple n’auront finalement lieu que neuf ans plus tard. Leur amour aura-t-il résisté ? Dans ce texte bouleversait, resté inédit en français jusqu’en 2008, on retrouve le savoir-faire unique de Zweig, son art de suggérer par un geste, un regard, les tourments intérieurs, les abîmes de l’inconscient.

Stefan Zweig nous raconte ici comment deux personnages se sont rencontrés et aimés, comment ils ont été séparés et surtout comment ils se sont retrouvés. Le récit commence au moment où cet homme et cette femme se retrouvent après de nombreuses années loin l’un de l’autre. Si la première scène semble racontée d’un point de vue externe et objectif, la suite du récit se focalise entièrement sur le point de vue de Louis puisque le narrateur fera un bond en arrière d’environ 10 ans pour nous raconter l’histoire et l’évolution de ce héros.

Je voudrais commencer en vous disant que cela ne m’étonne pas du tout que le livre ait inspiré un film (Une Promesse de Patrice Lecomte) puisque le récit se visualise immédiatement et est très cinématographique.En effet, dans la première scène, Stefan Zweig nous plonge in medias res dans le récit en nous décrivant les retrouvailles passionnées des personnages sur un quai de gare (imaginez deux amants qui se retrouvent dans une gare après des années de séparation), avant de rompre soudainement la narration et de la reprendre par un flashback de Louis : alors que celui-ci est dans le train avec sa bien-aimée, il se remémore la première fois qu’ils se sont rencontrés et remonte le temps jusqu’à son enfance, comme dans Forrest Gump : le film commence alors que Forrest est sur son banc, mais le « vrai » film ne commence que quand Forrest se remémore son histoire et la raconte.J’ai trouvé que le roman en entier était à l’image de cet incipit, c’est-à-dire très visuel. D’habitude, je ne suis pas vraiment du genre à me représenter mentalement les histoires que je lis et à essayer de les illustrer, mais là, c’est venu spontanément sans même que je n’essaie de le faire !Mais ce qui me frappe surtout dans ce roman, c’est qu’il est très romancé. Reprenons l’exemple du début du roman : sur un quai de gare, les deux héros se retrouvent de manière passionnée et emportée, leurs émotions sont décrites intensément… Lisez par exemple le premier paragraphe du livre :

« Te voilà ! », dit-il en venant à sa rencontre les bras ouverts, presque déployés. « Te voilà », répéta-t-il et sa voix grimpa dans les aigus, passant de la surprise au ravissement, tandis qu’il embrassait tendrement du regard la silhouette aimée. « Je craignais tant que tu ne viennes pas ! »
Vous ne trouvez pas ça hyper enflammé, et même carrément cliché ?! Franchement, ça fait très « mauvais roman d’amour »… Le décor est cliché, les éléments sont très conventionnels, sans compter les émotions, les gestes et les réactions physiques qui sont mille fois vus et revus ! Au début du livre, j’ai été très surprise par le style très langoureux que prenait Zweig. Ce qu’il faut savoir à propos de cet auteur, c’est qu’il a pour principe d’utiliser les mots avec beaucoup de précaution et de parcimonie. Je crois que c’est dans une de ses lettres extraites de sa Correspondance (1920 - 1931) qu’il disait qu’il ne cessait de retravailler ses livres afin de les raccourcir, et qu’il chassait avec acharnement chaque mot superflu et inutile (d’où la brièveté de ses romans !). Vous comprenez donc que l’on peut être surpris quand on voit tant de minauderie dans un de ses livres, et ce dès le premier paragraphe !


Le Voyage dans le passé [Stefan Zweig]


En partant du principe que chaque mot utilisé par Zweig a sa place dans le roman et est minutieusement choisi, on comprend donc que les mots en gras de l’extrait ne sont pas là par hasard, mais pour nous faire comprendre quelque chose.Selon moi, ces mots sont là pour nous montrer à quel point la situation est absurde et ridicule. En effet, Louis a rencontré cette femme (dont on ne connait pas le nom) et en est tombé amoureux alors qu’il logeait chez son mari, dont il était l’assistant. Mais après plus d’un an de loyaux services, il s’est vu offert une proposition pour le Mexique : s’il est d’abord très enthousiaste à propos de cette évolution de carrière, il déchante rapidement lorsqu’il comprend qu’il ne verra plus celle qu’il aime, puisque son contrat s’étend sur deux ans. C’est à ce moment là qu’ils se déclarent l’un à l’autre, mais c’est déjà trop tard : à peine dix jours plus tard, Louis part pour le Mexique, lourd du regret de ne pas avoir pu « posséder entièrement le corps aimé »… La guerre éclate, et le contrat de Louis se prolonge finalement sur neuf ans ; les lettres qu’il avait pris l’habitude d’échanger avec son amante s’espacent et Louis finit par se marier avec une autre.Pourtant, lorsqu’il revient en Europe presque dix ans plus tard, il ne pense qu’à la revoir et reprendre leur histoire là où ils s’étaient arrêtés. « As-tu l’intention d’honorer ta promesse ? » lui demande-t-il. C’en est presque une obsession, malsaine et cruelle : « Cette soirée, cette nuit, il les exigeait encore d’elle. »Le beau roman d’amour, fougueux et enflammé, se transforme ainsi en un roman beaucoup plus sombre, dans lequel Louis s’enchaîne à cette femme à cause d’une promesse qu’elle lui a faite dans le passé, dix ans plus tôt. Ce qui ressemblait à de l’amour devient alors domination et manipulation.A travers ce roman, Zweig accuse ainsi l’envie que l’on peut avoir de croire que l’on peut reprendre une histoire là où on l’a arrêtée, et que le temps ne change rien. Le voyage en train, qui met en abyme le voyage dans le passé lui-même, symbolise notre volonté de revenir sur des moments heureux, de croire que le temps n’a pas passé et qu’en reprenant une histoire là où on l’a arrêtée, on retrouvera les mêmes émotions et le même bonheur. Mais cette vision des choses est idéaliste, comme nous le fait comprendre Zweig : la vie continue et le passé ne peut pas être rattrapé.En voulant retrouver le passé, Louis a commis une erreur et s’en rendra compte très brutalement : la fin du livre est en effet aux antipodes de l’incipit joyeux et naïf dont je vous parlais plus haut. A l’inverse, le livre se termine presque violemment : Louis devient haineux à la vue d’un défilé militaire, fait pleurer sa bien-aimée et la met terriblement mal à l’aise en l’emmenant dans une chambre d’hôtel miteuse, de telle sorte que le récit de Zweig se termine sur un constat amer et plein de désillusion. Le héros conquérant et ambitieux qu’on nous décrivait au début est à la fin plutôt misérable.Avez-vous vous aussi en tête un début de livre marquant, qui vous a étonné ou interpellé ? Ou une fin de livre qui tranche complètement par rapport au début de celui-ci ?



Le Voyage dans le passé [Stefan Zweig]
→ MON AVIS

Comme tous les Zweig, j’ai adoré cette histoire, mais ce livre est sûrement un de ceux qui m’a le plus surprise et grâce auquel j’ai découvert de nouveaux talents à cet auteur. Enfin, je dois admettre que j’ai l’impression de redécouvrir Zweig depuis que j’ai lu L’Ivresse de la métamorphose. D’ailleurs, beaucoup de choses dans Le Voyage dans le passé m’ont rappelé des éléments de L’Ivresse de la métamorphose, comme l’amertume que l’on ressent chez les personnages à la fin du livre, leur désenchantement et leur désillusion, mais aussi la scène de l’hôtel et de la chambre miteuse.Je préfère vous prévenir tout de suite : les personnages de ce livre ne sont pas le genre de personnages auxquels on s’attache et pour qui on éprouve beaucoup de compassion ou d’empathie. Sans forcément ressentir de l’aversion pour eux, ils ne sont pas touchants et on a plutôt l’impression de les regarder de loin, avec beaucoup de recul. Personnellement, ce n’est pas quelque chose qui me dérange ou qui me manque, puisque je trouve que la distance que l’on ressent avec les personnages est comblée par la proximité qu’on a l’impression d’avoir avec l’auteur. En fait, je trouve que Stefan Zweig est vraiment un conteur hors pair, d’ailleurs, ça peut paraître assez bizarre je le reconnais, mais l’image me semble parlante : Stefan Zweig, c’est un peu mon « père castor » ; vous savez, quelqu’un de bienveillant qui vous apaise, qui vous enrichit et vous fait grandir sans vous rabâcher une maxime de morale toute prête ? Ce que j’aime surtout chez Stefan Zweig et que je ne retrouve nulle part ailleurs, c’est son intelligence subtile mais immense, et je trouve que cela transparaît très bien dans ses romans.Concernant l’histoire et les thématiques du livre, je pense que cette réflexion sur le passé et le temps est quelque chose qui s’adresse à chacun d’entre nous : peut-on faire comme si le temps n’était pas passé ? Je pense qu’on a tous été, à un moment ou à un autre, confrontés à la volonté de reprendre une histoire (d’amour, d’amitié, familiale, etc.) là où on l’avait laissée, mais qu’on s’est finalement rendus compte que le temps avait passé et avait fait son travail. C’est un thème assez sensible qu’aborde Stefan Zweig dans ce roman puisqu’il aborde une réalité que l’on veut souvent ignorer et qui fait souvent notre faiblesse, et qu'il nous pousse à nous interroger sur notre rapport au temps.En fin de compte, je recommande ce livre à ceux qui sont intéressés ou touchés par la problématique du temps, qui s’interrogent sur la façon d’aborder leur passé, mais aussi à ceux qui en ont marre des histoires d’amour un peu gnan-gnan et qui aiment bien voir les personnages un peu maltraités par la vie !Par contre, je ne le conseille pas forcément à ceux qui veulent découvrir Stefan Zweig ; bien-sûr commencer par ce livre ne vous fera pas de mal et ne vous gâchera pas le plaisir de la lecture ou de la découverte, mais je pense que pour commencer avec Zweig, il faudra plutôt choisir une de ses œuvres plus emblématiques, comme Le Joueur d'échecs, 24h de la vie d'une femme ou La Confusion des sentiments !

J'espère en tout cas que cet article vous aura plu, vous aura donné envie de lire ce superbe livre ou de découvrir Zweig, ou même qu'il vous aura invité à vous interroger sur votre propre rapport au temps et au passé... Dites-moi en commentaire quel est votre auteur préféré, et si vous avez déjà eu l'occasion de découvrir Stefan Zweig !


Bises et à bientôt !

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