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Un prêtre papa

Publié le 02 octobre 2014 par Dubruel

d'après LE CHAMP D’OLIVIERS de Maupassant

Quand les hommes du port de Garandou

Aperçurent la barque de l’abbé Padoux

Qui revenait de la pêche, ils ont accouru :

-« Eh ben ! Bonne pêche, monsieur le curé ? »

-« Oui. Trois barbues,

Deux dorades et six rougets. »

Malgré ses soixante ans,

L’ecclésiastique

Était d’une nature énergique.

Il ressemblait plus à un aventurier

Qu’à un desservant.

Il sauta sur le quai,

Puis remonta

Vers son presbytère

À grands pas lents,

Avec un air de force et de dignité.

Il se découvrait par moments

Quand il passait sous l’ombre des oliviers

Pour livrer à l’air frais de la soirée

Son front carré,

Le front d’un officier

Plutôt qu’un front de curé.

Ses yeux calmes regardaient le village,

Son village,

Où il était curé depuis vingt ans.

C’était un homme du monde auparavant,

Le baron de Padoux, un homme fort élégant.

Ayant eu à trente ans

Un terrible chagrin d’amour, il se fit prêtre.

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Un ami lui avait fait connaître

Une actrice qu’il aima pendant

Quatre ans.

Il aurait fini par l’épouser

S’il n’avait découvert un qu’elle le trompait.

Le drame s’aggravait

Par le fait

Qu’elle attendait un enfant.

Le baron lui reprocha sa perfidie

Et l’aurait tuée sur le champ

Si elle ne lui avait pas dit :

-« Ne me tue pas. Ce n’est pas ton enfant. »

Alors, le baron lui dit seulement :

-« Va-t’en, laisse-moi

Et que jamais je ne te revoie. »

Elle obéit. Lui, partit de son côté

Sur les bords de la Méditerranée.

Une auberge lui plut. Il y demeura un an,

Dans le chagrin et un complet isolement.

Il confiait sa peine à Dieu,

À son Dieu

Dans de ferventes oraisons

Il Lui demandait conseil, secours, protection.

Il ne cessa pas toutefois d’aimer

Les exercices violents,

L’aviron et le tir au pistolet.

Mais maintenant, il détestait

Les femmes comme un enfant

Craint les mystérieux dangers.

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Le prêtre avait traversé

Le champ d’oliviers. Il s’est arrêté

Devant sa porte. Sa servante installait

La table du dîner.

-« Eh ! Martha ! Je vous apporte des rougets.

Vous allez me les faire griller au beurre,

Rien qu’au beurre,

Vous entendez ? »

-« Oui, monsieur le curé.

Ah ! Je dois vous dire aussi

Qu’un homme est venu trois fois

Vous demander ici. »

-« Un homme ?

Quel genre d’homme ? »

-« Je ne sais pas trop, ma foi. »

-« Un mendiant ? »

-« Je croirais plutôt un maoufatan. *

Tiens, le revoilà. » L’abbé aperçut

Un homme mal vêtu

Âgé de vingt-cinq ans environ,

Qui s’en venait vers sa maison.

-« Bonjour, curé ! » dit le voyou

-« Je vous salue » répondit l’abbé Padoux

À ce passant suspect

Le jeune homme questionna l’abbé :

-« Hé bien ! Vous me reconnaissez ? »

*Mot provençal signifiant rôdeur, malfaiteur.

Le prêtre, très étonné, le contemplait :

-« Pas du tout. Je ne vous connais pas. »

-« Ah ! Vous ne me reconnaissez pas ? »

-« Non, j’ai beau vous regarder,

Je ne vous ai jamais…. »

-« ’’vu’’, ça, c’est vrai.

Mais en voici un que vous connaissez. »

Et il tira de son sac une photographie,

Tâchée, marbrée, jaunie.

« Et celui-là, vous le connaissez ? »

L’abbé demeura stupéfait :

C’était

Son propre portrait,

Tiré jadis

Quand il était amoureux de l’actrice.

L’abbé ne comprenait pas.

Le vagabond répéta :

-« Le reconnaissez-vous, celui-là ? »

Le prêtre balbutia :

--« Mais oui. » -« C’est bien vous ? »

-« Oui, c’est moi. »

-« Eh bien ! Regardez-nous

Tous les deux, vous

Sur le portrait, et moi. »

-« Que me voulez-vous ? »

D’une voix méchante, le gueux

Répondit : -« …Mais je veux

Que vous me reconnaissiez. »

-« Mais qui êtes-vous ? » -« Qui je suis ?

Demandez

À n’importe qui

En lui montrant ça

Et j’en suis certain,…il rira.

…Et vous, vous ne me reconnaissez pas ?

Je suis votre fils, curé-papa. »

Alors, l’abbé, désespéré, gémit :

-« Ce n’est pas possible. »

Le jeune homme s’approcha tout contre lui :

-« Ah ! Ce n’est pas possible ? »

Il avait une figure menaçante,

Les poings fermés

Et parlait de façon violente.

Le prêtre se dit :

’’ Cet homme ne peut pas se tromper.’’

Et s’est exclamé :

-« Je n’ai jamais eu de fils. »

L’autre, riposta : -« …Et pas de maîtresse ? »

-« Si. » -« Et cette maîtresse

N’était pas grosse quand vous l’avez chassée ? »

Soudain la colère du curé,

Non pas étouffée mais murée

Au fond de son cœur d’ancien amant

Brisa les voûtes de son engagement.

Et explosa : -« Je l’ai chassée

Parce qu’elle m’avait trompé

Et qu’elle portait

Un enfant qui n’était pas de moi.

Sans quoi,

Je l’aurais tuée. »

Surpris par l’emportement du curé,

Le jeune homme hésita

Puis répliqua

Plus doucement :

-« Qui vous a dit que ce n’était pas votre enfant ? »

-« Mais…ma maîtresse, et en me bravant. »

-« Eh bien ! C’est maman qui s’est trompée,

Et de surcroît en vous narguant. »

-« Qui vous a annoncé

Que vous étiez mon fils ? »

-« Elle, en mourant…Et puis ceci… »

Et il tendit au prêtre une autre photographie.

L’ecclésiastique la prit

Et compara son interlocuteur inconnu

Avec le premier cliché. Il ne doutait plus :

C’était bien son fils !

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Menacée par l’amant outragé,

L’actrice, perfide, lui avait menti

Pour sauver sa vie.

Et le mensonge avait réussi.

Son fils était devenu ce miséreux,

Debout devant lui sordide et vicieux.

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-« Expliquez-vous un peu mieux. »

-« C’est pour ça que je suis venu, parbleu ! »

-« Alors, votre mère est décédée ? »

-« Oui. » -« Il y a longtemps ? »

-« Oui. Trois ans. »

-« Et comment n’êtes-vous pas venu

Me trouver avant ? »

-« Je n’ai pas pu.

J’ai eu des empêchements…

Je vais vous raconter

Mais auparavant, je dois vous avouer

Que je n’ai rien mangé

Depuis hier matin. »

L’abbé lui tendit les deux mains :

-« Oh ! Mon pauvre enfant, allons diner. »

Dix minutes plus tard, ils s’asseyaient

Devant le plat de rougets :

-« Comment vous appelez-vous ? »

Demanda l’abbé Padoux.

-« Père inconnu ; nom de ma mère.

Et j’ai deux prénoms

Qui ne me vont guère :

Philippe-Louis. »

-« Pourquoi vous a-t-on donné ces prénoms ? »

-« Maman a voulu

Faire croire à votre noble rival

Que j’étais son fils.

Jusqu’à mes quinze ans, il l’a cru,

L’animal.

Là, j’ai commencé à vous ressembler

Et la canaille, il m’a renié.

Et comme je ne ressemblais

À aucune personne de votre famille

Je fus appelé

Philippe-Louis de Fréville

Fils reconnu tardivement

Par ce comte-sénateur, amant de maman. »

-« Vous l’avez appris comment ? »

-« Lors d’une scène entre lui et maman. »

Quelque chose de tenaillant,

Une sorte d’étouffement

Oppressait l’abbé.

Cela lui venait,

Non pas tant de ce qu’il entendait

Mais de la façon dont elles étaient prononcées

Par cette crapule de voyou.

’’ Dire que c’est mon fils’’

Pensa l’abbé Padoux.

Mais il voulut tout écouter,

Tout supporter.

L’abbé appela Martha :

-« Apportez-nous deux bouteilles de rosé. »

Philippe-Louis, radieux, s’exclama :

-« Chouette ! Voilà une bonne idée ! »

-« De quoi est morte votre mère ? »

Questionna l’abbé.

-«De la poitrine.» -«A-t-elle longtemps souffert?»

-« Dix-huit mois à peu près ».

-« Elle vivait encore avec lui, n’est-ce pas ? »

-« Oui…mais avec des hauts et des bas. »

-« Furent-ils heureux

Tous les deux ? »

-« Ça aurait était très bien sans moi.

Mais j’ai toujours tout gâté. »

-« Comment et pourquoi ? »

Demanda l’abbé.

-« Le comte accusait maman

De l’avoir mis dedans.

Maman ripostait :

’’Quand tu m’as prise, tu savais

Que j’étais la maîtresse de l’autre.’’

C’est vous, ’’l’autre’’ »

-« Ah ! Ils parlaient de moi quelquefois ? »

-« Ils ne vous ont jamais nommé devant moi,

Sauf aux derniers jours, à la fin,

À la toute dernière fin. »

-« Et quand avez-vous appris que votre mère

Était dans une situation… irrégulière ? »

-« Je ne suis pas naïf, vous savez

Et je ne l’ai jamais été. »

Le garnement se versait sans arrêt à boire.

Ses yeux s’allumaient.

Le prêtre faillit l’arrêter mais il a pensé

Que l’ivresse le rendrait bavard.

-« Que disait-elle de moi, votre mère ? »

-« Ce qu’on dit d’ordinaire

D’un homme qu’on a lâché :

À savoir que vous étiez

Un compagnon particulièrement embêtant. »

-« Elle a dit cela souvent ? »

-« Oui. » -« Et vous, dans cette maison,

Comment vous traitait-on ? »

-« Moi ? Très bien d’abord

Et puis, on m’a flanqué dehors. »

-« Comment ça ? »

-«J’avais fait des fredaines. Ces gouapes-là

M’ont mis dans une maison de correction.

Ah ! J’en ai eu une vie

Après mon séjour dans cette prison !

Une drôle de vie !

On ne devrait jamais envoyer un garçon

En maison de correction

À cause des connaissances qu’on y fait.

J’ai fait une autre bêtise qui a mal tourné :

Comme je me baladais

Avec trois camarades, tous éméchés,

On a poussé une voiture

Dans une rivière. Le chauffeur dormait.

Il s’est réveillé dans l’eau. Il a dû nager… !

Mes copains m’ont dénoncé,

Ces sales cochons

Et me v’là en prison.

Mais ma dernière bêtise,

Il faut que je vous la dise

Parce que celle-là,

Elle vous plaira :

Je vous ai vengé, mon papa.

Quand, libéré, je suis rentré,

Maman m’a annoncé :

’’Je suis près de mourir

Et j’ai quelque chose à te dire :

’’ Ton père est toujours vivant. ‘’

Je le lui avais demandé pourtant

Plus de cent fois…

Mille fois…

Mais elle avait en permanence refusé

De me dire la vérité.

Maman s’était assise dans son lit

Et, s’adressant au comte, lui a dit :

-’’Je ne veux pas que mon fils meurt de faim.

Alors, faites quelque chose pour lui, Philippe.

(En lui parlant, elle le nommait Philippe)

Il répondit : -’’ Pour ce vaurien,

Jamais ! ’’

-’’ Voulez-vous qu’il meurt de faim, vraiment ? ’’

-’’ Rosette, je vous ai donné chaque année

Vingt mille francs chaque année.

Inutile d’insister.

Nommez-lui l’autre si vous voulez,

Je le regretterai bien

Mais en vérité, je m’en lave les mains.’’

Se tournant vers moi, maman reprit :

’’ Ton père, le baron de Padoux,

S’appelle aujourd’hui l’abbé Padoux,

Curé de Garandou, dans le Midi.

Nous étions amants

Quand je l’ai quitté pour celui-ci.’’

Elle me conta tout, sa grossesse y compris,

Mais elle m’a caché vous avoir mis dedans.

Maman devait mourir deux jours après.

Un soir, le comte me toucha le bras :

’’J’ai à vous parler.

Je ne veux pas

Paraître aussi méchant

Que je l’ai montré à votre maman.’’

Il m’offre un billet de mille francs.

Qu’est-ce que j’allais faire avec mille francs ?

Je vis, dans son tiroir, un gros tas de billets.

La vue de cette liasse de papiers,

Ça me donne envie de chouriner.

Alors, ce saligaud de comte, je l’ai égorgé,

Déshabillé, retourné

Et …ah ! ah !...je vous ai drôlement vengé !...»

-« Après cette ignominie, qu’avez-vous avez fait …? »

-« Je me suis sauvé.

Maintenant, …papa…papa-curé…

Est-ce drôle d’avoir pour papa un curé…!

Ah ! Ah ! Faut être gentil

Bien gentil avec bibi…»

-« Écoutez. Demain matin, vous partirez.

Vous vous rendrez

À l’endroit que je vais vous indiquer

Et vous ne devrez jamais le quitter

Sans mon autorisation.

Je vous verserai une petite pension.

Si vous me désobéissez une seule fois,

Vous aurez à faire à moi. »

Bien qu’abruti par le vin,

Le criminel comprit la menace et hurla :

-« Faut pas m’ la faire, papa…

T’es curé…et je te tiens…

Tu fileras doux, Ah ! Ah ! »

L’abbé sursauta,

Et lui jeta la table à la tête.

Sentant qu’il devenait au pouvoir du prêtre,

L’ivrogne sortit son couteau.

Mais l’abbé culbuta son fils sur le dos

Avec tant de violence qu’il ne remuait plus.

Alertée par le bruit, Martha accourut.

Elle vit d’abord le maoufatan,

Baignant dans une mare de sang,

Puis, sous la table, les pieds de l’abbé.

---------------------------

Les gendarmes devaient découvrir

Le curé et un homme qui semblaient dormir,

L’un, du sommeil éternel, la gorge tranchée,

L’autre, du sommeil des avinés.

Les deux gendarmes se jetèrent sur ce dernier

Et avant qu’il ne fût réveillé,

Lui passèrent des chaînes au poignet.

Puis le brigadier a interrogé :

-« Comment l’abbé

Ne s’est-il pas sauvé ? »

-« Il était trop soûl », répliqua Martha.

Et tout le monde fut de cet avis-là.

Personne n’imagina que l’abbé

S’était suicidé.


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