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L'amour et les forêts d'Eric Reinhardt

Par Sylvie

RENTREE LITTERAIRE 2014

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Editions Gallimard

Depuis Cendrillon et Le système Victoria, Eric Reinhardt est un auteur français de premier plan...que je n'avais jamais lu. Peut-être que ce physique très "Inrock"  était un frein. C'est en l'entendant présenter son dernier opus à la grande librairie avec une profonde humanité que j'ai eu envie d'ouvrir L'amour et les forêts. Et j'ai découvert une splendeur, sans aucun doute l'un des romans phares de cette rentrée.

Pour moi, ce roman réussit à être à la fois ultra classique et ultra contemporain. Je m'explique : une écriture très belle, lyrique donnant naissance à des épisodes follement romanesques. Des références explicites à la fin du XIXe siècle, l'amour des antiquités, des vieilles choses surannées.  Et en même temps, une modernité inouïe en mettant en scène un échange sur meetic mémorable et risible, en nous parlant de la société d'aujourd'hui, en n'ayant pas peur de parler de sexe de manière crue et décalée, avec humour. En bref, un mélange et une richesse de styles admirables mis en scène par plusieurs discours enchassés.

On cite une relecture du grand classique Emma Bovary. L'héroïne Bénédicte Ombredanne écrit une lettre à l'auteur pour le remercier d'avoir écrit son dernier roman, qui lui a donné envie de "réinventer sa vie". Ils vont se rencontrer deux fois, dans des cafés parisiens, et cette dernière va lui raconter son calvaire de femme harcelée psychologiquement par son mari. La lecture du dit roman lui a donné un jour l'envie de s'inscrire sur meetic et de vivre la plus belle journée de sa vie...qui marquera aussi le début de sa perte.

Ainsi racontée, cela peut être un banal fait divers. Dans les mains d'Eric Reinhardt, cela donne un récit en prose ponctué de fulgurances poétiques, où comme dans des correspondances baudelairiennes, les descriptions font penser à des références littéraires ou picturales : il y a bien sûr la référence explicite aux écrivains décadents de la fin du XIXe siècle et en premier lieu Villiers de L'Isle-Adam (L'agrément inattendu), il cite un tableau d'idylle de Fragonard. La scène de rencontre amoureuse dans la forêt n'est pas sans évoquer l'Amant de Lady Chatterley.

Les récits enchassés ne laissent aucun répit au lecteur, les longues subordonnées pouvant s'étaler sur une page. Quant aux dialogues, il sont souvent intégrés au récit. Ce flux verbal traduit parfaitement l'enfermement familial dans lequel se trouve l'héroïne. Tout le roman est traversé par une opposition entre la réalité la plus sordide, inacceptable et la force du rêve, l'idéal incarné par l'amour, la nature)(toute la symbolique de la forêt) et bien sûr la force de la littérature. Car ce roman majeur est bien sûr une ode à la femme bafouée mais aussi et surtout un chant d'amour adressé aux mots qui seuls peuvent sauver ou rendre la vie plus belle.

Arrêtons de disserter. Laissons plutôt la parole à Eric Reinhardt. Voici quelques extraits parmi les plus beaux :

"Rien n'est pire que le dur des surfaces planes, que le tangible des surfaces dures, que l'obstable des écrans qui se dressent, sauf si des films sont projetés. Je préfère le profond, ce qui peut se pénétrer, ce en quoi il est envisageable de s'engloutir, de se dissimuler : l'amour et les forêts, la nuit, l'automne, exactement comme vous. Claquemurées depuis tellement d'années dans la résignation, ses ambitions pour le bonheur, ses ambitions d'adolescente, avaient beau avoir été violentées par la vie, elle les avait ranimées récemment : elle réclamait dès lors de chaque journée qu'elle lui prodigue une minute irradiante, une heure miraculeuse, une enclave d'émerveillement, un grand soupir extatique oublieux des tristesses de l'existence"

"D'après ce que j'ai pu constater, elle ne portait que des couleurs sombres, elle était chaussée de bottines à lacets, elle arborait de la dentelle et des bijoux anciens, elle affectionnait le velours grenat ou véronèse de certaines vestes de coupe cintrée qu'on trouve dans les friperies. Cette allure évoquait l'univers symboliste d'Edgar Poe et de Villiers de l'Isle-Adam, de Maeterlinck, de Huysmans et Mallarmé, un univers crépusculaire et pâli où les fleurs, les âmes, l'humeur  et l'espérance sont légèrements fanées, délicatement déliquescentes, dans leur ultime et sublime flamboiement, comme une mélancolique et langoureuse soirée d'automne, intime, charnelle, toute de velours et de rubans soyeux, rosés, rouge sang"

"C'est drôle, quand on s'enfonce ainsi en soi et qu'on marche vers cette lointaine lumière habitée, c'est comme un paysage nocturne qui se déploie, grandiose, empli d'autant de sensations et de phrases qu'une forêt peut raisonner de cris d'oiseaux et de bruissements d'animaux, de senteurs de fleurs et d'écorce, de mousse, de champignon : son mental transformé en paysage ou en forêt, en territoire de chasse et de cueillette, où s'accomplissent des trajectoires cinglantes à travers bois, sinueuses, au mileu des taillis et des ronces, ou au contraire plus douces, rapides, rectilignes, sur l'épiderme d'une plaine cultivée. Les mots sont si gentils, étonnements dociles et bienveillants, il se laissent si facilement entrevoir et cueillir, je les ordonne sur la papier à la faveur de phrases que je trouve belles, qui se révèlent spontanément au fur et à mesure que j'avance, révélant à moi-même mon propre corps empli de sensations et de forces"


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