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Pesticides, la fin de la loi du silence ?

Publié le 12 octobre 2014 par Blanchemanche
#Pesticides #Vins #agriculture chimique

Si on ne les retrouve que dans des proportions infinitésimales dans le vin, les résidus de pesticides chimiques sont soupçonnés d'altérer la santé des vignerons qui les manipulent sans précaution. Enquête sur un sujet sensible.

Pesticides, la fin de la loi du silence ?

Un vignoble en cours de traitement.
En janvier 1991, Pierre est né dans l'Aude avec un bec de lièvre et, dans la bouche, une grave malformation du palais. Fin avril 1990, pendant son premier mois de grossesse, sa mère a travaillé dans des vignes désherbées chimiquement. Pour le docteur Montoya, chef du service de chirurgie plastique pédiatrique et coordinateur de la pédiatrie du CHU de Montpellier, qui a suivi le cas de Pierre, c'est peut-être l'exposition de la mère de l'enfant aux désherbants chimiques qui est à l'origine de cette malformation : « D'après mes observations cliniques de malformations oro-faciales apparues chez des enfants d'agriculteurs, je pense qu'il y a, dans plusieurs cas semblables, une corrélation possible avec l'exposition des parents à des pesticides chimiques ». Des enfants comme le petit Pierre, issus de familles vivant et travaillant en milieu rural, le docteur Montoya en  soigne depuis 35 ans. L'observation de ces cas et la publication de plusieurs études scientifiques menées à l'étranger l'ont conduit à pousser plus avant ses recherches sur les conséquences de l'utilisation des pesticides. Une tâche longue et difficile. Ainsi, l'étude épidémiologique censée « valider ou infirmer » son hypothèse, qu'il avait demandée en 1992, n'a jamais été réalisée, «faute de crédits ». Il n'existe donc aucune preuve de la responsabilité des pesticides dans la survenue de ces malformations. Mais le doute demeure, lancinant.
Une prise de conscience
Il l'est d'autant plus que, pendant des années, les pesticides (ou produits phytosanitaires) ont été déversés dans la nature dans l'indifférence générale. Aujourd'hui, on a conscience qu'ils ne sont pas inoffensifs - ils sont conçus pour tuer des organismes parasites vivants - et qu'ils ont sans doute des effets à long terme sur la santé de l'homme. De plus en plus de chercheurs travaillent sur la question. Des associations se battent pour réduire l'utilisation de ces pesticides.
"LA FRANCE EST LE QUATRIÈME CONSOMMATEUR MONDIAL DE PESTICIDES, AVEC PRÈS DE 95000 TONNES PAR AN."
Des colloques sont organisés. Le problème n'est plus tabou, et l'on peut s'en féliciter. La France est en effet le quatrième consommateur au monde de pesticides. Avec une utilisation moyenne de 95 000 tonnes par an (1), elle caracole en tête des pays européens. La vigne, qui couvre 850 000 hectares dans notre pays, reçoit 35 % du tonnage total épandu. Ces produits servent à protéger la récolte : les fongicides tuent les champignons responsables de maladies telles que le mildiou ; les insecticides éradiquent les insectes vecteurs de maladies ou de dégâts comme les cicadelles ; les herbicides détruisent les mauvaises herbes qui concurrencent la vigne. Le nombre de traitements réalisés sur la vigne est, certes, variable : de 8 à 18 par an. Mais hormis 2% de vignerons certifiés (ou en conversion) en agriculture biologique, la majorité d'entre eux utilise des substances chimiques de synthèse.
20, 30 ou 40 ans plus tard
Depuis 1991, la Mutualité sociale agricole (MSA) - la sécurité sociale des agriculteurs - a mis en place un réseau de toxico-vigilance qui recense les accidents liés à l'emploi des pesticides. Les symptômes observés sont d'ordres cutanés (allergies, eczémas...), hépato-digestifs (nausées, vomissements...), respiratoires (toux, oppression thoracique...), neuro-musculaires (céphalées, vertiges...), etc. Les intoxications se font préférentiellement par la peau, puis par les voies respiratoires, digestives ou oculaires. Si ces symptômes immédiats sont connus, les risques à long terme sont plus difficiles à apprécier. L'apparition de maladies ou de troubles chroniques graves peut en effet survenir 20, 30 ou 40 ans plus tard. « Des études menées à l'étranger ont toutefois mis en évidence des liens entre recours aux pesticides et effets retardés sur la santé 1995 confirme Isabelle Baldi, médecin du Laboratoire santé et travail de Bordeaux. Notamment avec certains cancers (hématologiques, prostate, tumeurs au cerveau...), des effets neurologiques (maladies de Parkinson, d'Alzheimer...), des troubles de la reproduction (stérilité, avortements, mortinatalité, malformations congénitales). Le lien avec certains cancers de l'enfant dans les familles où les parents ont été exposés aux pesticides a aussi été évoqué.
En 1995, l'étude du Pr. Viel

Pourtant, en France, les études menées les viticulteurs restent rares. En 1995, le professeur Viel, de la faculté de médecine de Besançon, a rendu compte d'un lien possible entre exposition aux pesticides et cancers du cerveau et de la vessie chez les viticulteurs. Plus récemment, la MSA a confié à Isabelle Baldi la réalisation d'une étude, Phytoner. Dans ses conclusions, on peut lire qu'il existe « des troubles neurologiques centraux chroniques chez les ouvriers exposés professionnellement aux pesticides de manière prolongée ». Autres résultats confirmés : les hommes exposés aux pesticides dans leur vie professionnelle ont 2,4 fois plus de risques de développer la maladie d'Alzheimer. De même, ils ont 5,6 fois plus de risques de développer la maladie de Parkinson« Ces résultats vont bien au-delà des troubles comportementaux commente Isabelle Baldi. Ils traduisent des difficultés du système nerveux central et l'existence de maladies neuro-dégénératives. »
« LES HOMMES EXPOSÉS AUX PESTICIDES ONT 5,6 FOIS PLUS DE RISQUES DE DÉVELOPPER LA MALADIE DE PARKINSON »
D'autres études sur les liens entre cancers, tumeurs et exposition aux pesticides, dont une à propos des enfants, sont attendus en 2005 ou 2006. Et un autre travail va être lancé cette année auprès de 600 000 agriculteurs par le centre de recherche François-Baclesse, à Caen. Les chercheurs s'intéressent aussi aux effets des produits phytosanitaires sur le système hormonal et endocrinien. « Certains pesticides ou dérivés de ses produits sont œstrogéno-mimétique et anti-androgènes, c'est-à-dire que leur activité peut interférer avec la différenciation sexuelle mâle ou le développement pubertaire chez la fille », affirme ainsi le professeur Charles Sultan, responsable du service d'endocrinologie pédiatrique du CHU de Montpellier (2). En revanche, sur le chapitre de la fécondité, une étude menée auprès de vignerons alsaciens n'a montré aucune différence significative entre des couples de la population générale et des couples dont l'homme est viticulteur.
Un classement d'initiés
Pour leur défense, les industriels et fabricants de produits soulignent que tous les scientifiques ne font pas la même lecture de ces études. Ils dénoncent des biais méthodologiques importants : le faible nombre de cas cliniques recensés, les difficultés de la mesure de l'exposition réelle ou encore la diversité des produits existant sur le marché. Sur le plan international, tous les pays ne s'entendent pas sur le classement des substances d'après leur toxicité chronique. Ainsi, seul le Centre international de recherche sur le cancer (Cire) a classé « globalement l'application d'insecticides » comme « cancérigène probable », en 1991. Et l'Agence de protection de l'environnement américaine (EPA) a classé cancérigène "probable" ou "possible" pour l'homme une trentaine de matières actives utilisées sur la vigne européenne, où elles sont exemptes de classement. Pour ne rien arranger, les évaluations officielles des niveaux de toxicité des produits sont souvent hermétiques. À Bruxelles, la directive communautaire 67/458 distingue les substances chimiques cancérigènes (C), mutagènes (M) et reprotoxiques (qui altèrent la fertilité ou la reproduction, R). Cette classification dite "CMR" comporte trois niveaux de danger pour l'homme. La catégorie 1 rassemble les substances dont les effets néfastes ont été prouvés sur l'homme.
« LES MATIÈRES ACTIVES LES PLUS DANGEREUSES ONT ÉTÉ ÉLIMINÉES », ASSURE LA COMMISSION DES TOXIQUES
Depuis l'interdiction de l'arsenite de soude, en 2001, plus aucune substance entrant dans cette catégorie n'est utilisée dans le vignoble. La catégorie 2 comprend les substances dont les effets cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques sont avérés chez l'animal, et donc probables pour l'homme. Cinq substances de cette classe sont encore employées pour traiter la vigne. Les matières actives classées en catégorie 3 provoquent des effets chez l'animal. Ils sont possibles chez l'homme, mais les preuves sont insuffisantes. Vingt substances utilisées pour le traitement de la vigne sont identifiées dans cette catégorie. En France, la Commission dite "des toxiques", chargée par le ministère de l'Agriculture d'évaluer les risques toxicologiques liés à l'emploi des pesticides, et la Mutualité sociale agricole plaident désormais pour l'abandon des substances classées en catégorie 2, « car il est impossible de s'assurer que le vigneron est bien protégé, même s'il porte un équipement spécial au moment du traite ment », précise le docteur Grillet, médecin général à la MSA. En revanche, « pour les catégories 3, il faut respecter un principe de réalité, assure-t-il. Les tumeurs observées chez la souris et le rat n'ont pas forcément une pertinence en termes de risque pour l'homme. »
Autre complication pour les vignerons en quête d'informations : la classification des produits par marque commerciale relève d'un autre texte communautaire, la directive n°99/45/CE relative aux préparations dangereuses. Les avis de cette directive sont modulés en fonction de la quantité de principe actif présent dans le produit de traitement. Si cette proportion est faible, une marque commerciale contenant une substance active cataloguée "CMR" échappe au classement (lire notre tableau page 32). Dernière subtilité : sur les étiquettes des produits, ce classement CMR n'apparaît pas directement. Il est signalé par un code d'identification, appelé "phrase de risque". Une mention obligatoire mais souvent rédigée en petits caractères et parfois omise. Par exemple, la phrase de risque R60 signifie "qui peut altérer la fertilité" et indique une substance classée en reprotoxique de catégorie 2. Il faut être initié pour le savoir.
35 molécules interdites
« Nous sommes conscients du problème et responsables : la commercialisation des matières actives les plus dangereuses a été interdite tempère Daniel Marzin, président de la Commission des toxiques. Une manière bien élevée de confirmer que l'indus- trie chimique a bien mis sur le marché, pendant des années, des produits dangereux. Pour la culture de la vigne, environ 35 molécules ont disparu depuis 1970, dont le DDT, cancérogène, proscrit depuis 1972 (mais dont on trouve toujours des traces dans le sang de la population), l'arsenite de soude, toléré pendant des années car c'était "le seul pro- duit" pour lutter contre les maladies du bois de la vigne. Ces mesures sont-elles suffisantes ? Des scientifiques et des associations continuent à dénoncer les lacunes du processus d'autorisation (à la fois européen et français). Ils pointent du doigt certains produits de traitement qui, outre le principe actif homologué, contiennent d'autres substances (adjuvants...) qui, elles, ne sont pas évaluées. Les effets combinés entre matières actives ne sont pas non plus expertisés.
Un habit de cosmonaute
La solution la plus efficace pour protéger les vignerons est le port d'une panoplie complète de protection, à savoir gants, bottes, masque à cartouches filtrantes, lunettes, combinaison et parfois casque intégral... Mais les vignerons rechignent, avant tout pour une question de confort, notamment sous les chaleurs d'été. Sans oublier qu'en portant « un habit de cosmonaute », on risque d'écorner l'image du métier. Cette frilosité est d'autant plus ennuyeuse que de nombreux vignerons peu avertis déclenchent les traitements suite à un conseil extérieur, souvent prodigué par... le vendeur de produits ! C'est ce que révélait une enquête publiée en 2000 par l'Office national et interprofessionnel des vins. L'autre solution consiste à orienter les vignerons vers le choix de produits moins toxiques pour la santé. La volonté politique de se lancer sur cette voie est-elle assez forte ? L'examen du plan interministériel de réduction de l'emploi des pesticides, attendu en 2005, nous le dira.
POUR ALLER PLUS LOIN

Peu de résidus nocifs dans le vin


« Retrouve-t-onces molécules dans le vin ? », se demandent de nombreux amateurs. Réponse : non, ou bien en quantités infinitésimales, a priori sans effet sur la santé. Les résidus encore présents sur les peaux au moment des vendanges sont en effet évacués dès la fermentation. Comparée à celle des fruits et légumes, la situation des résidus sur le raisin « est très bonne », précise le ministère de l'Agriculture. Le bilan de dix ans d'enquête (1990-2000) montre que lorsqu'une molécule est détectée, elle dangereuses « à un niveau très faible». Quand les bonnes pratiques agricoles sont respectées, «pour dix substances actives appliquées sur une parcelle de vigne, seules trois ou quatre peuvent être retrouvées dans le vin, à des teneurs faibles», entre 0,02 mg/1 et 2 mg/1. Les herbicides et anti-oïdium, notamment, « disparaissent totalement». Cela n'empêche pas l'amateur de s'informer sur les pratiques du vigneron.
 Vers des méthodes alternatives

Longtemps niés, les risques sur la santé humaine liés à l'emploi de pesticides sont désormais pris au sérieux dans le monde Une association de victimes de ces produits s'est constituée en avril 2004. « Pendant des années, on ne s'est pas posé de questions, témoigne un vigneron. Les mélanges étaient faits à mains-nues. On se moquait de ceux qui se protégeaient. Il n'y avait jamais eu de campagne intensive pour nous prévenir des risques Aujourd'hui, «globalement, les produits utilisés sont moins dangereux qu'il y a 25 ans et on se protège davantage » affirme un professionnel viticole. Des vignerons responsables travaillent davantage leurs sols plutôt que de recourir à des herbicides. Des groupes de producteurs intéressés par les méthodes alternatives se mettent en place un peu partout.
 De plus en plus de colloques sur le sujet

De plus en plus d'organismes publics et privés discutent des conséquences pour la santé de l’utilisation des pesticides, tels l’Association française pour la recherche thérapeutique anticancéreuse (Artac) ou encore le Mouvement pour le droit et le respect des générations futures. Plusieurs rencontres sont organisées sur ce sujet. Ainsi, le colloque "Cancer et environnement" s'est tenu le 7 mai 2004 à l'initiative de l'Artac, qui a lancé une pétition, intitulée L'appel de Paris, alertant sur les dangers sanitaires de la pollution chimique. Autre débat, les rencontres parlementaires du 9 décembre 2004 organisées par le groupe Santé et environnement de l'Assemblée nationale avaient pour thème : "Les impacts des pollutions chimiques sur la santé". La Cité internationale universitaire de Paris organise, elle, de janvier à juin 2005, un cycle de débats intitulé "Santé et environnement : comment changer d'ère ?".
Cet article a été publié dans La Revue du vin de France n°491 / mai 2005
(1) Moyenne sur dix ans.
(2) Charles Sultan dirige aussi le DEA français d'endocrinologie moléculaire.
(3) Enquête réalisée pour le compte de l’industrie agrochimique auprès des vignerons par ASK Business Marketing Intelligence et publiée par l'Onivins en novembre 2000.
http://www.larvf.com/,vins-viticulture-pesticides-analyse-enquete-dangers-sante-maladies-vignerons,2001116,4244181.asp
Florence Bal

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