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Improbable printemps de l’arabisme ?

Publié le 13 octobre 2014 par Gonzo

ouraoubimage3ourouba (عروبة) : le mot doit se traduire à la fois par arabisme (Arab nationalism) et arabité (arabness). Apparu à la fin du XIXe, la 3ourouba relève de ce Print Capitalism théorisé par Benedict Anderson, en d’autres termes le surgissement d’une nouvelle forme d’appartenance politique sous l’influence, entre autres facteurs bien entendu, d’une nouvelle culture imprimée.

A la différence de son cousin, le panislamisme, le projet politique panarabe s’appuie sur l’existence du référent linguistico-culturel pour chercher à recréer – puisqu’il y a eu de lointains précédents historiques avec certains empires dynastiques – un ensemble politique, la Nation arabe. Alors qu’elle semble, au temps du nassérisme, plus proche que jamais de la réalisation de certains de ses objectifs, cette utopie s’effondre avec la défaite de juin 1967. Les dérives autoritaires des régimes militaires se réclamant de son idéologie (en particulier les régimes baathistes de Syrie et d’Irak) vont prolonger son agonie quelques décennies encore. Prévisible au vu de l’essor toujours plus manifeste des différents courants de l’islam politique, réformistes ou révolutionnaires, tout au long du dernier quart du siècle dernier, son acte de décès semble s’écrire sous nos yeux, précisément au cœur du croissant fertile de l’identité arabe première, avec l’essor fulgurant du « califat » de l’« Etat islamique » sous l’égide du très inquiétant al-Baghdadi.

Fin de la 3ourouba par conséquent, sous le poids cumulé de ses propres erreurs et des assauts des puissances étrangères (Israël en tête) ? Mort de cette utopie fédératrice incapable de recueillir l’adhésion des foules arabes ? A l’évidence, c’est que ce qu’affirme l’actualité de la région, depuis les succès électoraux des divers courants « islamo-nationalistes » (se réclamant de l’islam politique mais luttant dans un cadre national-étatique) jusqu’aux multiples guerres tribales (Libye, Yémen par exemple), ethniques (Kurdes d’Irak et de Syrie pour s’en tenir à ce seul cas) et bien entendu confessionnelles, avec en premier lieu l’« invention » – au sens où l’historien Eric Hobsbawm parlait de « tradition inventé – du conflit entre sunnites et chiites (après celui des chrétiens et des musulmans au temps de la guerre civile libanaise).

De fragiles signes contredisent pourtant cette fatalité (auto)destructrice. Ainsi, le fait, rarement mentionné (voir tout de même ici), que le dernier Salon du livre de Riyad, au début de l’année dernière, a vu le très improbable succès d’un essai intitulé De la signification de la 3ourouba : concepts et défis (في معنى العروبة مفاهيم وتحديات). Préfacé par le célèbre « citoyen arabe du Liban » qu’est Georges Corm, cet ouvrage réunit treize très jeunes auteurs, hommes et femmes, tous originaires… du royaume d’Arabie saoudite ! Autant de contributeurs qui n’ont bien souvent pas trente ans et qui n’appartiennent pas à la (rarement crédible) nomenklatura intellectuelle locale.

sissinasserAu moment où le berceau historique du nationalisme arabe s’enfonce dans la guerre civile et où l’espace politique premier de son expérimentation politique, l’Egypte nassérienne, doit composer avec un maréchal d’opérette qui voudrait bien être à la hauteur de son prétendu modèle, la 3ourouba ressurgit ainsi là où on ne l’attendait pas, dans les sables pétrolifères d’un royaume qui, depuis ses origines, n’a cessé de la combattre en politisant à outrance le référent religieux (rappelons que la dynastie saoudienne est née d’une OPA familiale sur le courant religieux wahhabite). Une nouvelle génération affirme avec ce livre que la 3ourouba est plus que jamais la solution politique aux actuelles guerres civiles, tribales ou confessionnelles qui déchirent le monde arabe.

Face à l’exploitation politique – attisée par nombre d’acteurs étrangers – des sous-appartenances religieuses et/ou ethniques, ils rappellent la nécessité d’une forme politique reposant sur le référent culturel identitaire arabe. Là où l’islam politique ne propose qu’une surenchère meurtrière pour la captation monopolistique du référent religieux, ils croient toujours en la vertu d’un contrat social où l’islam, dont personne n’a sur terre le droit de s’arroger la légitimité, retrouverait sa place de constituant culturel fondamental de la mosaïque humaine qu’a toujours été cette région.

Comme le dit un des auteurs en conclusion, être arabe,

cela veut dire que ton appartenance à la nation arabe est l’affirmation du lien qui t’associe à ceux qui sont de sa langue, de son histoire, de sa culture, de sa terre ; cela veut dire que tu refuses de te définir dans l’espace politique sur une base confessionnelle, en d’autres termes que tu refuses l’exploitation à des fins politiques des écoles (madhâhib) religieuses, ou encore le fait qu’on puisse considérer comme une solution possible que les intérêts d’une confession (tâ’ifa) puissent l’emporter sur ceux de la nation. Etre arabe, cela signifie empêcher que la religion soit transformée en un simple instrument de pouvoir aux mains d’une élite dirigeante qui se sert du texte sacré pour justifier sa répression, sa tyrannie. En définitive, être arabe, cela veut dire que tu luttes pour la mise en œuvre d’une Renaissance arabe totale.
يعني أن تؤكّد انتماءك الى أمة عربية تتشارك مع أبنائها اللغة والتاريخ والثقافة والحضارة والأرض، وأن ترفض تعريف نفسك في الفضاء السياسي على أساس طائفي، أي ترفض تسييس المذاهب، أو اعتبار الطائفية التي تقدّم مصالح الطائفة على مصالح الأمة هي الحل. وأن تكون عربياً يعني تنزيه الدين عن أن يتمّ تحويله الى أداة سيطرة في يد النخب الحاكمة لتبرّر قمعها واستبدادها باستخدام النص. أخيراً أن تكون عربياً هو أن تسعى الى نهضة عربية شاملة.

Une utopie, à coup sûr, que ces jeunes intellectuel.le.s d’Arabie saoudite croient pourtant plus nécessaire que jamais car les référents identitaires communs, inscrits dans la langue et l’histoire, sont aujourd’hui bien vivants dans la culture de la jeunesse, ses chansons et ses poèmes, les innombrables et infinies ramifications de ses réseaux sociaux.

Une utopie, vraiment ? En tout cas, il y a des gens pour y croire. Pas loin de 400 000 personnes par exemple, sur YouTube, pour entendre ce poignant « bulletin artistique d’information », offert par deux soeurs syriennes, Rihan et Faia Younan, aujourd’hui installées en Suède. Elles sont l’honneur et l’espoir de leur pays, la « Nation arabe » !


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