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Un festival, c’est trop court : fierté, chant, ennui et amitié

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Un festival, c’est trop court : fierté, chant, ennui et amitié

Du 13 au 19 Octobre 2014 se tient à Nice la quatorzième édition d’Un festival, c’est trop court, le festival du court-métrage qui met à l’honneur les cinéastes indépendants et débutants. Nous avons pu être présent pour quatre des huit séances de la Compétition Européenne qui récompense les meilleurs courts du continent. Penchons-nous sur le quatrième programme dont les quatre films présentés sont sortis en 2013.

Yect, film de Pavel Vesnakov, cinéaste bulgare, est le troisième volet d’une trilogie initié en 2011 avec Trains et poursuivi en 2012 avec The Paraffin Prince. Chacun des trois courts-métrages explore l’incompréhension intergénérationnelle. Dans Yect que l’on peut traduire par fierté, on suit un vieux chauffeur de taxi, Manol (Mihail Mutafov) qui espionne son petit-fils, Georgi (Aleksandar Aleksiev) dont il a la charge. C’est que Georgi a un petit copain, situation inacceptable pour le vieux patriarche. Malgré la bienveillance de sa grand-mère, Kapka (Ani Bakalova), le jeune homosexuel va subir une humiliation tragique par son grand-père. Le vieil homme n’est pas au bout de ses surprises, sa fille, Petya (Svetlana Yancheva) divorce après vingt ans de mariage. Vesnakov explore avec tendresse la fierté mal placé d’une vieille garde qui n’a pas su s’adapter. Manol, s’énervant, n’interroge-t-il pas sa femme sur l’impossibilité des pratiques homosexuels en U.R.S.S ? Le vieux loup de mer ne crie-t-il pas aussi son amertume envers un temps révolu ? La libéralisation du pays n’a-t-elle pas été vécu comme un retour en arrière pour beaucoup de famille plongées dans la misère ? Bien sur, toute notre empathie se transfère vers le pauvre Georgi, mutique, forcé d’écouter les violentes remontrances de son aïeuls mais il y a chez l’incompréhension de Manol également quelque choses de touchant. Les deux acteurs sont tout simplement profondément émouvant. Sans un mot, Aleksandar Aleksiev nous entraîne avec lui au bord des larmes. Georgi est le pionnier d’une société nouvelle, le symbole des libertés conquises tandis que Manol incarne une tendance réactionnaire dont il semble pourtant souffrir réellement. Quelques instants, parce qu’il finit par se calmer, on imagine qu’il acceptera l’inévitable mais le film se clôt sur l’incompréhension du vieillard. Sa fierté, mal placé, ignore la raison et le progrès.

El canto, film d’animation de la française Inès Sedan est certainement le plus poétique des courts-métrages que l’on aura eu la chance de voir. Véritable fresque expressionniste, évoquant Le cri d’Edvard Munch jusqu’en dans son titre, elle évoque les violences conjugales, physiques et morales, avec une touche d’abstraction qui ne fait que les rendre plus horribles. Une femme qui aime chanter insupporte son mari. Ce dernier, non content de lui interdire de chanter, la traite comme son objet. Alors que celle-ci fuit vers la forêt, le mari, de plus en plus monstrueux, crachant une bile noire, la poursuit. Tombant dans l’herbe, la femme, la mère-nourricière retrouve ses racines, loin de l’homme-dévoreur d’énergie vitale qui s’estompe pour laisser place à cette femme qui se relève, retrouvant son chant et l’espoir d’une vie différente à laquelle elle donnera bientôt vie. L’air de rien, par évocation, en seulement huit minutes, Inès Sedan offre un manifeste féministe à la fois marquant et d’une beauté transcendante.

Ennui ennui, sorti avec trois autres courts du réalisateur sous le titre Pan pleure pas, porte très mal son nom. Cette fiction de Gabriel Abrantes, réalisateur français est une perle de comédie où l’on sent poindre l’influence loufoque des ZAZ (Jim Abrahams, David Zucker et Jerry Zucker, les créateurs géniaux de Y’a-t-il un pilote dans l’avion?). Joyeux foutoir absolument jouissif, Ennui ennui s’ouvre sur une hilarante introduction avec Barack Obama (Stéphan Rizon) tweetant à Rihanna « tu es le fleuron du monde libre » puis recevant un appel téléphonique d’un drone l’appelant papa. On suit alors, pêle-mêle, le drone faisant sa crise d’adolescence, une ambassadrice pète-sec (Edith Scob) en négociation avec un prince nomade afghan excentrique (Aref Banushar), une princesse nomade (Esther Garrel) assailli par l’ennui, un seigneur de guerre sentimental (Rawendah Omid) que sa mère (Breshna Bahar) veut pousser à violer la princesse pour qu’il obtienne son diplôme de bon taliban et une bibliothécaire sans-frontière (Laetitia Dosch), presque vieille fille. Dans un vaudeville incroyable, tout ce beau-monde se croise et sur des quiproquo, la situation échappe totalement à tous les personnages. Toutes les circonstances sont plus cocasses les unes que les autres. Ennui ennui est une très bonne surprise, impossible de ne pas être plier en deux du début à la fin.

Bué Sabi est un court de la réalisatrice portugaise, Patricia Vidal Delgado. Ce film en partie autobiographique est inspiré de l’enfance de la réalisatrice à Lisbonne. On suit trois jeunes amies d’origines différentes, une gitane Dara (Inês Worm-Tirone), une cap-verdienne Isa (Sofia Furtado) et une blanche issue de la bourgeoisie, Carolina (Marisa Matos) préparaient leur soirée. Les trois jeunes femmes rayonnantes à l’écran vivent une histoire d’amitié libérée de toutes discriminations dans une société métissée en prise à des problèmes communautaires. Cependant, le film ne s’attarde pas sur cet aspect préférant célébrer justement l’amitié plutôt que d’appuyer sur les différences. À l’issu d’une rixe avec l’ancienne petite-ami d’un jeune homme qu’Isa a séduit, Dara, qui a eu par le passé des ennuis avec la police, trouve refuge chez un jeune homme qu’elle a rencontré plus tôt. Pour la jeune gitane, une histoire d’amour débute, et Patricia Vidal Delgado nous laisse sur cette note positive.

Boeringer Rémy


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