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[2/4] Un festival, c’est trop court : innocence, balbutiement, dada, arnaque et clé des champs

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

[2/4] Un festival, c’est trop court : innocence, balbutiement, dada, arnaque et clé des champs

Du 13 au 19 Octobre 2014 se tient à Nice la quatorzième édition d’Un festival, c’est trop court, le festival du court-métrage qui met à l’honneur les cinéastes indépendants et débutants. Nous avons pu être présent pour quatre des huit séances de la Compétition Européenne qui récompense les meilleurs courts du continent. Penchons-nous sur le sixième programme dont les cinq films présentés sont sortis en 2013.

Les innocents du réalisateur allemand Oskar Sulowski suit le point de vue d’un enfant, Jakub (Juri Winkler), âgé de huit ans dont la mère, Helena (Izabela Kala), tombe amoureuse d’un dealer incarcéré, Milan (Clemens Schick). La photographie froide impose au film un aspect fantomatique. Le pauvre Jakub est à la fois le centre de l’intrigue et une ombre errante que les adultes oublient dans un coin. Impuissant, il ne sait pas comment réagir face à la violence feutrée de son beau-père. On sent constamment poindre en lui tant de questions qu’il n’ose pas poser. Milan ne se prend pas au petit mais l’abandonne plusieurs heures seul à la maison et passe à tabac, un client qui lui vole une dose sous les yeux inquiets du petit bout de choux. Les innocents capte l’indicible perte de l’innocence d’un enfant ingénu que l’on abandonne dans les turpitudes du monde adulte. Moment poignant, Jakub se recouche à côté de sa mère qui vient de faire une surdose juste après avoir jeté naïvement la seringue au vide-ordure. Mué tout au long du film, l’enfant nous en dit plus sur l’enfance brisée que n’importe quel traité de psychologie. Incapable d’assumer sa responsabilité, Milan appelle les secours et en attendant s’énerve contre le petit. Les innocents transcrit très bien cette impression que l’on peut avoir, à la nuit tombée, en se baladant dans nos villes ensommeillés. Combien de drames ces appartements éteints peuvent-ils bien câcher ?

Un début, du réalisateur belge Raphaël Santarelli, est une magnifique romance éphémère. Le format de 15 minutes permet d’explorer des chemins de traverses très rarement emprunté au cinéma par les films romantiques. Ici, l’état de grâce des premiers instants amoureux se perpétuera dans l’éternité. Bruno (Charif Ounnoughene), jeune commis de cuisine, écorché vif à fleur de peau, fait la connaissance de Marine (Marine de Leu). Un amour naissant les réunis mais le jeune homme s’écarte un peu car il a sûrement peur que les choses aillent trop vite. Après quelques jours d’absence, souffrant d’un éloignement qu’il s’inflige tout seul, il va rendre visite à Marine. Sur le palier, il rencontre une amie qui l’informe que la jeune fille est à l’hôpital à la suite d’un accident. Au boulot, Bruno n’est plus le même, son cœur bouillonne. Une de ses collègues lui fait des avances qu’il repousse, c’est l’instant ou tout devient limpide pour lui, celle qu’il désire, celle qu’il aime, celle qu’il veut rejoindre, c’est Marine. Le voilà, poignant, terriblement angoissé, pris par le temps à cause de son métier aliénant, à chercher sa bien-aimée dans l’hôpital qui n’accepte plus les visites. Un début nous émeut lorsqu’il prend enfin la main de Marine, incapable de parler, mais dont les larmes coules sur la joue. Le lendemain, Bruno trouve un lit vide. Il y a dans ce début toute la force des grands amours et le tragique des grandes romances. Raphaël Santarelli signe un film romantique atypique, un petit film au grand cœur.

Ex-animo du réalisateur polonais Wojciech Wojtkowski est un court-métrage d’animation d’inspiration dadaïste. Des personnages repoussants, sortes de monstre difforme mi-humain mi-machine évoluent sur une feuille de papier. On a l’impression qu’ils font du surplace. Très vite, tout ce joli monde commence à s’étriper, en noir et blanc, c’est une explosion de viscères et de décapitations. Ce monde étriqué, où la violence point à chaque coin, dans un éternel recommencement est une métaphore du nôtre dont la terre est ensemencé du sang des innocents meurtris dans une guerre universelle qui ne cesse jamais. Tout ce termine dans un big-bang et le cercle absurde des violences recommencent.

[2/4] Un festival, c’est trop court : innocence, balbutiement, dada, arnaque et clé des champs

The Ringer, autrement dit L’arnaque est un film de Chris Shepherd qui compte à son actif de nombreux films réalisé en majorité pour la BBC. Il est connu pour utiliser des éléments d’animation dans des films en prise de vue réel ainsi que pour sa satyre des côtés les plus sombres de l’être humain. The Ringer n’échappe à aucun de ces traits caractéristiques. Un homme d’une trentaine d’année, Chris (Kieran Lynn) rencontre son père, Dany (John Henshaw) pour la première fois. Peut-être espère-t-il des retrouvailles émouvantes ou tout du moins des explications probantes quant à son absence ? Son père ne lui offre qu’une posture de façade. Comme beaucoup, il se définit par son travail à défaut de savoir se déterminer plus justement. Il est scénariste et ainsi il écarte toutes tentatives de discussions véritables en se lançant dans l’explication de son dernier scénario, alambiqué, digne de la meilleur série B d’exploitation. Il s’agit de L’arnaque, un film d’action où un truand prend sous son aile un jeune gamin des rues. À peine son explication terminée, il s’en va. Le jeune trentenaire continue sa vie tranquillement, seulement perturbé par les messages téléphoniques incessant de son père qui veut le pousser à lire le scénario en entier. Après une dispute, il se décide enfin à ouvrir l’enveloppe contenant le script de L’arnaque. C’est une révélation pour lui, mêlés au texte, son père a dissimulé des papiers juridiques expliquant sa difficile lutte pour obtenir un droit de visite. L’arnaque serait donc d’avoir fait croire que ce père était absent alors qu’il se battait pour voir son gosse. The Ringer alterne les prises de vue pour exposer le point de vue du père et les vues en prises réelles pour celui du fils. Bouleversé, ce dernier va le rejoindre et le scénario se fond à la réalité. A toute berzingue, les deux hommes s’en vont fêter leur retrouvaille.

Mezzanine Films, une maison de production disposait de trois jours de locations de matériel inusités. C’est ainsi qu’elle prit contact avec Hervé Coquerel, plasticien sorti des Beaux-Arts. La porte a été scénarisé rapidement sur une idée simple. Après un accident de la route, deux personnes (Solène Arbel et Cyril Texier) amnésiques ramassent leurs effets personnels sur le bitume et commence à recoller les morceaux. Dans la campagne de l’Oise, Coquerel arrive à insuffler une âme à cette promenade bucolique. Le temps semble suspendu pour les deux personnages qui sont, par leur amnésie, neuf comme aux premiers jours et peuvent prendre la tangente par rapport à leur vie précédente. De cette liberté retrouvée, supposée perdue, naît une mélancolique poésie. Là où, dans la plupart des films traitant d’amnésies, les protagonistes cherchent corps et âme à retrouver leurs souvenirs, ici les deux jeunes gens prennent la clé des champs. Un choix que l’on aimerait parfois pouvoir faire.

[2/4] Un festival, c’est trop court : innocence, balbutiement, dada, arnaque et clé des champs

Boeringer Rémy


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