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Claude Sautet, quand le classicisme vire au génie..

Par Filou49 @blog_bazart
21 octobre 2014

 sautetAllez, il est quand même plus que temps que je jette un oeil sur le rétro du tout dernier Festival Lumière, qui fut, selon l'avis de tous les observateurs une aussi belle réussite que l'édition de l'année passée.

Et avant de longuement vous parler du roi du Festival 2014, à savoir l'immense Pédro Almodovar, j'aimerais d'abord revenir sur l'autre grand cinéaste mis en valeur par l'Institut Lumière à l'occasion de ce festival, je veux bien évidemment parler de Claude Sautet.

Lors de la conférence de presse de présentation du Festival à laquelle j'avais assisté en juin dernier, je vous avouais que, peut-être plus encore que la remise du Prix Lmière à l'inventeur de la Movida sur grand écran, l'évènement de ce Festival Lumière 2014 que j'attendais le plus était certainement cette rétrospective des 13 films du cinéaste dédiée au cinéaste français Claude Sautet, 14 ans après sa disparition qui m'avait beaucoup chagriné, comme rarement pour un cinéaste décédé.

Il faut dire que, depuis plus de 20 ans, j'adore l'oeuvre de ce cinéaste, ayant vu de nombreuses fois ses longs métrages,  surtout ses derniers qui sont plus de ma génération, d'Un Coeur en hiver" à "Quelques jours avec moi", deux films qui avaient énormément marqué le jeune ado réservé et cérébral que j'étais.

Si certains cinéphiles (dont mon acolyte de blog Michel avec qui on s'empoigne parfois à ce sujet) lui reproche son classicisme, un côté un peu franchouillard, ou encore sa peinture pas très reluisante  qu'il dresse des années Pompidou puis Giscard,  c'est personnellement aussi ce que j'aime tant dans son cinéma.

Claude Sautet, quand le classicisme vire au génie..

Car si, et sans doute encore plus de son vivant, une certaine partie de la critique a toujours eu tendance à sous estimer la portée de son cinéma,   ce cinéma là dit incontestablement et énormément de choses sur la France des années 70-80. De ce fait, cet hommage lors de ce prestigieux festival était une fort belle occasion de lui rendre la place qu'il mérite largement au sein du cinéma français.

Mais s'il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux très représentatifs de la société d'après 1968, ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout profondément universels, et c'est ce qui fait avant tout la grande puissance du cinéma de Claude Sautet, le cinéaste des non-dits, des regards, de l’amour au quotidien et de la beauté du quotidien, pour ne pas dire la beauté de l'ordinaire.

Sautet a su créer et développer au fil de sa filmographie un univers qui n'appartient qu'à lui, avec beaucoup de pluie, de brasseries enfumées (comme la pluie, les bistrots plein de gens qui fument sont un passage obligé dans les films de Sautet), de longues conversations en voiture, des personnages de femmes fortes mais compréhensives ainsi bien sur que des hommes qui ont passé la quarantaine et  qui perdent tout à coup un peu de leur superbe, dont la virilité en bandoulière( on pense notamment à celle de Montand ou de Piccoli) cachent en fait des trésors de vulnérabilités.

Bref, à mes yeux il est incontestable que Claude Sautet, en moins de 15 films, ait su imposer une oeuvre profondément inoubliable, un style personnel très vite reconnaissable entre tous.

On sait notamment gré au metteur en scène de savoir aussi joliment tinter de mélancolie le quotidien a priori banal de des personnages, et de tisser une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique, mais en même temps indissociable de l'ensemble.

conversations sautet

Si Thierry Frémaux tendait tant à réhabiliter son oeuvre et lui rendre hommage à travers ce Festival Lumière, c'est qu'il avait eu la chance de le connaitre un peu et de le rencontrer à l'occasion d'une biographie du si regretté l’écrivain et critique Michel Boujut (que Frémeaux avait un peu aidé en amont), "Conversations avec Claude Sautet". Une biographie  que j'ai eu la chance de recevoir peu de temps avant que le Festival ne sommence, puisqu'il a  eté réédité le 8 octobre dernier, dans une édition définitive éditée par Actes Sud et l’Institut Lumière, il faut dire que  sa dernière parution en 2001 était épuisée depuis pas mal de temps déjà.

Le livre sort augmenté d’un avant-propos de Thierry Frémaux (qui reprend dans les grandes lignes le texte qu'il avait dit au micro lors de cette conférence de presse de présentation),  une  préface de Daniel Auteuil, qui joua pour Claude Sautet dans Quelques jours avec moi (1987) et Un coeur en hiver (1992), et d’une postface de Bertrand Tavernier qui fut, avant de devenir cinéaste, l’attaché de presse de Claude Sautet puis son ami.

Tous parlent admirablement bien du travail de Claude Sautet, de son perfectionnisme constat, de son amour pour les comédiens et de la beauté totale de ses oeuvres qui restent toujours aussi fortes plusieurs décennies après avoir été tournées.

Claude Sautet, quand le classicisme vire au génie..
Quant au corps de l'ouvrage en lui même, on aime beaucoup  le procédé, cette conversation  mine de rien, sous un ton amical (les deux hommes se connaissaient bien et avaient pas mal de points communs) entre Claude sautet et michel Boujut.

Une discussion sur l'intégralité de la carrière du cinéaste qui acceptait pour la première fois de sa carrière de jeter un coup de rétro sur son oeuvre, lui qui réchignait à analayser ses films, préférant laisser cet exercice à d'autres. 

Sur un ton objectif et toujours plein de distance, Sautet prend bien soin de ne jamais verser, à travers ses confessions intimes et inédites, dans le sentimentalisme ni à la nostalgie, mais y dévoile tout de même quantités d'anecdotes de tournages absolument passionnantes, pour qui a vu et adoré les films en question.

Sautet revient parfois avec pas mal d'humour et d'autodérision sur ses marotes, et notamment sa manie  dont je viens de parler des sempiternelles scènes de café( « A chaque film,  je me dis toujours : non, cette fois tu n'y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m'en empêcher. Les cafés, c'est comme Paris, c'est vraiment mon univers"). 

On y apprend également que pour "Garçon" (certainement le film le plus mineur de sa filmographie, pourtant projeté aussi lors du Festival),  Montand avait fait des caprices terribles, parasitant le tournage, en refusant notamment de partager la vedette avec Jacques Villeret… Bref, voici un ouvrage en tous points passionnant et indispensable pour qui apprécie autant que moi ce cinéaste inoubliable que fut Sautet.

Cesar_et_Rosalie
Un cinéaste qui était donc en vedette toute la semaine dernière lors de cette très belle et complète rétrospective, et si malheureusement (parce que je n'avais pas pris une semaine de congés et aussi parce que je voulais diversifier les différentes sélections et les différents films à voir) je n'ai pu revoir tous les films de Sautet que j'ai voulu, j'ai choisi un des plus emblématiques que je n'avais pas vu depuis plus de 20 ans au moins, le fameux 'Cesar et Rosalie', présenté dans une magnifique version restaurée par Studio Canal (le film sera repris dans les salles au cours du premier trimestre 2015).

Le film de 1972, souvent comparé à Jules et Jim, pour son triangle amoureux, est un des plus populaires de Claude Sautet, il est passé souvent à la TV, mais c'était un réel plaisir que de le décuvrir dans ces conditions, une immense salle ( le comoedia) remplie à ras bord, présenté joliment par l'immense et érudit Michel Ciment (qui l'a bien connu et qui a livre un passionnant parrallèle entre Sautet et Truffaut, plus proche que ce qu'on dit). 

Ce film de 1972, qui fut souvent comparé à Jules et Jim de Truffaut (qui a, à mes yeux, beaucoup moins bien veilli), est surtout un immense film sur l'amour et l'amitié.

Claude Sautet, quand le classicisme vire au génie..

Je me suis rendu compte à quel point César et Rosalie est une oeuvre magnifique qui n'a pas pris la moindre ride tant ce qu'il dit sur l’amour, ses tourments et ses concessions reste profondément intemporel.

L'équation de départ est simple mais néanmoins complexe car impossible à résoudre sans heurts César aime Rosalie mais David, ancien amour de celle-ci, vient mettre à mal l'harmonie du couple. 

Montand joue ici, et pour une des premières fois au cinéma, ce personnage hableur et  cabotin, que la mémoire collective a retenu,  jusqu’à ce qu’il révèle une fragilité émouvante.  Ici sans doute encore plus qu'ailleurs, Montand prouve qu’il sait jouer superbement de sa palette de comédien, en montant des facettes inattendues telles que la subtilité et la blessure.

Et l'immense Romy Schneider prouve qu'elle n'aura jamais été autant magnifiée que sous la caméra de Sautet. Quant à Sami Frey,  il trouvera là le meilleur rôle de sa carrière dans le rôle l’élément déstabilisateur de ce couple. Un personnage qui plongera le film dans un labyrinthe où le bonheur semble être la chose la plus difficile à trouver, même lorsqu’il est à portée de main…

Claude Sautet, quand le classicisme vire au génie..

Alternant scènes graves et douloureuses en scènes légères et lumineuses (oh, la magnifique scène de la  plage déserte  dans laquelle César parviendra à récupérer Rosalie mine de rien), Sautet réussit totalement son pari de présenter l’amour comme source de mal-être car en fin de compte, ce n'est pas véritablement l'amour, mais l’aliénation à ce sentiment qui prend le dessus.

Que ce soit en nous montrant une dispute violente dans le huis clos d'un appartement, des retrouvailles amicales sur une plage de Vendée, un dîner au restaurant,  une discussion à batons rompus dans un mariage, Sautet prouve dans ce magnifique Cesar & Rosalie qu'il est bien un des plus grands cinéaste des regards et des non dits, de ceux qui mine de rien s'avèrent être si signifiants.

Une oeuvre immense et emblématique d'une filmographie décidement passionnante célébré très justement par ce décidement incontournable Festival Lumière.

Bande-annonce : Cesar et Rosalie


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