Magazine Cinéma

Magic Woody !

Par Mickabenda @judaicine
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En salle cette semaine MAGIC IN THE MOONLIGHT, le nouvel opus de Woody Allen

L’histoire : Le prestidigitateur chinois Wei Ling Soo est le plus célèbre magicien de son époque, mais rares sont ceux à savoir qu’il s’agit en réalité du nom de scène de Stanley Crawford : cet Anglais arrogant et grognon ne supporte pas les soi-disant médiums qui prétendent prédire l’avenir. Se laissant convaincre par son fidèle ami Howard Burkan, Stanley se rend chez les Catledge qui possèdent une somptueuse propriété sur la Côte d’Azur et se fait passer pour un homme d’affaires, du nom de Stanley Taplinger, dans le but de démasquer la jeune et ravissante Sophie Baker, une prétendue médium, qui y séjourne avec sa mère.

L’équipe de Judaïciné a eu la chance d’être invitée sur le tournage du film sur les hauteurs de Grasse…

Entretien avec Woody Allen et son équipe…

Woody Allen est fasciné par la magie depuis l’époque où, adolescent, il faisait lui-même des tours. Rien d’étonnant à ce que les magiciens parcourent son œuvre, qu’il s’agisse de son célèbre sketch The Great Renaldo, de son ouvrage Destins tordus, lauréat du prix O. Henry, de sa pièce The Floating Lightbulb, dont le protagoniste est un jeune magicien, de l’épisode Le complot d’Œdipe du collectif NEW YORK STORIES, et de SCOOP, où il campe lui-même Splendini le magicien. Par ailleurs, on trouve dans ses films des hypnotiseurs (BROADWAY DANNY ROSE, LE SORTILÈGE DU SCORPION DE JADE), un guérisseur (ALICE), et une diseuse de bonne aventure (VOUS ALLEZ RENCONTRER UN BEL ET SOMBRE INCONNU). Et dans d’autres de ses films, comme ZELIG, LA ROSE POURPRE DU CAIRE et MINUIT À PARIS, le fantastique se mêle à l’intrigue. C’est aussi le cas de son dernier opus, MAGIC IN THE MOONLIGHT.

Les médiums étaient très en vogue dans les années 1920, époque à laquelle se déroule MAGIC IN THE MOONLIGHT. « On tirait toutes sortes d’interprétations de leurs prédictions, indique le cinéaste. D’illustres figures comme Arthur Conan Doyle, auteur de Sherlock Holmes, les prenait très au sérieux. On s’interrogeait notamment sur toutes sortes de phénomènes comme la photographie dite «spirite». Et les séances de spiritisme étaient très répandues. » Le plus grand magicien d’alors, Harry Houdini, participait lui-même à ces séances, démasquant le moindre voyant extralucide qu’il croisait sur son chemin. Mais il faut noter qu’il n’était pas tant animé par la volonté de percer à jour l’imposture d’éventuels escrocs, que par le désir sincère de prouver qu’il était possible de communiquer avec les morts. Certes, il était déçu de constater que les imposteurs étaient légion, mais peu avant de disparaître, il espérait encore qu’il y avait une vie après la mort.

En apparence, Stanley Crawford (Colin Firth) n’a rien à voir avec Houdini. Se produisant sur scène sous le nom du grand prestidigitateur chinois Wei Ling Soo, Stanley nie catégoriquement toute vie après la mort. « C’est un homme rationnel et intelligent, doté d’un esprit scientifique, si bien que la crédulité imbécile du grand public et les imposteurs qui les exploitent lui tapent sur les nerfs », reprend Allen. « Il est dédaigneux, il juge les autres de manière catégorique, il est cynique et arrogant, et il a une très haute opinion de sa propre intelligence », indique Colin Firth, qui interprète Stanley. « Expert dans l’art de l’illusion, il doute de tout ce qui relève, de près ou de loin, du spirituel, du mystique et de l’occulte. Il se targue de confondre tous ceux qui prétendent que les séances de spiritisme comportent vraiment une part de magie. » Il poursuit : « Je ne pense pas avoir jamais campé un personnage aussi antipathique. Je suis sûr que le spectateur adorerait qu’il se prenne une bonne claque en plein visage ! Il est tellement suffisant qu’on aimerait franchement le voir en rabattre un peu. »

La curiosité de Stanley est piquée par le récit que lui fait son ami d’enfance – et confrère magicien – Howard Burkan (Simon McBurney). Celui-ci lui parle d’une jeune médium, Sophie Baker (Emma Stone), séjournant chez une riche famille américaine, les Catledge, dans le sud de la France : Howard a tout mis en œuvre pour chercher à la démasquer, mais il s’avoue totalement sidéré par ses pouvoirs. Howard demande à Stanley de décaler le voyage qu’il a prévu avec sa fiancée Olivia (Catherine McCormack) afin de se rendre sur la Côte d’Azur pour prouver l’imposture de Sophie. « À mon avis, si Stanley apprécie la compagnie d’Howard, c’est parce qu’il lui sert de faire-valoir, déclare McBurney. Howard le tient publiquement pour l’artiste le plus doué de tous les temps, ce qui conforte Stanley dans l’idée que sa place est au panthéon des plus illustres magiciens. » En assurant à Stanley qu’il est « le démystificateur le plus averti au monde », Howard le convainc de relever le défi.

À la fois célèbre et anonyme – puisque personne ne connaît la véritable identité du grand Wei Ling Soo –, il se fait passer chez les Catledge pour un homme d’affaires du nom de Stanley Taplinger. Anglais cultivé et élitiste, Stanley n’est pas particulièrement impressionné par Sophie Baker (Emma Stone) et sa mère (Marcia Gay Harden), Américaines issues d’un milieu très défavorisé. Firth précise : « Il la prend pour une petite bonne femme sans importance, qu’on a ramassée dans la rue, et il se dit qu’il n’aura pas le moindre problème à prouver son imposture. »

À sa grande surprise, Stanley découvre que Sophie est capable de lire dans les pensées et les sentiments des autres, de connaître leur passé et d’entrer en contact avec leurs chers disparus, ce qu’il ne parvient pas à expliquer. Il a beau observer de près le moindre de ses gestes – Sophie ne cesse de le décontenancer et de le déstabiliser. Elle lui parle d’événements s’étant produits dans sa vie qu’elle ne peut en aucun cas avoir devinés. Et loin de la démasquer, c’est elle qui identifie Wei Ling Soo comme son nom de scène. Imperturbable, Stanley reste convaincu qu’elle est un imposteur et qu’il ne tardera pas à la percer à jour. « Stanley la pousse dans ses retranchements, mais Sophie sait qu’elle a toujours une longueur d’avance, affirme Emma Stone. C’est qui lui donne du pouvoir. Par ailleurs, je pense qu’elle trouve vraiment charmant, si bien qu’elle se montre un peu mutine avec lui. »

Sophie et Mme Baker ont été invitées chez les Catledge par Grace (Jacki Weaver), qui rêve d’entrer en contact avec son défunt mari. « Grace est candide et bienveillante, signale Jacki Weaver. Elle estime qu’on ne peut pas tout expliquer rationnellement, et elle y croit dur comme fer. Je pense que pas mal de gens sont dans le même cas. » L’enthousiasme et la crédulité de Grace font d’elle une proie facile pour Mme Baker qui réussit à lui extorquer de l’argent pour une «fondation» qu’elle et Sophie souhaitent monter. « Si Sophie est capable de charmer n’importe qui, sa mère, qui ne possède pas ses attraits, peut compter sur sa ruse, analyse Marcia Gay Harden. Et si on ajoute à cela les formidables dons de médium de Sophie, ce sont des qualités qui leur ont permis d’aller très loin. » Le réalisateur précise : « Mme Baker est une arnaqueuse qui fait passer sa fille pour une artiste. Grâce à elle, elle sait qu’elle pourra toujours manger à sa faim, elle en profite très largement, et ensemble, elles arrivent à gagner leur vie. Et dès qu’elle voit l’occasion de gagner un gros paquet d’argent, elle s’empresse de la saisir. »

Outre ses dons médiumniques, Sophie ensorcelle les hommes grâce à son magnétisme. Il ne faut donc pas s’étonner que Brice Catledge (Hamish Linklater), le sympathique héritier de la famille, soit totalement épris de la jeune femme. « Il est prêt à lui offrir le monde sur un plateau, indique le comédien. Ce ne sont pas ses talents de médium qui l’intéressent – même s’il est ravi de voir que cela rend sa mère heureuse – , mais il est amoureux d’elle et a simplement envie de passer du temps en sa compagnie. » Allen reprend : « Brice n’est pas un mauvais bougre, mais il est assez insignifiant. En revanche, ce qu’il a à lui offrir est plutôt alléchant, surtout dans le contexte des années 20, car cela leur permettrait, à sa mère et à elle, d’être riches jusqu’à la fin de leurs jours. »

On rencontre également dans la magnifique propriété Caroline Catledge (Erica Leerhsen), sœur de Brice, et son mari George (Jeremy Shamos), psychiatre de profession. Se méfiant de Sophie, ils ont demandé à Howard de s’assurer de sa probité. « Je voulais avoir un personnage incarnant le monde scientifique, car c’est un milieu qui est toujours perturbé par ce genre de personnes, souligne Allen. On pourrait penser le contraire, mais ce n’est pas le cas dans la réalité. George a fait des études de médecine et étudié la psychiatrie, et se montre d’abord incrédule, mais Sophie est tellement convaincante qu’il commence à croire à ses pouvoirs. »

Vanessa (Eileen Atkins), tante bien-aimée de Stanley, vit à quelques pas des Catledge : elle s’est beaucoup occupée de son neveu quand il était enfant et il se sent d’ailleurs plus proche d’elle que de ses propres parents. Vanessa le connaît si bien qu’elle est la seule à même de lui donner des conseils – mission ô combien délicate s’agissant d’un être qui croit tout connaître et tout savoir. « Vanessa sait s’y prendre avec lui, constate Eileen Atkins. Elle continue à le voir comme un petit garçon, tout comme la plupart des parents voient leurs enfants même devenus adultes. Du coup, lorsqu’elle s’aperçoit que Stanley a des soucis, elle garde son sang-froid. Elle prêche le faux pour savoir le vrai, parce qu’elle sait que c’est la meilleure manière de le convaincre de faire ce qu’il faut. » Colin Firth acquiesce : « Avec beaucoup de tolérance et d’indulgence, Vanessa réussit à révéler sa vraie nature. Elle ne s’y prend pas de manière frontale, mais elle le laisse tranquillement aller à son rythme et en tirer des leçons. »

Tandis que Stanley est de plus en plus fasciné par Sophie, il l’emmène chez sa tante, car il sait qu’elle est très douée pour jauger autrui. Et c’est chez Vanessa que la jeune femme accomplit son exploit de télépathie le plus extraordinaire : « Je ne pense pas que Vanessa se préoccupe outre-mesure des méthodes employées par Sophie, souligne Eileen Atkins. Elle ne se dit pas, «cette fille a des dons hallucinants», mais plutôt, «cette fille m’a percée à jour en un rien de temps». Vanessa est donc enchantée de l’avoir rencontrée. Comme elle n’est sûre de rien, elle se dit que cette jeune femme a peut-être un don médiumnique. Vanessa n’est pas du genre à affirmer que les miracles n’existent pas. » Colin Firth reprend : « Vanessa est celle qui, dans cette histoire, incarne la sagesse. Elle sait que la vraie bêtise est souvent le fait de ceux qui sont trop sûrs d’eux. Les gens prudents savent qu’on n’explique pas tout, loin s’en faut, et qu’avoir des certitudes n’est pas synonyme de sagesse. »

De son côté, Stanley, après avoir assisté à l’exploit de Sophie chez sa tante, passe du scepticisme le plus radical à la foi inébranlable en ses capacités. « Il ne se contente pas de se dire que Sophie a peut-être de vrais pouvoirs, rapporte Firth. Quelque chose enfoui au plus profond de lui depuis longtemps se révèle au grand jour, comme une joie enfantine. Il se dit, «si ses pouvoirs sont bel et bien réels, alors je me suis toujours trompé sur tout. Et si je me suis trompé sur toute la ligne, il existe sans doute un monde parallèle au nôtre. Tout devient possible. Il y a peut-être une vie après la mort, et si c’est le cas, alors Dieu existe peut-être aussi». Stanley a passé sa vie à tenter de se rapprocher de l’univers de la magie, car c’est ce à quoi il a toujours aspiré. Et comme, à mon avis, il est déçu que sa vie manque de magie, il se montre agressif à l’égard de tous ceux qui prétendent avoir des dons surnaturels. » Emma Stone ajoute : « Ce qui m’a séduite, c’est que Stanley, maître des illusions, se métamorphose grâce à Sophie, qui lui permet de croire à un monde qu’il n’arrive pas à percevoir. »

Alors que Stanley se sent rajeuni au contact de Sophie, celle-ci s’épanouit intellectuellement grâce à lui : « Comme il est cultivé et exigeant, Stanley permet à Sophie de découvrir des choses qu’elle n’aurait jamais connues sans lui, rapporte Allen. Il lui ouvre des portes, et suscite chez elle l’envie de poursuivre plus avant. » Emma Stone note : « Ses goûts et sa connaissance du monde s’épanouissent grâce à lui, car elle a vécu dans un monde très différent de celui de Stanley. Elle apprend à son contact, et c’est très exaltant pour elle. » Le cinéaste poursuit : « Sophie a le potentiel de se cultiver, bien au-delà de ce à quoi son milieu d’origine la destinait. »

Le romantisme Art Déco des années 20 et la beauté resplendissante du sud de la France prêtent au film un charme naturel. Le directeur de la photo Darius Khondji, surtout connu pour ses éclairages sombres chers à David Fincher (SEVEN), a collaboré à des œuvres plus joyeuses et solaires pour Woody Allen, à l’instar de MINUIT À PARIS et TO ROME WITH LOVE. « On voulait que l’image soit gaie et lumineuse, assure Khondji, mais que la palette chromatique soit soutenue pour structurer le film sur le plan esthétique. Je me suis largement inspiré du photographe français Jacques-Henri Lartigue. On a utilisé de vieux objectifs CinémaScope des années 70 et on a tourné en pellicule, en ayant recours à un procédé spécial pour atténuer les contrastes et adoucir la luminosité naturellement. On a ensuite travaillé avec l’étalonneur Pascal Dangin, qui a su donner aux images une teinte «autochrome», proche des débuts de la couleur du début du XXème siècle. »
Le chef-opérateur a mis au point une luminosité radieuse pour Emma Stone : « Woody m’a demandé de mettre en valeur sa beauté sur la pellicule, et j’espère y être parvenu, dit-il. Elle avait le visage naturellement radieux, grâce au teint de sa peau, et à la couleur de ses cheveux et de ses yeux, mais c’est surtout son jeu qui m’a inspiré pour l’éclairer de cette façon. » Linklater signale : « C’est une jeune femme exquise, mais dans cette lumière, on aurait dit qu’elle surgissait d’une fresque. » La comédienne renchérit : « Il m’a, pour ainsi dire, placée dans un cadre de lumière blanche. Il a mis beaucoup de temps à m’éclairer, et je lui en suis très reconnaissante. »

Pour la propriété des Catledge, la production a tourné dans deux décors : la Villa Eilenroc à Cap d’Antibes et la Villa La Renardière à Mouans-Sartoux. Le film a encore été tourné au bar et au restaurant de l’hôtel Belles Rives de Juan-les-Pins, au domaine vinicole de Château du Rouët à Le Muy (pour la propriété de Tante Vanessa), à l’hôtel Negresco de Nice (pour le cabaret de Berlin), et à l’Opéra de Nice (l’extérieur du théâtre de Berlin). L’observatoire où Stanley et Sophie trouvent refuge pendant l’orage est l’Observatoire de la Côte d’Azur (Observatoire de Nice), situé au sommet du Mont Gros. Bâti en 1887, l’observatoire, dont la coupole a été dessinée par Gustave Eiffel, est toujours en état de fonctionnement. Même s’il n’y a pas d’anachronisme dans l’architecture, l’ensemble des décors ont dû être réaménagés avec du mobilier d’époque par la chef-décoratrice Anne Seibel. Cette dernière a entièrement conçu le décor de la scène du bal dans le «jardin» de la Villa Eilenroc.

La plupart des costumes sont des pièces originales, dénichées, après d’importantes recherches, à Paris, Londres, Madrid, Rome, Toronto et Los Angeles par la chef-costumière Sonia Grande et son équipe. « Dans la mesure du possible, on s’est efforcés d’utiliser des pièces d’époque, déclare Sonia Grande. Mais quand on ne pouvait pas trouver les éléments nécessaires aux tenues des personnages, on les a fabriqués à partir de tissus et de pièces d’origine que nous avons restaurés et recyclés. » Un principe chromatique s’est mis en place naturellement : les «crédules» étaient vêtus dans des teintes claires et pastel, tandis que les «sceptiques» portaient des couleurs plus sombres. « La première chose qu’on a respectée, c’est la logique propre à l’époque, indique Allen.

C’était logique que Stanley, Howard et George portent des costumes, puisqu’on s’est rendu compte, au cours de nos recherches, que c’est le genre de tenues qu’ils privilégiaient. Et cela nous a permis de trancher avec les tenues beaucoup plus claires des autres personnages qui sont plus tournés vers l’imaginaire et la féerie de la vie. »

Comme dans tous ses films, Woody Allen a recours à de longues prises très dialoguées, à des mises en place précises des comédiens et à des mouvements d’appareil bien spécifiques. « En apparence, tout a l’air très simple, mais en réalité, cela veut dire que tout doit être d’une grande justesse, relate Firth. Parfois, on fait sept ou huit prises, et il est ravi, mais il faut repartir à zéro parce que j’ai fait tomber mon chapeau. Il ne répète pas, si bien que la première prise tient souvent lieu de répétition, et il faut recommencer, encore et encore, jusqu’à ce que le déroulement de la scène soit fluide et que tout le monde soit fin prêt. » Emma Stone affirme : « Travailler avec Woody est un rêve éveillé ! J’avais entendu dire qu’il était discret et très sombre et qu’il gardait ses distances, mais ce n’est pas du tout ce que j’ai vécu. Il s’est montré très amical, et drôle, et il m’a raconté des tas d’anecdotes. » Colin Firth acquiesce : « En tant que metteur en scène, il s’investit totalement dans le travail et il est très précis. Il nous fournissait des informations extrêmement détaillées et d’une très grande précision sur ce qu’il voulait. Et quand il était satisfait, on passait simplement à la scène suivante. » Eileen Atkins renchérit : «Quand on tournait une scène et qu’on était conscients d’avoir très mal joué, il nous disait, «ce n’était pas terrible, n’est-ce pas ?» Je riais et je lui répondais, «c’était épouvantable. Qu’est-ce qu’on va faire ?» Il riait, lui aussi, et il rétorquait, «la prochaine prise sera meilleure». Et il n’y avait rien d’autre à dire la plupart du temps. Il vous répondait volontiers si vous aviez une question à lui poser, mais il sait très bien comment fonctionnent les acteurs, car il est lui-même comédien. Il est conscient qu’en choisissant les bons interprètes, et en leur faisant plaisir à bon escient, il n’y a plus qu’à les laisser jouer. »

Tournant dans un site reculé, les comédiens ont rapidement noué des liens et fréquemment dîné ensemble, ce qui est assez rare sur un tournage. Emma Stone rapporte : « Colin explique qu’un tournage est une alchimie, puisqu’il faut croire à nos personnages et prendre l’univers du film pour la réalité, même en tant que comédiens. Pour moi, un tournage est une petite capsule temporelle dans laquelle j’aimerais parfois me replonger. Ce film restera l’une de mes meilleures expériences de tournage. » Colin Firth ajoute : « Emma est le genre de personne qui galvanise un plateau. Tout le monde l’appréciait et elle était très ouverte sur les autres. Elle a une nature joyeuse et elle est très drôle, et je pense que cela donne la pêche à son entourage. Nous sommes devenus très amis.»

« Nous étions dans le sud de la France pour un film situé dans les années 20 qui parle de magie, s’enthousiasme Emma Stone. Je crois bien que nous étions tous embarqués dans une atmosphère d’insouciance et de légèreté proche du Songe d’une nuit d’été. J’avais le sentiment d’assister à un spectacle de magie. À chaque fois que j’ai vu un magicien de près, j’avais l’impression qu’il n’y avait pas de trucage, même si c’est bien évidemment impossible. À mon avis, cela dépend de notre volonté d’y croire et notre capacité d’émerveillement. Nous avons besoin d’histoires, de contes de fée et de mythes. » Colin Firth reprend : « Pour moi, tout cela est lié à notre goût pour le mystère, pour les choses qu’on ne peut pas ranger dans des cases et pour les énigmes qu’on ne peut pas résoudre de manière logique ou scientifique. Je pense que ce sont des sujets qui divisent profondément les gens. Certains refusent le mystère et veulent à tout prix le percer à jour scientifiquement, et d’autres sont catégoriquement hostiles à tout ce qui ne peut être résolu ou analysé de manière rationnelle. Et d’autres encore accueillent le mystère avec bienveillance.” McBurney souligne : « Lorsqu’on est témoin d’un événement qu’on n’arrive pas à expliquer, on se retrouve exactement comme l’enfant de 5 ans qu’on était autrefois et qui ne comprenait pas pourquoi les fleurs poussaient au printemps, ou comment son oncle faisait surgir une pièce derrière son oreille. Cela stimule la part de nous-mêmes qui voudrait voir le monde d’un œil neuf. Nous sommes capables de redevenir des enfants devant un musicien génial, une pièce de théâtre formidable, un tableau extraordinaire ou les merveilles de la nature. Tout cela est susceptible de nous procurer un sentiment d’émerveillement éternel qui appartient vraiment à la magie. »

Le plus grand mystère reste encore l’amour, qui est aussi réel qu’inexplicable. « C’est parfaitement humain de vouloir un peu de magie dans notre vie, reprend Emma Stone. Et dans le film, ce qui est magique, c’est l’amour. L’amour arrive sans prévenir. Il n’est pas toujours logique, mais c’est ce qui en fait toute la beauté et la magie. » Woody Allen conclut : « Le coup de foudre est inexplicable. On peut tenter de trouver des explications, en disant que c’est parce qu’on aime le style de l’autre, son sens de l’humour, ses idées, ou encore son physique. Mais au bout du compte, on ne peut jamais expliquer un coup de foudre à 100% car on peut rencontrer quelqu’un qui possède le même style, le même humour, etc., et ne pas se sentir attiré par lui. C’est aussi complexe qu’impalpable. Je suis convaincu que dans un million d’années, grâce à l’informatique, on pourra mettre en équation le phénomène amoureux, mais à l’heure actuelle, et dans un avenir proche, les choses ne changeront pas. Il y a quelque chose de magique et d’exaltant dans une rencontre et dans les sentiments amoureux qu’on peut soudain éprouver… »

En salle cette semaine MAGIC IN THE MOONLIGHT, le nouvel opus de Woody Allen

L’histoire : Le prestidigitateur chinois Wei Ling Soo est le plus célèbre magicien de son époque, mais rares sont ceux à savoir qu’il s’agit en réalité du nom de scène de Stanley Crawford : cet Anglais arrogant et grognon ne supporte pas les soi-disant médiums qui prétendent prédire l’avenir. Se laissant convaincre par son fidèle ami Howard Burkan, Stanley se rend chez les Catledge qui possèdent une somptueuse propriété sur la Côte d’Azur et se fait passer pour un homme d’affaires, du nom de Stanley Taplinger, dans le but de démasquer la jeune et ravissante Sophie Baker, une prétendue médium, qui y séjourne avec sa mère.

L’équipe de Judaïciné a eu la chance d’être invitée sur le tournage du film sur les hauteurs de Grasse…

Entretien avec Woody Allen et son équipe…

Woody Allen est fasciné par la magie depuis l’époque où, adolescent, il faisait lui-même des tours. Rien d’étonnant à ce que les magiciens parcourent son œuvre, qu’il s’agisse de son célèbre sketch The Great Renaldo, de son ouvrage Destins tordus, lauréat du prix O. Henry, de sa pièce The Floating Lightbulb, dont le protagoniste est un jeune magicien, de l’épisode Le complot d’Œdipe du collectif NEW YORK STORIES, et de SCOOP, où il campe lui-même Splendini le magicien. Par ailleurs, on trouve dans ses films des hypnotiseurs (BROADWAY DANNY ROSE, LE SORTILÈGE DU SCORPION DE JADE), un guérisseur (ALICE), et une diseuse de bonne aventure (VOUS ALLEZ RENCONTRER UN BEL ET SOMBRE INCONNU). Et dans d’autres de ses films, comme ZELIG, LA ROSE POURPRE DU CAIRE et MINUIT À PARIS, le fantastique se mêle à l’intrigue. C’est aussi le cas de son dernier opus, MAGIC IN THE MOONLIGHT.

Les médiums étaient très en vogue dans les années 1920, époque à laquelle se déroule MAGIC IN THE MOONLIGHT. « On tirait toutes sortes d’interprétations de leurs prédictions, indique le cinéaste. D’illustres figures comme Arthur Conan Doyle, auteur de Sherlock Holmes, les prenait très au sérieux. On s’interrogeait notamment sur toutes sortes de phénomènes comme la photographie dite «spirite». Et les séances de spiritisme étaient très répandues. » Le plus grand magicien d’alors, Harry Houdini, participait lui-même à ces séances, démasquant le moindre voyant extralucide qu’il croisait sur son chemin. Mais il faut noter qu’il n’était pas tant animé par la volonté de percer à jour l’imposture d’éventuels escrocs, que par le désir sincère de prouver qu’il était possible de communiquer avec les morts. Certes, il était déçu de constater que les imposteurs étaient légion, mais peu avant de disparaître, il espérait encore qu’il y avait une vie après la mort.

En apparence, Stanley Crawford (Colin Firth) n’a rien à voir avec Houdini. Se produisant sur scène sous le nom du grand prestidigitateur chinois Wei Ling Soo, Stanley nie catégoriquement toute vie après la mort. « C’est un homme rationnel et intelligent, doté d’un esprit scientifique, si bien que la crédulité imbécile du grand public et les imposteurs qui les exploitent lui tapent sur les nerfs », reprend Allen. « Il est dédaigneux, il juge les autres de manière catégorique, il est cynique et arrogant, et il a une très haute opinion de sa propre intelligence », indique Colin Firth, qui interprète Stanley. « Expert dans l’art de l’illusion, il doute de tout ce qui relève, de près ou de loin, du spirituel, du mystique et de l’occulte. Il se targue de confondre tous ceux qui prétendent que les séances de spiritisme comportent vraiment une part de magie. » Il poursuit : « Je ne pense pas avoir jamais campé un personnage aussi antipathique. Je suis sûr que le spectateur adorerait qu’il se prenne une bonne claque en plein visage ! Il est tellement suffisant qu’on aimerait franchement le voir en rabattre un peu. »

La curiosité de Stanley est piquée par le récit que lui fait son ami d’enfance – et confrère magicien – Howard Burkan (Simon McBurney). Celui-ci lui parle d’une jeune médium, Sophie Baker (Emma Stone), séjournant chez une riche famille américaine, les Catledge, dans le sud de la France : Howard a tout mis en œuvre pour chercher à la démasquer, mais il s’avoue totalement sidéré par ses pouvoirs. Howard demande à Stanley de décaler le voyage qu’il a prévu avec sa fiancée Olivia (Catherine McCormack) afin de se rendre sur la Côte d’Azur pour prouver l’imposture de Sophie. « À mon avis, si Stanley apprécie la compagnie d’Howard, c’est parce qu’il lui sert de faire-valoir, déclare McBurney. Howard le tient publiquement pour l’artiste le plus doué de tous les temps, ce qui conforte Stanley dans l’idée que sa place est au panthéon des plus illustres magiciens. » En assurant à Stanley qu’il est « le démystificateur le plus averti au monde », Howard le convainc de relever le défi.

À la fois célèbre et anonyme – puisque personne ne connaît la véritable identité du grand Wei Ling Soo –, il se fait passer chez les Catledge pour un homme d’affaires du nom de Stanley Taplinger. Anglais cultivé et élitiste, Stanley n’est pas particulièrement impressionné par Sophie Baker (Emma Stone) et sa mère (Marcia Gay Harden), Américaines issues d’un milieu très défavorisé. Firth précise : « Il la prend pour une petite bonne femme sans importance, qu’on a ramassée dans la rue, et il se dit qu’il n’aura pas le moindre problème à prouver son imposture. »

À sa grande surprise, Stanley découvre que Sophie est capable de lire dans les pensées et les sentiments des autres, de connaître leur passé et d’entrer en contact avec leurs chers disparus, ce qu’il ne parvient pas à expliquer. Il a beau observer de près le moindre de ses gestes – Sophie ne cesse de le décontenancer et de le déstabiliser. Elle lui parle d’événements s’étant produits dans sa vie qu’elle ne peut en aucun cas avoir devinés. Et loin de la démasquer, c’est elle qui identifie Wei Ling Soo comme son nom de scène. Imperturbable, Stanley reste convaincu qu’elle est un imposteur et qu’il ne tardera pas à la percer à jour. « Stanley la pousse dans ses retranchements, mais Sophie sait qu’elle a toujours une longueur d’avance, affirme Emma Stone. C’est qui lui donne du pouvoir. Par ailleurs, je pense qu’elle trouve vraiment charmant, si bien qu’elle se montre un peu mutine avec lui. »

Sophie et Mme Baker ont été invitées chez les Catledge par Grace (Jacki Weaver), qui rêve d’entrer en contact avec son défunt mari. « Grace est candide et bienveillante, signale Jacki Weaver. Elle estime qu’on ne peut pas tout expliquer rationnellement, et elle y croit dur comme fer. Je pense que pas mal de gens sont dans le même cas. » L’enthousiasme et la crédulité de Grace font d’elle une proie facile pour Mme Baker qui réussit à lui extorquer de l’argent pour une «fondation» qu’elle et Sophie souhaitent monter. « Si Sophie est capable de charmer n’importe qui, sa mère, qui ne possède pas ses attraits, peut compter sur sa ruse, analyse Marcia Gay Harden. Et si on ajoute à cela les formidables dons de médium de Sophie, ce sont des qualités qui leur ont permis d’aller très loin. » Le réalisateur précise : « Mme Baker est une arnaqueuse qui fait passer sa fille pour une artiste. Grâce à elle, elle sait qu’elle pourra toujours manger à sa faim, elle en profite très largement, et ensemble, elles arrivent à gagner leur vie. Et dès qu’elle voit l’occasion de gagner un gros paquet d’argent, elle s’empresse de la saisir. »

Outre ses dons médiumniques, Sophie ensorcelle les hommes grâce à son magnétisme. Il ne faut donc pas s’étonner que Brice Catledge (Hamish Linklater), le sympathique héritier de la famille, soit totalement épris de la jeune femme. « Il est prêt à lui offrir le monde sur un plateau, indique le comédien. Ce ne sont pas ses talents de médium qui l’intéressent – même s’il est ravi de voir que cela rend sa mère heureuse – , mais il est amoureux d’elle et a simplement envie de passer du temps en sa compagnie. » Allen reprend : « Brice n’est pas un mauvais bougre, mais il est assez insignifiant. En revanche, ce qu’il a à lui offrir est plutôt alléchant, surtout dans le contexte des années 20, car cela leur permettrait, à sa mère et à elle, d’être riches jusqu’à la fin de leurs jours. »

On rencontre également dans la magnifique propriété Caroline Catledge (Erica Leerhsen), sœur de Brice, et son mari George (Jeremy Shamos), psychiatre de profession. Se méfiant de Sophie, ils ont demandé à Howard de s’assurer de sa probité. « Je voulais avoir un personnage incarnant le monde scientifique, car c’est un milieu qui est toujours perturbé par ce genre de personnes, souligne Allen. On pourrait penser le contraire, mais ce n’est pas le cas dans la réalité. George a fait des études de médecine et étudié la psychiatrie, et se montre d’abord incrédule, mais Sophie est tellement convaincante qu’il commence à croire à ses pouvoirs. »

Vanessa (Eileen Atkins), tante bien-aimée de Stanley, vit à quelques pas des Catledge : elle s’est beaucoup occupée de son neveu quand il était enfant et il se sent d’ailleurs plus proche d’elle que de ses propres parents. Vanessa le connaît si bien qu’elle est la seule à même de lui donner des conseils – mission ô combien délicate s’agissant d’un être qui croit tout connaître et tout savoir. « Vanessa sait s’y prendre avec lui, constate Eileen Atkins. Elle continue à le voir comme un petit garçon, tout comme la plupart des parents voient leurs enfants même devenus adultes. Du coup, lorsqu’elle s’aperçoit que Stanley a des soucis, elle garde son sang-froid. Elle prêche le faux pour savoir le vrai, parce qu’elle sait que c’est la meilleure manière de le convaincre de faire ce qu’il faut. » Colin Firth acquiesce : « Avec beaucoup de tolérance et d’indulgence, Vanessa réussit à révéler sa vraie nature. Elle ne s’y prend pas de manière frontale, mais elle le laisse tranquillement aller à son rythme et en tirer des leçons. »

Tandis que Stanley est de plus en plus fasciné par Sophie, il l’emmène chez sa tante, car il sait qu’elle est très douée pour jauger autrui. Et c’est chez Vanessa que la jeune femme accomplit son exploit de télépathie le plus extraordinaire : « Je ne pense pas que Vanessa se préoccupe outre-mesure des méthodes employées par Sophie, souligne Eileen Atkins. Elle ne se dit pas, «cette fille a des dons hallucinants», mais plutôt, «cette fille m’a percée à jour en un rien de temps». Vanessa est donc enchantée de l’avoir rencontrée. Comme elle n’est sûre de rien, elle se dit que cette jeune femme a peut-être un don médiumnique. Vanessa n’est pas du genre à affirmer que les miracles n’existent pas. » Colin Firth reprend : « Vanessa est celle qui, dans cette histoire, incarne la sagesse. Elle sait que la vraie bêtise est souvent le fait de ceux qui sont trop sûrs d’eux. Les gens prudents savent qu’on n’explique pas tout, loin s’en faut, et qu’avoir des certitudes n’est pas synonyme de sagesse. »

De son côté, Stanley, après avoir assisté à l’exploit de Sophie chez sa tante, passe du scepticisme le plus radical à la foi inébranlable en ses capacités. « Il ne se contente pas de se dire que Sophie a peut-être de vrais pouvoirs, rapporte Firth. Quelque chose enfoui au plus profond de lui depuis longtemps se révèle au grand jour, comme une joie enfantine. Il se dit, «si ses pouvoirs sont bel et bien réels, alors je me suis toujours trompé sur tout. Et si je me suis trompé sur toute la ligne, il existe sans doute un monde parallèle au nôtre. Tout devient possible. Il y a peut-être une vie après la mort, et si c’est le cas, alors Dieu existe peut-être aussi». Stanley a passé sa vie à tenter de se rapprocher de l’univers de la magie, car c’est ce à quoi il a toujours aspiré. Et comme, à mon avis, il est déçu que sa vie manque de magie, il se montre agressif à l’égard de tous ceux qui prétendent avoir des dons surnaturels. » Emma Stone ajoute : « Ce qui m’a séduite, c’est que Stanley, maître des illusions, se métamorphose grâce à Sophie, qui lui permet de croire à un monde qu’il n’arrive pas à percevoir. »

Alors que Stanley se sent rajeuni au contact de Sophie, celle-ci s’épanouit intellectuellement grâce à lui : « Comme il est cultivé et exigeant, Stanley permet à Sophie de découvrir des choses qu’elle n’aurait jamais connues sans lui, rapporte Allen. Il lui ouvre des portes, et suscite chez elle l’envie de poursuivre plus avant. » Emma Stone note : « Ses goûts et sa connaissance du monde s’épanouissent grâce à lui, car elle a vécu dans un monde très différent de celui de Stanley. Elle apprend à son contact, et c’est très exaltant pour elle. » Le cinéaste poursuit : « Sophie a le potentiel de se cultiver, bien au-delà de ce à quoi son milieu d’origine la destinait. »

Le romantisme Art Déco des années 20 et la beauté resplendissante du sud de la France prêtent au film un charme naturel. Le directeur de la photo Darius Khondji, surtout connu pour ses éclairages sombres chers à David Fincher (SEVEN), a collaboré à des œuvres plus joyeuses et solaires pour Woody Allen, à l’instar de MINUIT À PARIS et TO ROME WITH LOVE. « On voulait que l’image soit gaie et lumineuse, assure Khondji, mais que la palette chromatique soit soutenue pour structurer le film sur le plan esthétique. Je me suis largement inspiré du photographe français Jacques-Henri Lartigue. On a utilisé de vieux objectifs CinémaScope des années 70 et on a tourné en pellicule, en ayant recours à un procédé spécial pour atténuer les contrastes et adoucir la luminosité naturellement. On a ensuite travaillé avec l’étalonneur Pascal Dangin, qui a su donner aux images une teinte «autochrome», proche des débuts de la couleur du début du XXème siècle. »
Le chef-opérateur a mis au point une luminosité radieuse pour Emma Stone : « Woody m’a demandé de mettre en valeur sa beauté sur la pellicule, et j’espère y être parvenu, dit-il. Elle avait le visage naturellement radieux, grâce au teint de sa peau, et à la couleur de ses cheveux et de ses yeux, mais c’est surtout son jeu qui m’a inspiré pour l’éclairer de cette façon. » Linklater signale : « C’est une jeune femme exquise, mais dans cette lumière, on aurait dit qu’elle surgissait d’une fresque. » La comédienne renchérit : « Il m’a, pour ainsi dire, placée dans un cadre de lumière blanche. Il a mis beaucoup de temps à m’éclairer, et je lui en suis très reconnaissante. »

Pour la propriété des Catledge, la production a tourné dans deux décors : la Villa Eilenroc à Cap d’Antibes et la Villa La Renardière à Mouans-Sartoux. Le film a encore été tourné au bar et au restaurant de l’hôtel Belles Rives de Juan-les-Pins, au domaine vinicole de Château du Rouët à Le Muy (pour la propriété de Tante Vanessa), à l’hôtel Negresco de Nice (pour le cabaret de Berlin), et à l’Opéra de Nice (l’extérieur du théâtre de Berlin). L’observatoire où Stanley et Sophie trouvent refuge pendant l’orage est l’Observatoire de la Côte d’Azur (Observatoire de Nice), situé au sommet du Mont Gros. Bâti en 1887, l’observatoire, dont la coupole a été dessinée par Gustave Eiffel, est toujours en état de fonctionnement. Même s’il n’y a pas d’anachronisme dans l’architecture, l’ensemble des décors ont dû être réaménagés avec du mobilier d’époque par la chef-décoratrice Anne Seibel. Cette dernière a entièrement conçu le décor de la scène du bal dans le «jardin» de la Villa Eilenroc.

La plupart des costumes sont des pièces originales, dénichées, après d’importantes recherches, à Paris, Londres, Madrid, Rome, Toronto et Los Angeles par la chef-costumière Sonia Grande et son équipe. « Dans la mesure du possible, on s’est efforcés d’utiliser des pièces d’époque, déclare Sonia Grande. Mais quand on ne pouvait pas trouver les éléments nécessaires aux tenues des personnages, on les a fabriqués à partir de tissus et de pièces d’origine que nous avons restaurés et recyclés. » Un principe chromatique s’est mis en place naturellement : les «crédules» étaient vêtus dans des teintes claires et pastel, tandis que les «sceptiques» portaient des couleurs plus sombres. « La première chose qu’on a respectée, c’est la logique propre à l’époque, indique Allen.

C’était logique que Stanley, Howard et George portent des costumes, puisqu’on s’est rendu compte, au cours de nos recherches, que c’est le genre de tenues qu’ils privilégiaient. Et cela nous a permis de trancher avec les tenues beaucoup plus claires des autres personnages qui sont plus tournés vers l’imaginaire et la féerie de la vie. »

Comme dans tous ses films, Woody Allen a recours à de longues prises très dialoguées, à des mises en place précises des comédiens et à des mouvements d’appareil bien spécifiques. « En apparence, tout a l’air très simple, mais en réalité, cela veut dire que tout doit être d’une grande justesse, relate Firth. Parfois, on fait sept ou huit prises, et il est ravi, mais il faut repartir à zéro parce que j’ai fait tomber mon chapeau. Il ne répète pas, si bien que la première prise tient souvent lieu de répétition, et il faut recommencer, encore et encore, jusqu’à ce que le déroulement de la scène soit fluide et que tout le monde soit fin prêt. » Emma Stone affirme : « Travailler avec Woody est un rêve éveillé ! J’avais entendu dire qu’il était discret et très sombre et qu’il gardait ses distances, mais ce n’est pas du tout ce que j’ai vécu. Il s’est montré très amical, et drôle, et il m’a raconté des tas d’anecdotes. » Colin Firth acquiesce : « En tant que metteur en scène, il s’investit totalement dans le travail et il est très précis. Il nous fournissait des informations extrêmement détaillées et d’une très grande précision sur ce qu’il voulait. Et quand il était satisfait, on passait simplement à la scène suivante. » Eileen Atkins renchérit : «Quand on tournait une scène et qu’on était conscients d’avoir très mal joué, il nous disait, «ce n’était pas terrible, n’est-ce pas ?» Je riais et je lui répondais, «c’était épouvantable. Qu’est-ce qu’on va faire ?» Il riait, lui aussi, et il rétorquait, «la prochaine prise sera meilleure». Et il n’y avait rien d’autre à dire la plupart du temps. Il vous répondait volontiers si vous aviez une question à lui poser, mais il sait très bien comment fonctionnent les acteurs, car il est lui-même comédien. Il est conscient qu’en choisissant les bons interprètes, et en leur faisant plaisir à bon escient, il n’y a plus qu’à les laisser jouer. »

Tournant dans un site reculé, les comédiens ont rapidement noué des liens et fréquemment dîné ensemble, ce qui est assez rare sur un tournage. Emma Stone rapporte : « Colin explique qu’un tournage est une alchimie, puisqu’il faut croire à nos personnages et prendre l’univers du film pour la réalité, même en tant que comédiens. Pour moi, un tournage est une petite capsule temporelle dans laquelle j’aimerais parfois me replonger. Ce film restera l’une de mes meilleures expériences de tournage. » Colin Firth ajoute : « Emma est le genre de personne qui galvanise un plateau. Tout le monde l’appréciait et elle était très ouverte sur les autres. Elle a une nature joyeuse et elle est très drôle, et je pense que cela donne la pêche à son entourage. Nous sommes devenus très amis.»

« Nous étions dans le sud de la France pour un film situé dans les années 20 qui parle de magie, s’enthousiasme Emma Stone. Je crois bien que nous étions tous embarqués dans une atmosphère d’insouciance et de légèreté proche du Songe d’une nuit d’été. J’avais le sentiment d’assister à un spectacle de magie. À chaque fois que j’ai vu un magicien de près, j’avais l’impression qu’il n’y avait pas de trucage, même si c’est bien évidemment impossible. À mon avis, cela dépend de notre volonté d’y croire et notre capacité d’émerveillement. Nous avons besoin d’histoires, de contes de fée et de mythes. » Colin Firth reprend : « Pour moi, tout cela est lié à notre goût pour le mystère, pour les choses qu’on ne peut pas ranger dans des cases et pour les énigmes qu’on ne peut pas résoudre de manière logique ou scientifique. Je pense que ce sont des sujets qui divisent profondément les gens. Certains refusent le mystère et veulent à tout prix le percer à jour scientifiquement, et d’autres sont catégoriquement hostiles à tout ce qui ne peut être résolu ou analysé de manière rationnelle. Et d’autres encore accueillent le mystère avec bienveillance.” McBurney souligne : « Lorsqu’on est témoin d’un événement qu’on n’arrive pas à expliquer, on se retrouve exactement comme l’enfant de 5 ans qu’on était autrefois et qui ne comprenait pas pourquoi les fleurs poussaient au printemps, ou comment son oncle faisait surgir une pièce derrière son oreille. Cela stimule la part de nous-mêmes qui voudrait voir le monde d’un œil neuf. Nous sommes capables de redevenir des enfants devant un musicien génial, une pièce de théâtre formidable, un tableau extraordinaire ou les merveilles de la nature. Tout cela est susceptible de nous procurer un sentiment d’émerveillement éternel qui appartient vraiment à la magie. »

Le plus grand mystère reste encore l’amour, qui est aussi réel qu’inexplicable. « C’est parfaitement humain de vouloir un peu de magie dans notre vie, reprend Emma Stone. Et dans le film, ce qui est magique, c’est l’amour. L’amour arrive sans prévenir. Il n’est pas toujours logique, mais c’est ce qui en fait toute la beauté et la magie. » Woody Allen conclut : « Le coup de foudre est inexplicable. On peut tenter de trouver des explications, en disant que c’est parce qu’on aime le style de l’autre, son sens de l’humour, ses idées, ou encore son physique. Mais au bout du compte, on ne peut jamais expliquer un coup de foudre à 100% car on peut rencontrer quelqu’un qui possède le même style, le même humour, etc., et ne pas se sentir attiré par lui. C’est aussi complexe qu’impalpable. Je suis convaincu que dans un million d’années, grâce à l’informatique, on pourra mettre en équation le phénomène amoureux, mais à l’heure actuelle, et dans un avenir proche, les choses ne changeront pas. Il y a quelque chose de magique et d’exaltant dans une rencontre et dans les sentiments amoureux qu’on peut soudain éprouver… »


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