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Fury

Par Onrembobine @OnRembobinefr

[Critique] FURY

Titre original : Fury

Note:

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halfstar [Critique] FURY

Origine : États-Unis
Réalisateur : David Ayer
Distribution : Brad Pitt, Logan Lerman, Shia LaBeouf, Michael Peña, Jon Bernthal, Jim Parrack, Brad William Henke, Jason Isaacs, Xavier Samuel, Scott Eastwood…
Genre : Guerre/Aventure/Drame
Date de sortie : 22 octobre 2014

Le Pitch :
Avril 1945 : les Alliés progressent lentement en Allemagne, tandis que les nazis jettent férocement leurs dernières forces dans la bataille. À bord d’un tank Sherman, le sergent Wardaddy et ses hommes sont envoyés dans les zones à risques afin de faciliter le passage des soldats, et de sécuriser les bastions encore tenus par les nazis. Alors qu’elle se ravitaille, l’équipe accueille Norman, un jeune américain inexpérimenté, afin de remplacer un de ses membres, tombé lors du dernier affrontement. Parachuté au beau milieu d’une guerre en forme de carnage à ciel ouvert, Norman va découvrir aux contact de Wardaddy et de ses coéquipiers, que l’ennemi, bien qu’en pleine déroute, reste redoutablement armé et organisé…

La Critique :
Retour en 1945. La Seconde Guerre mondiale est bientôt terminée. Les Alliés ont débarqué, les nazis ne cessent de reculer et Hitler commence à se dire que son plan ne va certainement pas se concrétiser. De nombreux films se sont intéressés à l’arrivée des américains, des canadiens ou des britanniques sur les côtes françaises, tandis que d’autres ont relaté le combat de la résistance, dans les terres. Du Jour le plus long à Il faut sauver le Soldat Ryan, nombre de ces longs-métrages -pour certains d’entre eux emblématiques- s’articulent autour d’une victoire ou d’un coup d’éclat déterminant. Pas Fury. David Ayer lui, déboule en plein conflit alors que les allemands, bien que diminués, restent bien présents sur le terrain, nombreux, armés jusqu’aux dents et déterminés. Les yankees quant à eux, sont fatigués. Leur matériel est moins performant et les pertes massives ont tout autant entamé le moral des troupes que leur capacité à progresser convenablement en territoire ennemi, afin de mettre un point final à la guerre. Fury ne relate pas l’histoire d’une victoire. Au fond, la guerre est déjà gagnée. Hitler a perdu une majorité de ses terres et ses alliés, comme le Japon, ne vont pas tarder à tomber dans un déluge de feu dévastateur. Non, Fury n’est pas le récit flamboyant de héros venus de l’autre côté de l’Atlantique pour s’illustrer au cours d’exploits destinés à rentrer dans l’histoire. Il s’agit avant tout ici d’avancer. Et les cinq soldats du film avancent, tant bien que mal, enfermés dans le tank Sherman qui leur sert à la fois de refuge, de véhicule et d’arme. L’objectif est simple : gagner du terrain. Grignoter, un kilomètre à la fois, une terre brûlée, gorgée du sang des soldats et des civils. À l’opposé d’Il faut sauver le Soldat Ryan, de Steven Spielberg, Fury met en scène des types usés jusqu’à la corde, blasés, bouffés par des visions d’horreur accumulées depuis leurs premiers pas dans le bourbier qu’est devenu le vieux continent depuis le début des hostilités.

David Ayer, une nouvelle fois au scénario et à la mise en scène, signe son œuvre la plus ambitieuse. Fury est à marquer d’une pierre blanche dans la filmographie du réalisateur, tant il tranche sur pas mal de points avec ses précédentes livraisons. Celui dont le nom rime automatiquement avec Training Day, dont il signa le scénario pour Antoine Fuqua, abandonne la ville et plus spécifiquement les rues malfamées du quartier South Central de Los Angeles. Une rupture d’autant plus flagrante qu’il change également d’époque. Fury est son premier film à ne pas se dérouler de nos jours. C’est aussi son plus gros budget (80 millions) et sans aucun doute le projet qui nécessita la logistique la plus complexe et la plus lourde. Avec Fury, David Ayer est parti au feu. Quelques mois à peine après l’échec de Sabotage, il revient dans les salles et assène un violent uppercut, destiné à s’inscrire d’emblée dans la lignée de ces films de guerre cultes transgénérationnels et cohérents. Le cinéaste affiche une assurance de tous les instants. Son film, sans faire écho à une grandiloquence trop hollywoodienne (en gros, on est pas dans le Pearl Harbor de Michael Bay), est aussi spectaculaire que viscéral dans sa volonté de traduire avec réalisme la brutalité des échanges guerriers. Ayer profite de l’originalité conférée par le tank (combien de films se sont déjà intéressés à des soldats enfermés dans un char d’assaut la majorité du temps ?), et orchestre un long-métrage immersif, presque claustrophobique, tout en insufflant un maximum de souffle et de lyrisme sauvage, au cœur de paysages remarquablement reconstitués. Chaque dollar dépensé se retrouve dans ce tableau réaliste sans concession aucune. Fury n’en fait jamais trop, il est rythmé à la perfection, alterne les phases d’action et les plages plus calmes avec une fluidité exemplaire et justifie en permanence des choix de mise en scène percutants, traduisant eux-mêmes la totale maîtrise d’un type ici à son plus haut niveau.

Fury cast 300x200 [Critique] FURY

À plus forte raison qu’Ayer n’abandonne pas ses obsessions. À l’instar de ses précédentes réalisations, son trip guerrier tourne autour de l’idée de résistance. Les cinq soldats livrent un combat dans lequel l’équilibre des forces n’est pas de mise. Les tanks allemands sont mieux blindés et en face, plus généralement, les ennemis sont plus nombreux. Plus que tout, c’est le fait de ne plus rien avoir à perdre qui fait d’eux de redoutables opposants. À l’instar des deux policiers de End of Watch, de l’escadron de mercenaires de Sabotage, ou même du duo de Training Day, les hommes du sergent Wardaddy sont destinés à demeurer seuls face à la menace. Le pire étant que leur position peu enviable ne répond même pas spécialement à un désir de les faire briller à l’orée d’un chant héroïque et patriotique. Non, ils sont justes ce qu’ils sont, à savoir des mecs embarqués dans quelque chose qu’ils comprennent à peine.

Là encore, la nature de ces types va dans le sens du schéma souvent établi par Ayer dans ses scénarios. Des scripts où le manichéisme n’a pas sa place. Du moins pas celui souvent mis en avant dans les films américains. On sait qui sont les méchants et qui sont les gentils mais Fury souligne aussi que ces gars, quelles que soient la couleur de leur bannière et les intentions de leurs dirigeants, sont avant tout des pions que l’on déplace au grès de stratégie où le sacrifice tient une place primordiale. Changé à jamais par un traumatisme lattant et dévorant, les héros de Fury (qui n’en sont pas) ne sont pas vraiment sympathiques ni attachants. Brad Pitt le premier, apparaît dans un premier temps comme un homme impitoyable, armé d’une haine farouche contre les allemands, dont il a appris la langue semble-t-il dans le seul but de pouvoir affuter sa colère destructrice face aux atrocités commises par ces derniers. Le spectateur fait la connaissance de ces types, alors qu’ils affichent déjà quelques kilomètres au compteur. Avant d’arriver en Allemagne aux commandant de leur char, ils ont parcouru l’Afrique du Nord et la France. Ils ont connu le débarquement et tué un bon nombre de soldats pour se frayer un chemin vers le bastion d’Hitler. Leur visage traduit les actes inhumains qu’ils ont été obligé d’accomplir. La guerre a laissé des marques et dévoré leur âme, au point que bien souvent, la haine commande leurs paroles et leurs gestes, quand bien même ils n’ont personne à flinguer, alors que paradoxalement, la religion, ce roc auquel certains d’entre eux se raccrochent, parfois par dépit, cristallise le paradoxe et l’absurdité de la guerre.
Jon Bernthal (le Shane de The Walking Dead) par exemple, incarne la folie inhérente à la guerre. On a ici un mec bouffé par son « boulot » et dont la seule raison d’être est de laisser s’exprimer une furie accumulée et nourrie par ses traumatismes. Parfait et parfois carrément flippant, le comédien est à saluer, comme l’intégralité d’une distribution burinée et inspirée. Shia LaBeouf, qui n’a pas manqué de faire parler de lui pendant le tournage en refusant de prendre des douches et en s’arrachant lui-même une dent, histoire de se couler avec plus de conviction dans son personnage, s’avère, il faut le reconnaître, troublant de naturel. Le glamour n’a aucune raison d’être dans la boue, le sang et les larmes. Michael Peña, solide second rôle, rajoute à sa déjà brillante filmographie, un nouveau rôle marquant, tandis que Logan Lerman (Le Monde de Charlie), le bleu du groupe, incarne à lui tout seul l’innocence sacrifiée sur le champs de bataille, et personnifie du même coup une émotion pénétrante à laquelle il semble impossible de rester insensible. Brad Pitt enfin, en meneur de troupe, orchestre son retour en pleine Seconde Guerre mondiale (après Inglourious Basterds), avec un sérieux et une intensité qui forcent le respect. Le sergent Wardaddy (un nom plein de sens) est un de ses rôles les plus puissants. Lui aussi a laissé le glamour au vestiaire. Complexe, son personnage est un chien de guerre enragé, mais néanmoins conscient de la nécessité de laisser s’exprimer ponctuellement une part d’humanité préservée. Bluffant, le comédien qui n’a pourtant plus rien à prouver, explose littéralement. Sa performance nourrit celle de ses collègues et inversement, dans une émulation constante et nécessaire à la bonne tenue de cette aventure tour à tour crépusculaire, nihiliste et déchirante.

Il y a 14 ans, David Ayer faisait son entrée à Hollywood en signant le scénario du film U-571, qui prenait place dans un sous-marin, lui aussi plongé en pleine Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, le combat se déroule sur terre, dans un autre sarcophage d’acier lourdement armé. Le résultat est d’un tout autre calibre, et tant pis pour les quelques clichés pas bien gênants qui émaillent un récit quoi qu’il en soit piloté par des codes assimilés et convoqués par un réalisateur qui ne recherche pas l’originalité, mais l’efficacité.
Désormais, ce n’est plus « par le scénariste de Training Day » que les affiches des films de David Ayer devront mentionner, mais bien « par le réalisateur de Fury ». Ce n’est pas tous les jours qu’on accouche d’un classique instantané. Après avoir raté le coche, parfois d’un cheveu, David Ayer y est enfin parvenu, nous laissant par la même occasion sur le carreau.

@ Gilles Rolland

Fury Brad Pitt [Critique] FURY
Crédits photos : Sony Pictures Releasing France


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