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Haim ZAFRANI (1922-2004)

Publié le 26 octobre 2014 par Feujmaroc

Haim ZAFRANI, voilà le nom d'un grand Monsieur, qui a beaucoup contribué à la préservation du Patrimoine Juif Marocain. Toute sa vie durant, engagé dans cette voie, il nous laisse de magnifiques livres qui nous détaillent cette vie juive au Maroc et plus.

Cet article sont des propos recueillis auprès de Mr Haim ZAFRANI et sa femme Célia et qui nous donne un rapide aperçu de ce grand Homme.

Georges SEBAT

Haïm et Célia Zafrani

Portraits croises

Impressionnant curriculum vitae que celui du professeur Zafrani. Instituteur de l'Alliance il devient secrétaire général du syndicat UMT, membre de l'Académie royale du Maroc, inspecteur principal puis codélégué de l'Alliance au Maroc, et se fait l'ethnographe de communautés bientôt disparues. Fellow de l'institute for Advanced Studies à Jérusalem, reprenant à Paris la chaire de langue hébraïque et de civilisation juive de Langues O, il dirige également l’UER des études slaves, orientales et asiatiques de Paris VIII. On ne compte plus ses ouvrages, articles et communications, comme aujourd'hui au colloque du Collège des études juives sur la tradition séfarade. Dans le hall du Sénat, il se prête aimablement au rituel de l'interview. A ses côtés, Célia Zafrani tend à se mettre en retrait. mais le sourire dément la réserve. On l'imagine aisément face à une classe, encourageant chacun de son regard attentif, pétillant de tendre malice. Tous deux sont nés à Essaouira-Mogador, tous deux ont connu les bancs des écoles de l'Alliance, ensemble ils y ont enseigné. Une rencontre sous le signe de l'Alliance ?

Mr Haim ZAFRANI et sa femme Célia.

Mr Haim ZAFRANI et sa femme Célia.

Les instituteurs de l'Alliance - Haim Z.

Je ne suis pas tout à fait un enfant de l'Alliance, bien que j'en sois devenu le codélégué après l'Indépendance. J'ai d'abord été scolarisé à l'école franco-israélite, qui dépendait de l'Instruction publique, comme les écoles franco-musulmanes. Mais celle-ci a fermé en 19331 et ses élèves ont rejoint la toute nouvelle école de l'Alliance, hors les murs. La première, l'école Auguste Beaumier, du nom du consul de France qui en avait favorisé la création, existait depuis 1880. Je me souviens surtout des instituteurs de l'Alliance. Extrêmement sévère, le directeur nous faisait désherber son jardin. En 1935, j'ai passé mon certificat d'études. A Mogador, le secondaire n'existait alors pas dans le réseau de l'Alliance. Je suis donc revenu dans l'enseignement public, au cours complémentaire, jusqu'à mon brevet, en 1938 ; puis j'ai passé le concours de l'ENIO et suis venu à Paris, au 59 rue d'Auteuil.

J'étais avec l'ENIO au camp de vacances des Menuls, quand George Leven est venu nous annoncer que la guerre était déclarée. Les cours seraient assurés sur place quelques mois, le temps de triompher des Allemands. Inquiets malgré tout, nous avons préféré rentrer au pays.

J'ai donc passé les deux parties de mon brevet supérieur à Oran et Alger. En 1940, il fallait trente heures pour gagner Oran via Casablanca par le train, depuis Mogador. Ce jour-là, le 10 juin, il y eut les premiers bombardements. L'Italie venait d'entrer en guerre aux côtés de l'Allemagne. Les cinq ou six élèves qui présentaient l'examen se sont retrouvés dans l'abri de la rue d'Arzeu, celle-là même où toute la jeunesse se promenait.

Nommé instituteur à Mogador, j'y suis revenu avec la dernière promotion. En 1945, l'Alliance m'a envoyé « faire une année de bled » à Boujad, localité tenue par une confrérie religieuse puissante et proche du pouvoir. J'ai vite voulu quitter cette terre sans arbres, mais encore fallait-il qu'un remplaçant fût trouvé. Cela a duré une année, pendant laquelle j'ai eu le temps de préparer cinq élèves au certificat d'études, deux à l'entrée en sixième et un au concours de bourse, après sept ans sans un seul certificat d'études. J'y ai créé un jardin et une section de reliure- avec l'aide du gouverneur, dont nous avons en échange relié les livres anciens. Ainsi qu'un atelier de radio, car j'avais obtenu un diplôme de radioélectricien dans l'intention de partir en Palestine, où il fallait un métier.

J'ai continué durant l'année 1947-48, détaché par l'Alliance à l'École industrielle de Casablanca. Puis à l'École professionnelle, dépendant de l'État mais où l'Alliance avait une part prépondérante - l'ORT, en effet, ne sera fondée au Maroc qu'en 1948, dans des conditions épiques : certains des élèves furent recrutés parmi les délinquants. J'y ai créé une section d'électricité pour les enfants au rebut de l'éducation. Une année, tombé malade la veille de leurs épreuves de CAP, je les ai fait descendre autour de mon lit, dans mon logement de fonction, pour les dernières révisions. Aujourd'hui, tous sont ingénieurs. A cette époque et jusqu'en 1956, j'enseignais également les sciences et l'arabe à l'École normale hébraïque de Casablanca. Puis, dès l'Indépendance, j'ai été nommé membre de la Commission royale chargée de la réforme de l'enseignement. Inspecteur principal dans les écoles de l'Alliance, passées sous administration marocaine mais dont les enseignants demeuraient les mêmes, je me suis attaché ainsi que ma femme à les former au travail en langue arabe.

Un double engagement - Célia Z. 

Nous sommes tous deux de Mogador, où je revenais pour les vacances, et même parents. Ce n'est qu'après nous être mariés que nous avons travaillé côte à côte. Pendant toute une période, je préparais le matériel pédagogique d'enseignement de l'arabe, ronéotant à tour de bras les feuillets que nous envoyions chaque lundi aux professeurs à travers tout le pays.

J'avais trois ans quand nous sommes partis pour Casablanca. Mon grand-père maternel était consul d'Allemagne à Mogador avant 1914, mon oncle, consul d'Autriche. Ma mère a suivi les cours de l'école anglaise². Pourtant, dans cette ville qui se défaisait économiquement, ma famille n'était guère riche. Après leur brevet, mes sœurs ont commencé à travailler. En 1940, l'Alliance avait un nombre assez modeste d'écoles et d'enfants scolarisés. Le cours complémentaire s'arrêtait au brevet, puis il fallait aller au lycée de Casablanca. J'ai eu la chance de passer à l'Institut des hautes études marocaines un brevet d'arabe classique. Et je suis devenue institutrice à l'Alliance, où j'ai enseigné de 1945 à mon mariage.

Quand mon premier enfant a eu trois ans, j'ai repris à l'Ecole professionnelle. Il y avait là six à sept élèves de seize, dix-sept ans par section, tailleurs, plombiers... chaque jour apportait ses satisfactions, son lot de progrès quotidiens. Mon mari avait l'élite, moi les cas perdus... Ils sont aujourd'hui artisans ou commerçants, tous ont réussi. Pourtant, je ne leur ai jamais appris le commerce. Mais je leur ai donné le goût du travail. Je les respectais et ils le sentaient, s'attachaient à leur façon de se tenir. Une prime de 100 F récompensait chaque mois leurs efforts. J'enseignais l'arabe et les autres professeurs la technologie ou les maths. Dans ma classe, les élèves n'avaient jamais que de bons points, c'eût été un crime que de les priver d'un argent pour eux vital. Ils le remarquaient et se comportaient admirablement durant mes cours.

À la même époque, mon mari donnait la nuit des leçons d'alphabétisation aux dockers, dont les mains durcies pouvaient a peine tenir un crayon. Il a conservé des liens avec ces hommes, devenus syndicalistes ou hommes politiques. Lui-même a été secrétaire général de l'Union marocaine des travailleurs (UMT).

2 Ouvrages parmi les plus célèbres de Mr Haim ZAFRANI.
2 Ouvrages parmi les plus célèbres de Mr Haim ZAFRANI.

2 Ouvrages parmi les plus célèbres de Mr Haim ZAFRANI.

Éloge de la diversité - Haïm Z.

En 1962, j'ai accepté de reprendre la chaire d'hébreu de Langues O', à Paris, que le départ du professeur Horowitz en Israël laissait vacante. Je n'ai pas abandonné pour autant les quatre-vingt cinq écoles de l'Alliance.32 000 élèves y étudiaient, y compris dans le 6/ed, pour une population de 250000

Juifs. Co délégué au Maroc, j'ai enregistré au gré de mes tournées d'inspection les traditions orales de ces communautés dont je pressentais la disparition... et, avec elle, celle d'un patrimoine vieux de deux mille ans. J'ai enregistré les chants de rabbi David Buzaglo dans la salle de classe de ma femme en 1957, puis traduit ses piyutim (édités par Beit HaTfutsot). Je connaissais l'existence de Juifs berbérophones dans le Sud marocain. Enregistrant là des textes bibliques et leur traduction en arabe, j'ai tenté ma chance : en existait-il aussi en berbère ? J'ai ainsi trouvé, à Tinghir du Todgha, une version berbère de la Haggadah de Pessah que j'ai traduite et publiée avec une étude comparative sur les haggodoth en hébreu, arabe et castillan.

L'école espagnole, ouverte à la culture du temps et à celles des autres, a été pour beaucoup dans l'intérêt que j'ai porté à des domaines si divers, scientifiques, techniques et littéraires. En bon disciple de l'âge d'or encyclopédiste, j'ai longtemps voulu m'inscrire en mathématiques à la faculté, étudié parallèlement l'hébreu, l'arabe et le droit, travaillé les textes mystiques et exégétiques. Un art auquel j'étais rompu grâce à mes grands-parents. Je leur dois beaucoup, à eux comme à mes maîtres - à huit ans, je savais déjà tout ce que je sais aujourd'hui et peut-être plus... L'atmosphère d'effervescence spirituelle de mon enfance est sans doute ce qui m'a le plus marqué.

(Propos recueillis par Tal Aronzon)

1-Ces années-là, coexistent les écoles primaires de l'Alliance ; le réseau franco-israélite, subventionné par le gouvernement du Protectorat ; les hadarim puis Talmudei Torah de l'enseignement traditionnel, réservé aux garçons Mais on manque cruellement de places, et près de 40% des enfants se retrouvent à la rue.

2-En ce qui concerne la scolarisation des filles, un état comparatif établi par la Délégation rie l'AIU au Maroc ne laisse pas de surprendre. L'année 1951/52, la communauté de Casablanca, forte de 80 000 membres, compte 3 697 filles pour 4 220 garçons dans les écoles de l'Alliance, â quoi s'ajoutent 950 garçons dans les Talmudei Torah rénovés ; à Fez (14 000membres], le nombre des filles dépasse celui des garçons : 1 129 filles pour 805 garçons.

Certes, l'enseignement traditionnel  est fermé aux filles, limitant pour elles le choix. Mais cette entrée en force, dans des conditions économiques difficiles et alors que l'école n'est en rien obligatoire, témoigne de l'évolution des mentalités.

BIOGRAPHIE:

Historien, spécialiste du monde sépharade (1922-2004)

Né en 1922 à Essaouira (Mogador), Haïm Zafrani est professeur émérite de l’université de Paris-VIII où il a dirigé le Département de langue hébraïque et de civilisation juive.
Il est titulaire du doctorat de recherches en études orientales, licencié en Droit et Sciences économiques, diplômé d’arabe classique (Université de Rabat) et de langue hébraïque (Université de Jérusalem) Il est membre de l’Institut des Hautes études sémitiques (Collège de France), du Conseil de coopération collège de France-universités, membre du comité de parrainage de la revue Horizons maghrébins, membre correspondant de l’Académie du Royaume du Maroc... Attaché à sa double culture juive et marocaine, Haïm Zafrani vivait à Paris. Il est mort en mars 2004.
Il est l’auteur de quinze ouvrages et de plus de cent cinquante articles portant sur la pensée, les littératures et les langues juives en Occident musulman.


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