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Éolien : la France ne doit pas laisser passer sa (dernière ?) chance

Publié le 27 octobre 2014 par Blanchemanche
#transitionénergétique #énergieduvent
Hugues Boulet - LE MONITEUR.FR - Publié le 21/10/14
Parcs éoliens installés en Europe au 31 décembre 2013. Source : SER
© SER - Parcs éoliens installés en Europe au 31 décembre 2013. Source : SER 
Après quatre années de diminution de la puissance installée, « l’énergie du vent » semble enfin tourner dans le bon sens dans l’Hexagone. Pourtant, la France ne semble pas avoir encore mesuré le potentiel  sur son marché domestique, mais aussi à l’export, de cette filière dans laquelle les entreprises de travaux publics ont une carte à jouer.Il est des mystères insondables et désespérants dont la France a le secret : en 2009, le pays avait raccordé 1 246 MW de puissance éolienne ; fin 2013, ce chiffre était tombé à 621 MW ! Entre ces deux dates, une longue descente aux enfers : 1 189 MW installés en 2010, 952 en 2011 et 822 en 2012.
La faute à qui ? À des procédures d’autorisation qui, entre empilement administratif et recours, s’étendent sur parfois plus de dix ans. À un gouvernement qui a longtemps hésité à prolonger un tarif d’achat garanti, avant que Ségolène Royal ne signe l’arrêté en mai dernier. Aux traqueurs de déficits publics qui accusent les ENR d’être chères et subventionnées. À  l’armée qui ne veut pas d’éoliennes pour ne pas perturber ses radars  ou bloquer ses couloirs de manœuvre aérienne, à Météo France, toujours pour des questions de radars brouillés. À certains élus locaux qui fulminent contre ces drôles de machines censées dénaturer le paysage. Et même à certains écologistes qui craignent (à raison) pour la faune volante, en particulier les chauves-souris.
En France, donc, presque tout le monde est contre l’éolien… en oubliant totalement qu’il s’agit de l’une des rares filières industrielles prometteuses du pays à l’export, au moment où notre balance commerciale fait grise mine. L’Hexagone possède des champions nationaux dans l’énergie (EDF, GDF Suez), l’industrie (Alstom, Areva pour les turbines) et la construction de fondations, surtout pour l’offshore (Vinci, Bouygues et même Eiffage, qui a racheté en novembre dernier le spécialiste belge Smulders). Les ingénieristes – Egis, Technip, Artelia… – ont également leur carte à jouer. On le voit, la France a tous les atouts pour mettre sur pied une filière éolienne performante, en capacité de répondre à une demande forte sur son marché domestique, mais aussi à l’export… l’un n’allant d’ailleurs pas sans l’autre, selon Philippe Kavafyan, président du pôle éolien offshore du SER : « La réalisation de chaque parc en mer coutera 2 à 3 euros à chaque foyer français, mais cela créera de l’emploi et une filière qui pourra se vendre à l’étranger. La France n’a pas raté le train de l’éolien et notre savoir-faire est reconnu partout en Europe, mais il faut rentrer dans une phase d’industrialisation ».

En retard sur ses voisins européens



En termes de marché, les chiffres donnés par le SER sont prometteurs. En France, si seulement 3,8% de la consommation électrique est d’origine éolienne (8 592 MW), ce chiffre devrait monter à 10% en 2020 (25 000 MW) si la France respecte son plan de route fixé dans le Grenelle environnement pour répondre aux objectifs de l’Union européenne de 20% en moyenne d’ENR dans la consommation totale d’énergie finale (23% pour la France). Mais c’est surtout au niveau international que les chiffres donnent le tournis. Actuellement, 100 millions d’euros sont investis tous les jours dans cette énergie et 100  MW installés, selon le SER. Mieux, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’énergie éolienne représentera de 15 à 17% de l’électricité produite en Europe en 2020 et 50% en 2050. Toujours sur le plan continental, les chiffres de l’ENTSO-E, l’association des gestionnaires de transport d’électricité européen, montrent bien que la France n’est pas, et de loin, le plus important marché de l’éolien : au 31 décembre 2013, l’Allemagne disposait du grand parc en Europe avec 34 GW (9,6% de la consommation électrique), suivi de l’Espagne (22 GW, 21%), et de l’Italie (8,5 GW, 4,7%), la France se positionnant à 8,2 GW (3,2%), derrière le Royaume-Uni dont les chiffres sont partiels. Suivent le Danemark (4,8 GW, 34%), la Suède (4,5 GW, 7,1%) et la Pologne (3,4 GW, 3,9%). En termes de puissance installée en 2013, là encore, la France est loin derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni ou même la Pologne.
Si la filière hexagonale, qui emploie actuellement 10 000 personnes, atteignait ses objectifs de 25 000 MW, elle verrait ce chiffre passer à 60 000 en 2020, selon le SER, grâce notamment à la création de dix usines pour répondre à la demande en France et à l’étranger dans le domaine de l’éolien en mer.

Les majors du BTP placés



On le voit, la France a tout intérêt à se lancer sans hésitation et au plus vite  dans l’aventure de l’éolien. Et ce n’est pas un Français qui le dit, mais un Danois, Thomas Becker, le président de la « European Wind Energy Association » (EWEA). Lors du colloque national éolien organisé par le SER, le 7 octobre à Lille, dans une ambiance feutrée où l’on discutait entre Français et sans fin des avantages et inconvénients de l’éolien, ainsi que des timides avancées inscrites dans le projet de loi sur la transition énergétique, il a tonné : « La France est reconnue pour décider et réussir des grands programmes d’infrastructures lorsqu’elle le décide, tel le TGV ou plus récemment le Grand Paris. Pourquoi en irait-il différemment pour la transition énergétique et l’éolien ? » Mais pour le dirigeant d’association, c’est au niveau européen qu’il faut se positionner : « Le fait que le monde entier ait besoin des techniques liées à l’éolien, que l’Europe puisse devenir un champion dans ce domaine – car elle possède les meilleurs experts de la filière au monde – m’incite à penser que nous devrions nous saisir à bras le corps de ce changement. Il s’agit d’une opportunité excellente de se positionner parmi les acteurs industriels majeurs de demain ».

  Ségolène Royal absente, mais consciente


Ségolène Royal, annoncée au colloque, mais finalement absente, est consciente de l’enjeu. N’a-t-elle pas déclaré, le 7 mai dernier, lors d’une conférence de presse : « La France a pour ambition de devenir le chef de file en Europe dans le domaine des énergies marines renouvelables ». Le colloque de Lille a pourtant montré que les acteurs français de la filière n’en étaient pas encore à afficher de telles ambitions, se contentant des bonnes nouvelles de la rentrée. Pour la première fois depuis quatre ans, le raccordement au réseau électrique a progressé avec une multiplication par deux de la puissance installée par rapport à la même période en 2013, à 418 MW. Outre les avancées de la loi sur la transition énergétique (voir p. précédente), les intervenants sont également revenus sur l’annonce faite par Ségolène Royal d’un troisième appel d’offres pour l’éolien offshore en France.
Mais il est rapidement apparu lors de ce colloque que l’expansion de l’éolien, y compris en France, devait aussi être réfléchie au niveau européen. Ainsi, le SER a rappelé l’importance de son projet Windustry France 2.0, qui vise à accompagner individuellement 50 entreprises sur trois ans, notamment sur des salons internationaux. La veille du colloque, Windustry avait organisé une conférence technique qui a réuni des experts européens pour partager leur expérience sur l’exploitation et le développement de parcs en service.

Doublement des interconnexions



La question du réseau a également été abordée sous un angle continental. Cédric Philibert (division « Efficacité des ENR » de l’AIE) a ainsi souligné le problème posé par la variabilité de l’éolien et des ENR en général : « C’est au Danemark qu’il est le plus facile à régler, car le pays est très bien interconnecté. Dans la péninsule ibérique, il est le plus problématique, car le pays a une forte production éolienne, mais reste encore mal connecté ». L’expert appelle donc de ses vœux le développement de capacités de stockage. Dominique Maillard, le président de Réseau de transport de l’électricité (RTE), identifie le même souci tout en souhaitant l’accroissement des interconnexions. « Il faut adapter le réseau à l’énergie éolienne. En Europe, il existe une zone d’inertie considérable qui va de Dantzig à Lisbonne et qui inclut même les trois pays du Maghreb, mais qu’il faut continuer à développer. D’ici 2025, nous devons doubler la capacité d’interconnexion en Europe si nous voulons réussir la transition énergétique ». Encore une bonne nouvelle pour le BTP, entrepreneur en charge de ces travaux, et qui a vraiment toutes les raisons de pousser au développent de l’énergie du vent.  

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