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on ne dit jamais au revoir à celui qui part

Publié le 04 mars 2013 par Lironjeremy

on ne dit jamais au revoir à celui qui part Que le temps dans son immobilité témoigne de la succession des heures, des époques, des mouvements qui tournent les hommes sur eux-mêmes et les font chaque instant semblables et dissemblables et qu’on y ajoute de l’équipement, comme le disait Mallarmé : « la nature à lieu, on n’y ajoutera pas ».  Reste la nuit qui engouffre ce dont l’expérience nous sépare pour la bonne raison qu’en être le sujet nous préviendrait de pouvoir y faire retour, en témoigner : la fin, comme l’origine, pour autant ancienne qu’elles soient sont des questions qui nous rendent au vertige et nous habitent comme un inconnu irréductible duquel nous ne sommes jamais qu’au bord. La mort, c’est pour nous accueillir celle des autres en nous ou comme on dit « porter le deuil », faire l’expérience de cette creusée au ventre, absence, rupture du dialogue qui nous renvoie sur un bord. Comme si celui qui mourrait se délestait sur nous dans un mouvement de paupières.
On pourrait croire qu’à répéter que cela nous concerne et nous échappe on en vienne à tourner une mélodie morte, une lamentation vide, mécanique. Cela arrive lorsqu’on ne fait que se souvenir d’une idée ou d’une perception arrêtée et ça vous tombe des mains : on sait cela. Savoir et se l’entendre dire n’est rien. Certains, au contraire, habitent les mots qu’ils poussent au-devant d’eux, comme l’arbre tout entier habite chacune de ses feuilles dans l’extrémité qu’elles lancent au ciel. Simplement, ils sont au présent de leur parole, en équilibre sur le chemin fragile qu’elles avancent. Les images les plus bêtes auxquelles on s’en remet sont alors celles qui touchent au plus juste. Une fois de plus la mort, une fois de plus la nuit, pour ce qu’à la vérité ce sont deux mystères qui se frôlent, deux abîmes que l’on porte en soi et dont on n’en fini pas de peser le vertige. Dont le vertige n'en fini pas de peser en nous.
Le fait est que les mots, et ceux-là particulièrement, sont opaques. Ils sont là auxquels on butte, comme une dernière extrémité, comme un entendu, une tournure. Ce sont des formules inscrites sur des boites dont on ne sait dire le contenu et que  l’on pense alors pouvoir archiver avec l’illusion d’en avoir fini mais dont l’écho caverneux résonne parfois comme une mauvaise conscience, réclamant la scène. « Nous sommes devenus des illettrés de la mort ».  La question qui introduit alors ce qui va se dire ici : « comment, sur des choses aussi cruciales, aussi vitales, peut-on être aussi léger, impertinent et inconscient avec le verbe ? ». « On ne sait rien dire de la mort » et dans cette indifférence quotidienne, sans savoir, « c’est le monde que l’on éloigne ainsi ». La mort, à l’inverse de ce que l’on croirait, réconcilie, elle est ce qui rassemble.
Dominique Sampiero sait aborder avec une infinie douceur, une attention sensible ces choses là qui nous touchent. Avec chaleur et tendresse il renvoie au silence tactile de l’instant à ces images qu’on convoque pour dire. En quelques paragraphes en prose il égrène les instant, attentif aux sentiments : « Il faut quelqu’un pour mourir. Et quelqu’un pour regarder mourir. Deux présences au bord du monde. Une fleur, un vase. ».  Tout autant il épuise les formules en une succession rythmée, presque des incantations, cognant au mot « nuit » à le dégorger de ces vertiges desquels il tient son épaisseur. Au long du petit livre l’intimité douce alterne avec la fièvre : « nuit m’offre la douceur de tes lèvres aujourd’hui/ nuit s’ennuie du dieu qui se cache en elle pour mourir/ jour et nuit pupille et paupière regard bouclé/ quelque chose tâtonne dans la nuit pour échapper à la chose/ chaque nuit tremble d’être la nuit en germe (…) », donnant la mesure rythmique du trouble, de ce que ça jette en nous de désarroi. Tout ce qui passe au fond de poignant dans le regard sincère à l’ami, à l’aimée et qui scelle en une fraction de secondes dilatées, tacite, cette amitié, cet amour.

« Un regard pour celui qui part, un regard pour celui qui veille. Ce don des larmes retenues, tissé dès le premier souffle entre la mère et l’enfant, laisse fléchir le monde doucement dans sa sagesse ».


Dominique Sampiero, La vie est chaude, éditions Bruno Doucey, janvier 2013.


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