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Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

Publié le 30 octobre 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

 Je me souviens d’événements de ma jeunesse, de mon adolescence, d’erreurs et de bons coups. Mais commechat qui louche maykan alain gagnon francophonie « la mémoire oublie », j’en ai oublié beaucoup. Et plus le temps file, plus ma mémoire se défile. Un de mes maîtres m’a un jour dit que « ce n’est pas ce que tu retiens qui compte, mais bien la somme de tout ce que tu oublies. » J’ai longtemps médité cette singulière assertion. Un jour, après ces événements heureux et tristes, des voyages, des lectures, des rencontres, j’ai compris. Notre mémoire ne retient qu’une parcelle de notre vécu. Le reste se précipite dans le gouffre de l’oubli. Alors, la somme de tout ce qu’on oublie correspond à une bonne part de ce qu’on a ressenti, dit, lu et fait. Dès lors, plus l’on a oublié, plus on a vécu.

Nous sommes exposés à toutes sortes d’informations extérieures ou internes. Sous une forme chimique et physique, elles excitent nos sens. Nous devrons y porter un peu d’attention pour réaliser qu’elles existent. Sans attention, pas de souvenirs. La mémoire les décode, les stocke dans des régions du cerveau où l’élaboration de nouveaux neurones est intense. Elles seront ainsi incrustées selon un code établi dans les dédales neuronaux pendant une période plus ou moins longue jusqu’à leur récupération et leur résurgence sous forme de souvenir. Nous reconnaitrons un lieu, une personne, un texte, une sensation.

Chaque souvenir engendre des connexions entre les neurones, les synapses, selon une configuration nouvelle qui affaiblit d’autres connexions. Des souvenirs s’effacent. Pendant l’enfance, la formation de neurones, la neurogénèse, est importante. Les réseaux neuronaux changent constamment, écrasent les premiers souvenirs. On oublie son arrivée à la maison, ses premiers pas, son premier pipi, ses premiers jouets. Dans une étude publiée dans Science chez un modèle animal, des chercheurs ont découvert qu’en stimulant la neurogénèse dans l’hippocampe, l’oubli des événements de l’enfance s’accélérait alors qu’en la ralentissant, les souvenirs se fixaient. Une autre étude, encore une fois animale, a démontré qu’en manipulant les synapses à l’aide d’un signal lumineux, les renforcissant ou les affaiblissant, la mémoire préalablement effacée pouvait se réactiver.

 La mémoire nous est précieuse. Sans elle, il n’y aurait pas d’apprentissage, chaque instant nous semblerait nouveau. Et puisque nous oublions beaucoup, nous commettons les mêmes erreurs. Nous mémorisons des sensations, des mots, des sons, des images, mais pas leur relation avec l’instant. Sans rappel du contexte, nous retombons dans le panneau.

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 Nous avons peur de perdre la mémoire. Elle protège nos repères. La maladie d’Alzheimer nous effraie. Dans cette maladie, la bêta-amyloïde s’accumule dans le cerveau, affaiblit les connexions synaptiques, affecte la mémoire. Qui sait si les impulsions lumineuses de basse fréquence induites chez les rats ne nous serviront pas un jour ?

 Entretemps, je continuerai à oublier. Pas que je sois atteint de la maladie d’Alzheimer, que Dieu m’en préserve, mais je veux vivre intensément, au risque d’écraser des souvenirs.

 Il y a de ces tâches ingrates qu’on aimerait oublier. Mais bon… avant de l’oublier, j’ai le regret de vous annoncer que mes loucheries prendront une nouvelle pause. Je remercie Alain Gagnon pour sa confiance indéfectible. Je suis triste de lui faire encore défection. Merci à vous, chers lecteurs. Vos J’aime et vos partages me faisaient plaisir, et me manqueront. D’autres défis se présentent. Le temps est venu de vivre d’autres expériences, que j’oublierai peut-être.

 Mais jamais je n’oublierai Le Chat Qui Louche.

 Sources :   Science, 9, mai 2014 :  Vol. 344 nos. 6184 pp. 598-602 ;  Nature, 511, 17 juillet 2014, 348 -352

(Au nom de tes lecteurs fidèles et en mon nom, merci, Jean-Marc, de ta contribution.  Bonne chance dans tous tes projets.)

Notice biographique

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Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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