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Un temps pour l'ivresse sobre: un film de Bahman Ghobadi

Publié le 24 mai 2008 par Ariane_

Des montagnes sous la neige. Pureté et âpreté d’un paysage. Pureté d’un espoir, âpreté des visages d’Amaneh ou d’Ayoub, ces enfants kurdes sacrifiés et qui se sacrifient eux-mêmes pour Madi, leur frère malade. L’opération presse et lui laisserait huit mois, pas davantage.

C’est pour ce bref sursis que la fratrie se bat, pendant que les adultes tirent à la frontière irakienne ou ne tiennent pas leurs promesses.
Rojine, l’aînée, mariée pour le sauver, s’éloigne sans lui : la belle famille ne veut pas d’un infirme. Pour réparer le préjudice, elle offre un mulet... Enfance et monde adulte se mélangent, s’éclipsent : l’une disparaît trop vite, l’autre se dérobe, friable, avec un docteur absent ou un contrebandier qui s’enfuit. Bahman Ghobadi signe un drame proche du documentaire, où les enfants, non professionnels, dévoilent leurs conditions de vie. Douleur et déception s’y mêlent. Pourquoi tenir alors et comment? Pour sa famille. Par sa famille. Dès lors, le dévouement d’Ayoub, simple et sincère, conduit le temps : l’achat des médicaments ou du symbolique cahier rendent le propos universel. Santé et travail… Pour survivre ou espérer vivre quand le spectre de la mort rôde, latent, pudique et caché : dans une chanson, des coups de feu ou le corps entrevu du père.
Caméra d’or à Cannes en 2000, Un temps pour l’ivresse des chevaux, c’est la course : celle contre la montre pour trouver du travail et l’argent de l’opération, celle de Madi, contre la mort ; c’est l’urgence, adoucie par la poésie du titre, à l’image des premières paroles d’Amaneh qui mêlent à la rudesse du sens la douceur innocente d’une intonation. La musicalité de la langue égrène des rythmes bouleversants, vivants, là où rôdent l’âpreté et la mort. L’antithèse fait sens, l’émotion frappe, juste et vraie. Dans ce pays de fer surgit une intériorité sensible, à fleur de peau. Pour y vivre, il faut être ivre. Ivre de douleur, ou de désir, pour se sentir vivre. Alors, même aux chevaux on donne de l’alcool. Celui des enfants, il est intérieur : mêlé d’espoir et de courage il conduit les deux frères jusqu’à la frontière, quand les adultes, eux, ont déjà abandonné. Des mines, des barbelés, n’arrêtent pas un frère : triompher des obstacles éloigne la mort et cette force fige le décompte. Croire, ne pas renoncer : là voilà l’ivresse d’Ayoub.


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