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Au cinéma : «Interstellar»

Publié le 03 novembre 2014 par Masemainecinema @WilliamCinephil

« Mais Doug, tu vas vraiment rédiger cet article à la première personne ? »

La question me taraude dès la sortie d’Interstellar, alors que je me prédis plus suffoquant devant l’immensité de ma page blanche qu’un humain paumé dans le vide spatial. Les questions fusent comme des comètes. En 2h49, l’homme derrière au moins deux de mes films préférés (The Dark Knight et Le Prestige) nous a emmenés aux confins de l’Univers, peut-être même de Son univers. Que nous dis le cinéma de Christopher Nolan en 2014, comment s’incarne-t-il et que nous dis son dernier film sur sa démarche de cinéaste ?

Interstellar est mis en chantier en 2006 par Dreamworks avec Steven Spielberg mobilisé derrière la caméra. L’annonce compte parmi les souvenirs qui datent mon éveil cinéphile. Spielberg est alors (et encore aujourd’hui) l’un des réalisateurs que j’affectionne le plus ; la perspective qu’il aborde une nouvelle fois la science-fiction me ravit mais je finis par palpiter encore davantage quand le projet échoue à l’Homme qui offrit The Dark Knight. Avec son sens du mystère habituel, le britannique ne laisse entrevoir de son scénario que les précieuses bribes déjà évoquées par Spielberg : exploration spatiales et trous noirs. Je trépigne, en un clin d’œil nous sommes en 2014 et les lumières se sont rallumées.

D’emblée m’apparaît la tâche difficile de parler du film sans en évoquer les plus belles ou intrigantes découvertes. Il me paraît nécessaire d’inciter à voir Interstellar le plus « à l’aveugle » possible au vu de sa richesse.

Le fraîchement oscarisé et incontournable Matthew McConnaughey incarne Cooper, un ancien pilote devenu agriculteur sur une Terre presque dépeuplée par la famine et en qui l’espoir de toute l’espèce va se placer secrètement lors d’une dernière mission d’exploration spatiale. Dit-il au revoir à ses proches ou leur adresse-t-il des adieux ?

Le cosmos chez Nolan, c’est avant tout l’esprit humain, la conscience. A la fois infini et cloisonné, autant une fenêtre qu’une cave où claustrophobies et angoisses sont les spectres qui hantent l’Homme jusqu’à l’éclatement. Ou la catharsis. C’est tout le pivot d’Inception mais j’en veux pour autre preuve les tortures narratives qu’il applique comme miroir à ses récits plus anciens. L’énigme de la mémoire de Memento est racontée à rebours, le duel d’illusionnistes du Prestige est entretenu dans une nébuleuse d’histoires à tiroirs. De flash-backs en ellipses, Nolan gardera même pour sa trilogie phare de précieux outils de story-telling. Qui serviront son propos (l’infaillibilité clinique du plan du Joker dans The Dark Knight) ou le desserviront (la prise d’otage survolée de Gotham par Bane pour The Dark Knight Rises). En 8 films, Christopher Nolan a dessiné le contour d’obsessions thématiques singulières qui font aujourd’hui sa renommée et lui accordent une place de choix dans le paysage des cinéastes contemporains.

Tout est donc là aussi affaire d’esprit : l’Être Humain rêve son existence ailleurs, se projette dans l’au-delà, nourrit son rapport à l’inconnu de mythes construits, et avance tremblant dans le vide avec pour seul raccroc le passage des générations. Nolan met ces questionnements en résonance avec des découvertes scientifiques illustres ; la physique quantique (c’était déjà le cas avec Le Prestige), et la théorie de la relativité. Le filtre des sentiments humains faisant son ouvrage, Interstellar arrache des larmes et donne le vertige en jouant sur les échelles, confrontant galaxies et sphères familiales.

Gravitent donc au centre du film une poignée de personnages secondaires attachants et touchants, je citerais Michael Caine en première ligne sans discréditer les performances honnêtes de Jessica Chastain ou Anne Hathaway. Impossible enfin d’ignorer la partition d’Hans Zimmer. Personnage à elle seule, elle affiche une variété de nuances saisissante sans perturber la cohérence de l’ensemble. La place progressive accordée à la musique la rend rarement dispensable et la direction artistique s’y couple avec brio.

Chef d’œuvre, alors ? …Nouvel écueil à mesure que j’écris. Complexe, la dernière demi-heure du film confère une dimension métaphysique au propos du film qu’il me semble impossible à retranscrire. Avant de rentrer dans les détails, je préfère préciser pour tout inconditionnel de Nolan qu’est à craindre une hyper-intellectualisation son propos. Derrière ses obsessions de metteur en scène semblent se dissimuler une autre : celle d’être compris (toute l’ironie d’un amateur de paradoxes comme l’auteur d’Inception) par le plus grands nombres. Il trébuche même, et je vais m’autoriser quelques lignes pour détailler ma pensée, qui se trouveront après l’affiche en fin de critique.

Long, pesant parfois trop le poids de son ambition, Interstellar étonne par sa richesse, séduit par un spectre émotionnel large et co-opté par une direction artistique qui sert brillamment la multitude de ses idées. C’est lorsque le scénario tente de distiller ses réflexions en les empêtrant dans un lexique abscons de physicien superflu qu’il inquiète. Appesanti, le récit aurait gagné à simplifier sa narration, sans sacrifier ses révélations sur l’autel du didactique… mais aurai-t-on reconnu la plume Christopher Nolan ?

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Interstellar. De Christopher Nolan. Avec Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Jessica Chastain, Michael Caine, Casey Affleck, Wes Bentley, Mackenzie Foy, David Gyasi, … 

Sortie le 5 novembre 2014.

[À la manière d’une production de Christopher Nolan et de son mythe du secret, ma critique comporte un paragraphe post-critique qui contient de GROS SPOILERS ! Il est donc nécessaire d’avoir vu le film pour pouvoir lire la suite, au risque de découvrir des informations importantes du film qui risqueraient de vous gâcher votre futur visionnage. Vous êtes prévenus.]

Au sortir d’Interstellar, le film divise et… me divise. Avant que les débats sulfureux qu’on peut lui prédire ne s’embrasent à travers le net, je dois avoir l’honnêteté de me dire partagé. Interstellar a pour moi tout d’une cathédrale de science-fiction créative avec un propos cohérent tenu sur la longueur. Cependant j’en lis déjà dénoncer un film-tartuffe pour faux-intellectuels et je nourris la crainte de les comprendre.

D’abord parce que si Nolan sait puiser les ressources justes dans les classiques du genre et construire une mythologie propre, il use d’outils narratifs et s’entoure d’éléments visuels qui perdent en impact et en force de proposition au sein d’une décennie de la surenchère. Ensuite parce que Nolan paraît avoir sur sa séquence de fin bien moins à montrer qu’à dire.

Je me réfère à LA scène en particulier : la catharsis finale à travers le trou noir où Cooper contrôle le passé pour infléchir le présent. Que Cooper soit The Ghost m’est apparu constituer une révélation un peu faible. Mais c’est surtout la façon dont elle est théâtralisée qui m’a troublé : tout s’exprime par le dialogue entre Cooper et TARS, dans des formulations peu inspirées, didactiques et grandiloquentes à l’extrême (« C’est l’Amour qui traverse l’espace-temps »). Comme si Nolan manquait de confiance en la force de ses images, préférant entrer dans un exercice de récitation littéraire.

D’autant que la mécanique qui voit Cooper influencer le passé est largement empruntée d’ailleurs sans réinvention autre que formelle. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Insidious 2 pour l’exemple le plus récent, mais je sais que ma génération se souviendra aussi d’Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban. J’ajoute à ce dernier exemple issu de la filmo d’Alfonso Cuaron qu’il est impossible d’esquiver pour Interstellar la comparaison à Gravity. Le film du réalisateur mexicain souffre dans son accueil critique du problème inverse : le scénario et la narration seraient trop simples et pas à la hauteur de la philosophie que le film cherche à soulever. Pour ma part, j’avoue préférer dans leurs structures les méthodes de Cuaron. Pour l’heure, je sais qu’Interstellar se savourera sur la durée et qu’il ne sera jamais vraiment digéré. Les théories vont éclore, il me tarde.

[Fin de ce paragraphe post-critique.]


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