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Interview de Robert Culat

Publié le 03 novembre 2014 par Metalosphere @metalosphere

Robert Culat bonjour. Pour les lecteurs de Metal’O’Sphère qui ne savent pas qui vous êtes est-ce possible de vous présenter ? Notamment nous parler de votre parcours professionnel ?

Robert : Bien sûr ! S’appliquant au sacerdoce catholique l’expression « parcours professionnel » n’est pas très adaptée puisqu’il s’agit d’une vocation. Né à Marseille en 1968, j’ai toujours vécu en Provence à l’exception d’un séjour d’un an en Allemagne pour le service militaire et de cinq années passées à Rome dans le cadre de mes études de séminaire. Je suis prêtre catholique du diocèse d’Avignon depuis 1993 et c’est en 1994 que j’ai terminé mes études à Rome par une licence canonique en philosophie dans le cadre de l’université des jésuites, la Grégorienne. J’ai commencé mon ministère de prêtre dans le diocèse d’Avignon en septembre 1994, dans la ville d’Orange avec comme responsabilité le monde des jeunes (collèges et lycées publics et privés de cette ville). Depuis septembre 2010 j’ai quitté mon diocèse d’origine pour me mettre au service de la communauté francophone de Copenhague (Danemark).

Vous êtes donc prêtre mais aussi un véritable passionné de Metal. Par rapport à votre vocation, cette passion pour cette musique vous a-t-elle posé des problèmes ou provoqué des remarques ? De la part de vos supérieurs, des personnes croyantes ou inversement de la part des fans de Metal ?

R : Etant prêtre il était en effet inévitable que mon intérêt pour la musique Metal suscite diverses réactions tant chez les catholiques que chez les métalleux, sans oublier ceux, plus nombreux qu’on ne le pense, qui sont à la fois catholiques et métalleux1 ! Mes prises de position ont suscité, comme on pouvait logiquement s’y attendre, des encouragements comme des critiques de la part d’hommes d’Eglise comme dans le milieu Metal. Le but de L’âge du Metal était d’encourager un dialogue clair et sérieux, honnête et bienveillant, entre chrétiens et métalleux2. Or certains ne veulent pas de ce dialogue. Plutôt que de vouloir entretenir les préjugés et l’hostilité réciproques (du genre : « les métalleux sont de dangereux satanistes » / « les catholiques sont de dangereux fanatiques »), j’ai voulu à travers cette étude poser une question essentielle : celle des causes et des raisons. Il s’agissait donc de comprendre en profondeur la position de l’autre, de celui qui est habituellement considéré par « mon milieu d’appartenance » comme un ennemi… Par exemple : pourquoi l’antichristianisme est-il un thème présent dans la culture Metal 3? Mais ce genre d’exercice demande que l’on soit capable de reconnaître ses propres torts ainsi que ce qu’il peut y avoir de bon chez l’autre. Par exemple en tant que catholique je ne vais pas nier ou minimiser les moments peu glorieux de l’histoire du christianisme et je vais accepter de reconnaître certaines valeurs positives dans la culture Metal. Idem pour le métalleux. Cette attitude n’est pas seulement intellectuelle ou universitaire (honnêteté par rapport aux faits et à la réalité). Elle exige aussi de celui qui s’y engage vraiment une disposition spirituelle, au niveau du cœur : l’humilité. A côté de ceux qui m’ont pris soit pour un naïf aveugle quant au mal que représente le Metal soit pour un agent du Vatican infiltré dans le Metal, j’ai reçu pas mal d’encouragements. Le plus précieux a été celui de mon évêque de l’époque, Mgr. Raymond Bouchex. En 2012 j’ai envoyé un exemplaire de L’âge du Metal accompagné d’une lettre de présentation au cardinal Gianfranco Ravasi, responsable du Conseil pontifical pour la culture, en gros le ministre de la culture au Vatican. J’ai été très heureusement surpris de recevoir une réponse de plusieurs lignes écrite, non pas par un secrétaire du conseil, mais par le cardinal lui-même ! Ayant déjà écrit à des ministres de la République française je n’ai jamais eu cette chance : la plupart ne répondent même pas et quand ils se donnent la peine de répondre c’est avec trois lignes stéréotypées signées par un secrétaire du ministère… Cela vaut le coup de citer une partie de la réponse du cardinal : « J’ai bien reçu votre lettre où vous me partagez votre expérience avec l’univers si particulier du Metal. Je vous en remercie bien cordialement. Votre témoignage nous intéresse pour la prochaine Assemblée plénière du Dicastère (comprendre « ministère » dans le langage du Vatican !), prévue en début d’année 2013… J’aurais aimé avoir de vous un petit film bien fait, de 5 minutes, dans lequel vous racontez, de manière essentielle, ce monde, votre approche, les dialogues et les attentes de beaucoup de ces jeunes, et aussi vos difficultés comme prêtre à être compris dans votre démarche. Ce film pourrait être ainsi présenté aux membres – cardinaux et évêques- et aux consulteurs du Conseil pontifical de la culture, en vue de nourrir leur réflexion ». J’ai répondu au cardinal en le remerciant de l’intérêt qu’il portait à mon étude et en lui disant aussi qu’il m’était impossible de répondre à toutes ses questions en 5 minutes !

1Cf. L’âge du Metal, page 234 : 12% des sondés se sont déclarés chrétiens.

2L’âge du Metal, annexe n°3, « Eglise catholique et culture Metal, opposition ou dialogue ? », pages 265-272.

3L’âge du Metal, annexe n°4, pages 273-290.

Qui dit musique Metal dit cliché? Les amateurs de cette musique ou ceux qui la pratiquent sont régulièrement accusés de satanisme par exemple. Je vous pose donc cette question à vous qui êtes un religieux. Les « métalleux » sont-ils des satanistes ? Cette musique est-elle dangereuse ? Avez-vous quelques chiffres pour illustrer la réponse ? (faible pourcentage de satanistes)

R : Oui, en effet la musique Metal est associée à pas mal de clichés mais c’était déjà le cas pour son ancêtre le Rock’n Roll et même au-delà pour le Blues. Le chapitre XII de L’âge du Metal aborde cette question1. A propos des clichés il faut bien distinguer la perception extérieure du Metal de la perception interne. Je m’explique : par perception extérieure j’entends la manière dont les non-métalleux perçoivent cette culture, la perception interne étant celle des métalleux par rapport à leur musique de prédilection. Pour le non-initié je pense en effet que le Metal est automatiquement associé à certains clichés propagés en particulier par certaines émissions télévisées qui aiment bien « scandaliser » les téléspectateurs, et ces clichés sont en général négatifs. Un non-métalleux qui croise dans la rue un métalleux abordant le look typique risque bien de juger cette musique à partir de ces apparences vestimentaires qui sortent de l’ordinaire et qui peuvent choquer, surtout à cause des visuels de certains T-shirts de groupes. Cela signifie bien sûr que les métalleux eux-mêmes contribuent à entretenir certains clichés par le look. Sur cette question du look je vous renvoie au chapitre VII de L’âge du Metal, la visibilité d’une passion2. Pour 54% des sondés le look n’est pas important mais 61% des sondés affirment le porter de manière habituelle ou ponctuelle (pour les concerts par exemple). Ce look peut avoir une double fonction qui paraît contradictoire : celle d’attirer de nouveaux « adeptes » vers le Metal en suscitant leur curiosité (c’est l’effet que le look Metal a eu sur moi !) ou bien celle de repousser les non-initiés en les « effrayant » par des images morbides, gore, blasphématrices ou encore sataniques. Dans cette optique le Metal est une musique réservée au petit nombre des initiés, à une élite de connaisseurs, c’est une musique qui DOIT rester underground, par conséquent il est nécessaire d’entretenir au maximum les clichés afin qu’ils servent de repoussoir. En même temps, bien sûr, le look comme dans d’autres cultures musicales, sert à affirmer une identité et l’appartenance à la « famille Metal ». C’est un signe de reconnaissance qui peut permettre des rencontres et favoriser de nouvelles amitiés entre Metalheads. Si l’on considère maintenant les clichés du point de vue de la perception interne cela devient beaucoup plus compliqué. Car non seulement il existe plusieurs styles de Metal mais aussi, malgré une apparente unité de façade, de nombreuses manières de vivre sa passion pour cette musique. Les styles extrêmes (death et black) auront en général davantage recours aux clichés pouvant choquer les non-initiés. Et même à l’intérieur de ces « chapelles » chaque métalleux reste libre de prendre ses distances par rapport à l’imagerie antichrétienne ou satanique par exemple, par rapport au look provocateur etc. Tout cela pour dire qu’il est impossible, si l’on est honnête et si l’on connaît bien cette culture de l’intérieur, de donner une réponse simple à ta question. Une comédie résume bien, sous le mode de la caricature, cette question des clichés, c’est Pop redemption (film français de 2012). Si les clichés font tant rire dans ce film, c’est bien parce qu’il existe un décalage entre l’image que l’on veut donner de soi-même et ce que l’on est réellement, contraste saisissant entre l’idéologie affichée et la vie réelle

Avant d’aborder la fameuse question du satanisme il me semble intéressant de vous raconter une anecdote révélatrice de la paresse intellectuelle de notre temps. Pendant tout un week-end des journalistes d’une chaîne de télévision française sont venus m’interviewer longuement à Carpentras sur mon étude à propos du Metal3. L’un d’eux me pose une question, j’y réponds. Cinq minutes après il me repose la même question, je donne évidemment la même réponse. Dix minutes après cela recommence et là je lui fais remarquer, assez énervé, que cela fait deux fois, déjà, qu’il me posait la même question. Et là le journaliste se lâche en me disant à peu près ça : vos nuances sur le Metal la bonne femme qui va regarder notre émission elle n’en a à rien à faire ! Ce soi-disant journaliste voulait donc de ma part une réponse simpliste. C’est oui ou c’est non, pas de nuances, car nos téléspectateurs sont dénués d’intelligence… pour ne pas dire autre chose ! Lors de la même interview il me filme chez moi en train d’écouter un morceau d’Opeth, puis il arrête tout en me demandant si je ne pourrais pas headbanguer en écoutant la musique, ce serait mieux pour son émission etc. Bien sûr j’ai refusé de faire le clown pour la télé mais cela montre à quel point on préfère mettre en avant des clichés plutôt que des réponses nuancées à des questions complexes. Donc par rapport à ta question sur le satanisme et au « danger » de la musique Metal je ne peux que renvoyer les lecteurs aux longs développements consacrés à ce thème dans L’âge du Metal, en particulier la section correspondant aux pages 163-179 ainsi qu’à l’excellent livre de Nicolas Walzer Satan profane (2009). Ce que je peux dire dans le cadre de cette interview c’est que la distinction faite par Walzer entre satanisme culturel et satanisme cultuel est très pertinente. Cela signifie qu’il ne faut pas mettre sur le même plan une expression culturelle ayant des références au satanisme (le black Metal par exemple) et une appartenance satanique explicite (à l’Eglise de Satan de LaVey par exemple) ou encore une croyance en l’existence de Satan et un culte y correspondant… Il serait plus juste de parler de satanismes au pluriel tellement cette expression revêt des significations différentes et variées dans notre société contemporaine largement déchristianisée et sécularisée en Europe (d’où l’apparition d’une figure profane de Satan, déconnectée de son origine religieuse historique). Pour aller à l’essentiel le satanisme philosophique dans la tradition de LaVey n’est que le symbole d’une émancipation des dogmes et de la morale judéo-chrétienne, Satan y est conçu simplement comme un symbole de liberté totale et absolue. Pour certains groupes de Metal il vaudrait mieux parler d’antichristianisme (ou de rejet du christianisme) que de satanisme en fonction du contexte. Pour faire comprendre la difficulté de répondre à ta question je dirais qu’en considérant l’ensemble des groupes de black Metal se référant à l’imaginaire satanique, on peut dire sans trop se tromper que chaque groupe a créé sa propre vision du satanisme, ce qui empêche toute généralisation. Le satanisme contemporain c’est d’abord l’individualisme, c’est donc forcément très personnel. Et chacun peut finalement se créer son satanisme à lui. Il me semble aussi qu’à l’intérieur du Black Metal le cliché satanique commence à perdre de son importance depuis quelques années déjà au profit du paganisme ou du culte de la nature ou des références historiques. Pour illustrer ce fait j’aime à citer Lunatic Gods, un groupe slovaque : « The world is full of nonsense, the world is full of lies, I’m sick of your Satan, I’m sick of your Christ » et Hegemon (groupe français) : « The cross or the pentagram, I piss on both of them4 ». Pour un chrétien les propos d’Hegemon sont blasphématoires, mais pas sataniques. Pour ce qui est des chiffres la réponse est bien sûr beaucoup plus simple puisque seulement 5% des sondés se sont reconnus dans le satanisme5 ! Cela signifie que s’il est facile de trouver de manière abondante un discours et des images « sataniques » dans certains styles de Metal, les métalleux sont loin, dans leur ensemble, d’y adhérer comme à quelque chose de sérieux. Pour la plupart d’entre eux c’est en effet la musique qui prime sur le discours. Enfin il me semble utile de rappeler que ce ne sont pas forcément ceux qui parlent le plus de Satan qui sont les vrais sataniques, mais bien plutôt ceux qui agissent en cohérence avec la philosophie satanique. C’est la raison pour laquelle les catholiques qui ne s’intéressent qu’aux paroles des groupes déconnectées de leur contexte afin de condamner une musique comme mauvaise ressemblent aux scribes et aux pharisiens condamnés par Jésus : « Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau6 ! » Pendant que certains catholiques déchiffrent des paroles de black Metal satanique, ceux qui dans notre monde agissent selon la logique démoniaque passent inaperçus et sont parfois même honorés comme des bienfaiteurs ! Le philosophe Fabrice Hadjadj dans son excellent livre La foi des démons (2009) met en garde les croyants contre les amalgames faciles dans ce domaine : « Le satanisme n’est pas toujours le mieux là où il se rend le plus visible, parmi des adolescents de cuir noir avec pentacles et têtes de mort : leur satyre à cornes rouges n’est jamais qu’un Père Noël de la révolte. Quand on ne croit plus à un Dieu avec barbe, il faut s’attendre à des diables sans queue7 ». A propos du danger de tels messages dans la musique Metal on peut avoir une double approche. La première consiste à dire que les messages négatifs (pas seulement le satanisme mais aussi la haine, le culte de la mort, la violence, la glorification de la guerre, le nihilisme, le pessimisme etc.) diffusés par certains groupes peuvent être dangereux pour certains jeunes adolescents en crise et influençables. La seconde me vient de mon étude sur la planète Metal et de certains témoignages reçus. On a souvent entendu dire que le Metal était dangereux parce qu’il poussait au suicide certains jeunes (cf. tous les procès intentés par des parents contre des groupes de Metal aux USA). J’ai aussi entendu le témoignage inverse de la part de jeunes mal dans leur peau qui me disaient en substance : c’est le Metal qui me raccroche à la vie, sinon je me serais suicidé depuis longtemps. Comme quoi rien n’est simple quand on essaie d’aborder ces thèmes… Je renvoie sur ce point le lecteur de cette interview au chapitre XIII de L’âge du Metal : Le pouvoir de la musique Metal8. Certains métalleux inversent la problématique de la mauvaise influence de la musique sur leur tempérament et leur comportement : « Non, car la musique est l’expression de ce que nous pouvons penser ou ressentir, c’est que nous sommes qui fait que l’on se sent attiré ou non par le Metal9 ».

1Cf. Page 157 : « Les clichés de la musique Metal ».

2Page 83.

3Pour un résultat final de 3 minutes dans leur « reportage-montage » plus proche de la fiction que de la réalité.

4L’âge du Metal, page 170.

5L’âge du Metal, page 230.

6Evangile selon saint Matthieu 23, 24.

7Pages 123.124.

8Pages 183-199.

9Page 199.

Je parle de chiffres car je sais que vous en avez. En effet vous êtes l’auteur de deux livres sur le thème du Metal. Le premier « L’âge du Metal » que je possède. Et un second « OPETH : Damnation & Délivrance » que vous avez écrit avec Nicolas Bénard. Les deux livres sont aux Éditions Camion Blanc, l’éditeur qui véhicule le rock !

L’âge du Metal est une enquête auprès des amateurs de cette musique qui fait ressortir des données chiffrées. Données qui sont ensuite analysées. C’est aussi l’invitation à un dialogue entre métalleux, non-initiés au Metal et chrétiens. Le livre est maintenant sorti depuis 2007. A-t-il apporté quelque chose de positif dans ce dialogue entre métalleux et « le reste du monde »? Avez-vous des exemples ?

R : Il m’est difficile d’évaluer l’impact réel de L’âge du Metal quant au dialogue entre chrétiens et métalleux en France. Ce qui est certain c’est qu’entre le moment de la sortie du livre en 2007 et aujourd’hui bien des choses ont bougé. Le 25 novembre 2012 le service Art, culture et foi du diocèse de Lyon a organisé un colloque intitulé « Le Metal, des vibrations interdites ?1 », colloque auquel j’ai participé avec d’autres intervenants et le groupe Stamina. A côté de cette initiative novatrice et réussie il y a aussi eu des refus. Avec quelques jeunes catholiques métalleux j’avais lancé l’idée d’une présence chrétienne au Hellfest justement dans un esprit de dialogue. Malgré l’accord de principe de Ben Barbaud ce projet n’a pas pu aboutir parce que les autorités religieuses du diocèse de Nantes n’ont pas voulu le soutenir. Mais ce ne fut qu’un demi-échec car Radio Fidélité, la radio catholique du diocèse de Nantes, a pris l’initiative d’une table-ronde filmée et retransmise sur une télé locale et à la radio dans le cadre du Hellfest lui-même lors de l’édition 2010 du festival2 ! Le thème de l’émission était le suivant : « Eglise et Metal au-delà des peurs, quel(s) dialogue(s) ? » Je dois encore signaler une série de dix émissions sur le Metal avec écoute d’extraits musicaux réalisée par une journaliste de RCF Savoie Chambéry (la radio chrétienne du diocèse) fin 2009 et début 2010, série qui s’est terminée par une table-ronde dans les locaux de la radio avec la participation de Mgr. Ballot, l’archevêque de Chambéry. La publication de mon livre et sa relative notoriété ont permis, je pense, un développement notable de la discussion et des débats, autant du côté de l’Eglise que du côté du Metal. Tout simplement parce que, comme le montrent les événements cités plus haut, j’ai été souvent invité en tant qu’auteur du livre à participer à des émissions de radio, des débats, des tables-rondes etc. Pour les jeunes catholiques fans de Metal L’âge du Metal a été une bénédiction : ils avaient tellement entendu dire que l’on ne pouvait pas être chrétien et aimer en même temps cette musique ! Mon message a été pour eux une libération. Même s’il y a toujours des prêtres pour affirmer la nature foncièrement mauvaise du Metal, ces jeunes savent aussi qu’il y a l’étude du père Robert Culat et qu’en outre il n’est pas le seul prêtre métalleux de France ! Bertrand Monnier3 et Pierre Binsinger4 sont, eux aussi, très engagés dans ce processus de dialogue entre les deux cultures et assument parfaitement en tant que prêtres leur passion pour le Metal. Tout cela a permis de décomplexer ces jeunes chrétiens qui pouvaient parfois se sentir rejetés par l’Eglise à cause de la musique qu’ils écoutaient. Après j’ai eu aussi pas mal de retours de lecteurs, dans leur grande majorité positifs et qui me remerciaient d’avoir écrit ce livre. Parmi ces témoignages j’aime à citer celui d’un jeune homme métalleux qui était « persécuté » par sa mère, catholique convaincue, à cause de sa passion pour le black Metal. Il a acheté mon livre un peu par hasard, l’a lu et l’a fait lire à sa mère et leurs relations s’en sont trouvées bien meilleures ! A un tel point qu’ils m’ont contacté pour m’inviter à passer quelques jours chez eux. Voilà un exemple qui montre de quelle manière L’âge du Metal peut en effet favoriser le dialogue et apaiser des débats parfois très tendus, y compris au sein des familles.

Le second livre est intitulé « OPETH : Damnation & Délivrance ». Pouvez-vous présenter le livre en quelques mots ?

R : Le livre sur Opeth, sorti en 2013, se compose de deux parties. La première, « Monographie d’un groupe de Metal progressif », a été écrite par Nicolas Bénard. La deuxième, « Discours et imaginaire », par moi-même. Dans cette partie je propose une traduction française de toutes les paroles du groupe et une analyse de ces mêmes paroles en essayant de comprendre quels sont les thèmes de prédilection de Mikael Åkerfeldt, ce qui est une tâche très difficile vu le caractère poétique et hermétique de ses paroles. Toujours avec Nicolas nous sommes sur le point d’achever un manuscrit consacré cette fois à un autre groupe suédois, Katatonia.

Puisqu’on parle lecture et musique impossible de ne pas présenter l’éditeur Camion Blanc. Éditeur de livres spécialisé dans l’univers Rock/Metal. Je propose à ceux qui ne connaissent pas encore de découvrir le catalogue. Et ceux qui connaissent déjà faites un tour sur le site, il y a eu des sorties intéressantes ces derniers temps.

http://www.camionblanc.com/

Votre avis sur ce mouvement anti-Metal et sur les pétitions anti-Hellfest qui circulent régulièrement ?

R : Etant donné que j’ai déjà répondu à cette question dans une interview fleuve accordée au webzine U-Zine (15 avril 2010) je me permets d’y renvoyer les lecteurs de cette interview !

http://www.u-zine.org/interview.php?id=183

Dans le contexte du Metal et cette incompréhension qui l’entoure parfois. Pouvez-vous me donner votre définition du mot tolérance ?

R : La notion de tolérance est ambiguë si l’on y réfléchit bien. Elle fait partie des valeurs de l’Occident depuis le siècle des Lumières. Certes la tolérance est toujours préférable au fanatisme. Mais la tolérance ne signifie pas pour autant le dialogue entre deux parties qui s’ignorent ou s’opposent. « Je tolère ce que tu fais ou ce que tu dis » peut tout aussi bien vouloir dire : je suis indifférent, « je m’en fous » en fait, tu peux bien faire ce que tu veux, je t’ignore. Une certaine pratique de la tolérance débouche forcément sur le relativisme selon lequel finalement toutes les idées se valent. Dans ce système parler encore de morale ou de vérité est perçu comme un blasphème. Je comprends cette tendance car dans le passé on a tellement souffert des guerres de religions, des idéologies staliniennes et nazies, de la guerre froide etc. que l’on se méfie d’autant plus des notions de vérité et de morale. Car au nom de la vérité et de la morale les hommes se sont haïs et entretués pendant des siècles. Aujourd’hui j’allais dire que les guerres sont principalement économiques. C’est pour le culte du dieu Argent que l’on tue et que l’on se fait tuer, même si on y ajoute un vernis de motivation idéologique ou religieuse. Mais au fond ce sont les injustices et les inégalités économiques qui sont à l’origine de beaucoup de conflits contemporains. Même s’il est vrai que nous assistons un peu partout à une renaissance des nationalismes et des régionalismes qui peut aussi contribuer à menacer la paix. Je préfère pour ma part les notions de dialogue et de bienveillance à celle de tolérance. Le dialogue ne nie pas la différence, il la reconnaît et il tente d’intégrer dans une synthèse supérieure, donc une vérité plus haute, les points de vue apparemment opposés. Pour schématiser la tolérance a tendance à dire que tout le monde a raison (ou que personne ne détient la vérité, ce qui revient au même), donc laissons faire. Le dialogue consiste à reconnaître que chacun porte dans ses convictions une part de vérité et que c’est en nous parlant que nous progresserons dans la connaissance de la vérité. Le dialogue exige beaucoup de patience et d’humilité, il ne porte ses fruits véritables que dans le temps et dans la durée. Le dialogue me demande aussi de reconnaître mes erreurs de jugement, ma lâcheté, mon manque de cohérence. Je ne me présente pas à l’autre comme le porteur de LA vérité, comme celui qui est parfait et juste, mais comme un homme qui cherche la vérité et qui désire honnêtement parvenir à plus de lumière sur tel ou tel problème. Si les polémiques entre pro- et anti-Hellfest étaient vécues dans cet esprit, je pense que l’on éviterait les procès d’intention faciles de part et d’autre et que l’on trouverait un terrain d’entente sans exiger la disparition de l’autre ou bien sa censure. L’avantage du dialogue c’est qu’il ne se situe pas seulement sur le terrain théorique des idées mais qu’il exige la rencontre des personnes. Tant que les catholiques anti-Hellfest jugeront le Metal à partir de paroles sataniques de groupes de black Metal, ils seront à côté de la plaque. Le jour où ils se décideront à rencontrer les métalleux participant au Hellfest et de parler avec eux sans agressivité ni prosélytisme, leur regard sur cette musique en sera forcément transformé et ils seront incapables de voir en eux de dangereux suppôts de Satan et des ennemis de l’Eglise…

Pour conclure j’aimerais dire que nous sommes tous des êtres humains. La nature humaine démontre que tous les êtres ne sont pas capables de se comprendre. Parfois ils ne sont capables que de se détester. Alors quand c’est comme ça pourquoi ne pas simplement discuter ou dans le pire des cas s’éviter ? Pourquoi focaliser son attention sur des choses qui ne sont pas si graves alors que partout dans le monde il y a des gens qui souffrent ? L’énergie humaine ne devrait pas se concentrer à faire la guerre ou à chercher le conflit, elle devrait se concentrer sur la recherche de solutions pour améliorer ce monde qui ne tourne parfois pas si rond.

Robert : J’aime beaucoup ta conclusion et je suis d’accord avec ton point de vue. C’est ce que j’essaie d’expliquer aux catholiques anti-Hellfest dans un long article intitulé « Qui sont les vrais satanistes aujourd’hui ? ». En tant que croyants nous avons beaucoup mieux à faire que de dépenser notre énergie en vue d’obtenir la censure de certains groupes de black Metal dans le cadre du Hellfest… Comme tu le dis très bien les problèmes beaucoup plus graves de notre monde se trouvent ailleurs qu’au Hellfest : ils sont d’ordre écologique, économique, politique etc5. Face au scandale de la course aux armements, de la bombe atomique, de la faim dans le monde, de l’épuisement des ressources naturelles, de la pollution, du gaspillage alimentaire, de la torture, de la peine de mort, de l’augmentation des inégalités entre une « élite » sociale toujours plus riche et une masse de pauvres toujours plus démunis etc. que pèsent les paroles antichrétiennes d’un obscur groupe de black Metal (ou même « connu » peu importe)  dans le pouvoir destructeur du Malin sur notre monde ? Il s’agit en effet de ne pas se tromper de combat. Pendant que l’on a les yeux fixés sur le Hellfest, les marchands d’armes, les banquiers, les traders, les spéculateurs, les multinationales continuent leur œuvre de destruction de notre planète et menacent la paix entre les peuples ainsi que la démocratie. Certes ils ne parlent jamais de Satan mais ils sont les meilleurs serviteurs du Mal que l’on puisse trouver. Pourquoi ? Tout simplement parce que leur dieu c’est l’Argent et que quand on adore le dieu Argent6, la morale et l’éthique disparaissent, le sens du bien commun aussi. Vous voulez trouver Satan ? N’allez pas au Hellfest mais plutôt à Wall Street, au FMI, à l’OMC, au Forum de Davos, au siège de l’OTAN etc. les lieux ne manquent pas où les puissants de ce monde lui rendent un culte.

Lien vers l’article « Qui sont les vrais satanistes aujourd’hui ? » :

http://prohellfest.wordpress.com/communiques/qui-sont-les-vrais-satanistes-aujourdhui/

1http://innerlightofblackmetal.wordpress.com/2012/10/19/le-metal-des-vibrations-interdites-journee-autour-du-metal-le-25-novembre-2012-a-linitiative-du-diocese-de-lyon/

2http://www.les1000delouest.com/services/communique.asp?id=1693

3http://www.estrepublicain.fr/meuse/2010/03/20/le-cure-metalleux-de-bar-le-duc-video

4http://rcf.fr/radio/rcf54/emission/136426/151410

5Pour ceux qui veulent se documenter sur les vrais défis que notre monde doit relever aujourd’hui pour mieux se porter je recommande les excellents et petits (par la taille) livres d’Hervé Kempf :

  • Comment les riches détruisent la planète (2007)

  • L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie (2011)

6Evangile selon saint Luc 16, 13.

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Nick


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