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Si la France devient le gentil toutou des Etats-Unis, elle n’existera plus…

Publié le 19 avril 2008 par Albert @albertRicchi
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Lors du dernier sommet de l’OTAN à Bucarest, George Bush s’est dit «très heureux» du soutien de la France en Afghanistan. Un soutien qui s’amplifie puisque Nicolas Sarkozy a précisé qu’un nouveau bataillon d’au moins 700 hommes sera déployé en renfort dans l’Est de l’Afghanistan.

Parallèlement, le président de la République prévoit le retour complet de la France dans l’alliance atlantique, quittée en 1966, et a même prévu avec l’Allemagne d’organiser conjointement le prochain sommet de l’OTAN en 2009 qui marquera le 60ème anniversaire de l’alliance.

La France n’avait pas organisé de sommet de l’OTAN depuis le milieu des années 1950 et il s’agit bien d’une rupture totale avec la doctrine de politique étrangère inaugurée par le Général de Gaulle, il y a plus de quarante ans…

Ironie de l’histoire, les socialistes qui ont déposé une motion de censure pour protester contre le renforcement des troupes en Afghanistan et la politique atlantiste de Nicolas Sarkozy avaient en 1966 voulu censurer le gouvernement du Général de Gaulle sur le retrait du commandement intégré de l’OTAN.

En faisant conjointement ces deux annonces, Nicolas Sarkozy opère une double rupture : rupture dans l’usage des forces françaises en Afghanistan et rupture dans le consensus sur l’OTAN établi en France depuis 1966.

Dans toute démocratie digne de ce nom, de tels arbitrages auraient été précédés par un débat public et un vote solennel du Parlement. Mais au lieu de cela, c’est à Londres, devant le Parlement britannique, que Nicolas Sarkozy a révélé l’envoi de renforts en Afghanistan et c’est à Bucarest qu’il a confirmé la réintégration de la France dans les structures militaires de l’OTAN.

Au lendemain des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, l’engagement de la France pouvait se justifier car il reposait sur le droit de légitime défense collective reconnue par la Charte des Nations Unies. Mais aujourd’hui, cela a pris la forme d’une participation à une force internationale pour stabiliser Kaboul et encadrer l’armée afghane. Depuis 2003, cette force est sous commandement de l’OTAN et évolue aux côtés des forces américaines.

Mais le bilan de 7 ans de présence militaire en Afghanistan est plutôt négatif :

- Le pouvoir de l’autorité centrale se met péniblement en place.

- Les Talibans contrôlent une large part du territoire, y compris celui proche de Kaboul et ont reconquis une part du soutien de la population. D’autant plus facilement que le volet militaire de l’intervention s’est affranchi des structures locales et que son volet civil a été progressivement réduit (7 millions de dollars/jour alors que le conflit coûte 100 millions de dollars/jour aux alliés). Selon un rapport publié par l’ONU en 2007, l’indice de pauvreté de l’Afghanistan est l’un des pires au monde (30% de la population ne mange pas à sa faim, 70% n’a pas accès à l’eau potable).

- La culture de la drogue n’a jamais été aussi florissante.

- Les occidentaux qui comptaient 17 000 hommes en 2003 en mobilisent désormais 60 000 sans démontrer beaucoup plus d’efficacité. Les pertes sont en hausse continue (200 morts en 2007)

Malgré cela, aucune redéfinition de la stratégie n’a été apportée lors du sommet de l’OTAN à Bucarest et il a même été décidé d’un engagement à long terme fondé sur le tout militaire…

Concernant la réintégration de la France dans l’OTAN, Nicolas Sarkozy met fin à un choix stratégique décidé en 1966 par le Général De Gaulle, maintenu par tous les présidents de la République et alors que le président George Bush est en fin de mandat et que nul ne sait quelle sera la ligne de conduite de son successeur.

Ce retour dans l’OTAN est également contradictoire avec la stabilité du monde car la décision du président de la République intervient au moment où l’alliance change d’identité et connaît un double élargissement :

- Géographique puisqu’elle s’étend jusqu’aux confins de la Russie, sans exclure d’aller au-delà de l’Europe et qu’elle conduit des opérations militaires hors de sa zone naturelle, comme c’est le cas en Afghanistan.

- Politique ensuite car elle remplit des missions qui s’éloignent de plus en plus des traditionnelles missions d’une alliance militaire pour devenir l’organisation politique d’un bloc occidental dépositaire des valeurs du bien et poursuivant le mal dans une nouvelle illustration de la guerre des civilisations, chère aux ultra-conservateurs américains.

Cette dérive avait été, jusqu’à présent, rejetée par la France, hostile à l’idée d’un gendarme d’un monde occidental bien pensant. Elle est aujourd’hui acceptée par Nicolas Sarkozy et le Général de Gaulle doit se retourner dans sa tombe, recherchant en vain au sein de l’UMP les derniers gaullistes…

Interview d'Emmanuel Tood à Marianne2.fr
http://www.marianne2.fr/index.php

Pour l’historien et démographe Emmanuel Todd, les dangers de cette politique sont encore plus graves car la guerre en Afghanistan semble perdue d’avance. Selon l’auteur de «Après l’empire», le renforcement des troupes françaises en Afghanistan est une erreur diplomatique et stratégique, et dessine les contours d’une idéologie extrême-droitière à l’échelle mondiale.

Question : Le renforcement des troupes en Afghanistan vous paraît-il justifié ?

E. Todd. : Je peux tout imaginer de Nicolas Sarkozy, même qu'il ne sache pas ou est l'Afghanistan. Mais je ne peux pas imaginer que les gens qui l'entourent ignorent ce que tout le monde anglo-saxon sait, à savoir que cette guerre est perdue.

Q. : Pour vous, cette guerre est sans espoir ?

E.Todd : L'organisation sociale des Pachtounes est faite pour la guerre, tout comme celle des clans somaliens : la guerre est l'état normal de ces sociétés, ce n'est donc pas un problème dans la durée. A partir du moment où les belligérants sont alimentés par des fournitures d'armes régulières venant de l'extérieur, il est évident que ces systèmes sociaux vont venir à bout de quelques milliers d'hommes venus de loin et difficilement approvisionnés. On peut se demander, à la limite, si ça va se terminer par un Dien-Bien-Phû ou par un retrait paisible.

Q. : Du point de vue du gouvernement, il semble pourtant qu'il y ait des enjeux à ce conflit…

E.Todd : Pourquoi ceux qui nous gouvernent veulent-ils participer à une guerre perdue ? Voilà la vraie question. Et là, comme dans les débats sur la réintégration pleine et entière de la France à l'Otan, on touche au symbolique. Cette manœuvre a pour objectif de réaffirmer un lien avec l'Amérique. Je n'appellerais pas ça du néo-atlantisme. L'atlantisme était le lien de l'Europe occidentale avec les Etats-Unis à une époque où ils portaient les valeurs démocratiques face au totalitarisme soviétique. Ce n'était pas du goût des gaullistes, mais dans le contexte, cela pouvait se justifier. Aujourd'hui, l'Amérique est le pays du fric, du néo-libéralisme et des inégalités. Et ce qui se profile derrière cette nouvelle association, c'est de l'occidentalisme. C'est un lien fondé sur une nouvelle idéologie, une idéologie qui se construit dans le conflit avec l'islamisme.

Q. : Mais la France n'a-t-elle pas intérêt, pour des raisons de politique «réaliste», à s'associer avec les Etats-Unis plutôt que de rester repliée sur elle-même ?

E.Todd : La France n'a pas les moyens de s'engager en Afghanistan, c'est déjà un objectif démesuré pour les Etats-Unis. La France est une puissance moyenne et l'Amérique une puissance déclinante. Paris existait terriblement à l'époque de Villepin : après son discours à l'ONU contre l'engagement de la France en Irak, nous rayonnions! Mais sous Nicolas Sarkozy, il arrive à la France ce qui est advenu de l'Angleterre sous Tony Blair : si l'on devient le caniche des Etats-Unis, on disparaît. Si on s'aligne, si on perd son indépendance, on disparaît. De Gaulle l'avait compris : la France n'existe à l'échelle mondiale, ne peut justifier son siège au conseil de sécurité de l'Onu et sa possession de l'arme nucléaire, que lorsqu'elle représente un acteur autonome. Le monde n'a rien à faire de la France de Sarkozy.

Q. : La lutte contre le terrorisme légitime aussi l'engagement du gouvernement dans ce conflit.

E.Todd : Les occidentalistes se pensent en situation de légitime défense. Le terrorisme existe, il devrait être contré par le contre-espionnage et par des forces policières, mais sûrement pas par des guerres à l'étranger. La première attaque contre l'Afghanistan était légitime, il s'agissait de déloger Ben Laden; d'ailleurs, les Russes nous y avaient aidé. Mais l'irakisation de l'Afghanistan participe d'une agression du monde musulman par le monde occidental. L'occidentalisme est une doctrine d'extrême droite en émergence. La France va être du côté du mal : en exposant des troupes françaises et en participant aux bombardements de la population civile afghane. Et, grâce à Sarkozy, nous risquons même ce qu'ont subi la Grande-Bretagne et l'Espagne à la suite de la guerre en Irak.

Q. : Vous parlez des attentats de Londres et de Madrid qui ont eu lieu suite à l'engagement de nos voisins en Irak. Mais là, il ne s'agit que d'envoyer quelques centaines d'hommes dans un pays où la France a déjà des troupes…

E.Todd : Mais justement ! Rappeler leur faible nombre, comme le fait le gouvernement, c'est avouer qu'il s'agit bien d'une action symbolique ! Les quelques bateaux qu'on va mettre dans le golfe persique vont faire rire les Iraniens. Mais nous nous positionnons dans une construction idéologique, contre le monde musulman. Cette posture est d'ailleurs très cohérente avec le sarkozysme en politique intérieure.

Q. : Vous pensez que Nicolas Sarkozy est dans une logique de guerre avec le monde musulman ?

E.Todd : Ce qui a fait son succès dès le premier tour de l'élection présidentielle, c'est le ralliement d'une partie des électeurs du Front national. Il a pu avoir lieu à cause des émeutes en banlieues, qui ont été un facteur de traumatisme. Mais c'est Sarkozy, ministre de l'Intérieur, qui a provoqué cet évènement. Dans la logique du sarkozysme, il y a la combinaison d'une incapacité à affronter les vrais problèmes et à désigner des boucs émissaires. C'est classique : quand une société est en crise, elle a le choix entre résoudre ses problèmes économiques et ses pathologies sociales, ou créer des bouc-émissaires. Sarkozy recherche toujours un ennemi, il est dans l'agression. Cela s'observe même dans son comportement ordinaire avec les habitants de banlieue ou les marins pêcheurs.

Q. : En s'impliquant plus en Afghanistan, la France participe donc à déclencher un clash des civilisations?

E.Todd : L'analyse d'Huntington sur le clash des civilisations est fausse, mais un gouvernement peut essayer de la rendre vraie. Je pense que les gens qui nous gouvernent seront tenus pour responsables de ce qu'ils font. La guerre, c'est la pédagogie du mal. Les peuples en paix pensent sainement. On entre parfois en guerre pour de bonnes raisons, mais peu à peu, on glisse insensiblement dans la violence pour la violence. C'est ce qui aurait pu arriver en Espagne, si les Espagnols avaient mal réagi aux attentats : ils auraient pu s'enfoncer dans le conflit des civilisations. Je crois que cette stratégie conflictuelle va échouer aussi en France. La recherche de bouc-émissaires, l'émergence d'une idéologie islamophobe et hostile aux enfants d'immigrés… ce n'est pas dans la nature de la France. Au final, les Français préfèrent toujours décapiter les nobles que les étrangers.

"Après l'empire"

http://fr.wikipedia.org/wiki/Apr%C3%A8s_l'empire

http://reformeraujourdhui.blogspot.com/2008/04/si-la-france-devient-le-gentil-toutou.html
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