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Gauz ou la condition du vigile Noir en France

Par Gangoueus @lareus
Gauz ou la condition du vigile Noir en France

C’est connu, la France est sûrement le pays détenant le plus grand nombre de vigiles surdiplômés dans son escarcelle. Et quand on parle de diplôme, il n’est pas ici question de brevet des collèges ou de baccalauréat. Non, on parle d’ingénieurs, de qualification de niveau troisième cycle, de doctorat en géologie ou en biologie. Avec une caractéristique ethnique dominante, dans les grandes agglomérations françaises : ils sont Noirs. La prise de parole de Gauz, auteur ivoirien est une conséquence logique de cet état de fait. Une prise de parole originale, drôle, percutante sans être vindicative. C’est surtout un regard à rebours. Il fallait bien qu’un agent de sécurité parle un jour.

Willy Sagnol aurait aimé les phrases suivantes :
Pour la cordée noire de la cage d’escalier, sortir du chômage ou des emplois précaires.Par tous les moyens. Vigile est un de ces moyens-là. Relativement accessible. La formation est des plus minimalistes, aucune expérience n’est particulièrement exigée, les regards sont volontairement bienveillants sur les situations administratives, le profil morphologique est prétendument adéquat. Profil morphologique… Les noirs sont costauds, les noirs sont grands, les noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur. Impossible de ne pas penser à ce ramassis de clichés du bon sauvage qui sommeille de façon atavique à la fois dans chacun des blancs chargés du recrutement, et dans chacun des noirs venus exploiter ces clichés en sa faveur.
Page 7, Editions Nouvel Attila
Le personnage central de cette fiction est Ossiri,un jeune ivoirien instruit qui a choisi d’émigrer en France. Le jeune homme, vigile de son état, nous livre par un monologue intérieur ou par une litanie de poncifs les descriptions respectives de son quotidien, son environnement mais également le petit peuple de consommateurs compulsifs qui côtoient les enseignes où Ossiri s'emploie à gagner son pain de chaque jour.
Gauz ou la condition du vigile Noir en France

Il choisit d’ailleurs de décrire ces deux environnements de manière très différente. Le regard dans les communautés ivoiriennes voire africaines est traduit par une écriture romancée, travaillée tout en gardant une once d’ironie et de sarcasme qui déride le lecteur. Selon le milieu, la langue s’abidjanise, si vous pouvez me permettre l’expression. Elle prend les tonalités chantantes et chambrantes si chères aux formules ivoiriennes qui pour certaines dérivent du Nouchi. Mais quand il est dans Sephora ou Camaïeu, puisque Gauz ne cache le nom des enseignes dans lesquelles son personnage travaille, il choisit l’anecdote et les petites réflexions croustillantes qui ne manqueront pas de faire sourire sinon rigoler le lecteur. Naturellement, le vigile est dans le décor, il ne pense pas, il est transparent, sauf pour les malfrats.
Réflexion de notre vigile

TRANSFORMEES DE LAPLACE 2. C’est une opération mathématique complexe inventée par le scientifique éponyme, qui permet de décrire les variations dans le temps de certaines fonctions. De nos jours, cette opération sert à faire du pricing, c’est-à-dire fixer des prix. On utilise les « transformées de Laplace » par exemple pour trouver les démarques et les prix optimaux à appliquer pendant la période des soldes. Un truc si compliqué pour des choses si vaines.
Page 29, Editions Nouvel Attila

Le propos de Gauz est donc intéressant puisque d’une certaine manière, il donne une vue sur une pluralité d’attitude des consommateurs, teintant ses sentences d’une expertise et d’une érudition désarmantes. L’homme debout pour être payé observe vos faits et gestes. C'est aussi une réflexion sur les métiers de la sécurité, l'impact du 11 septembre sur ce secteur d'activités.
Ce roman va cependant beaucoup plus loin qu’un simple enchevêtrement de cogitations d’un homme en noir.
Pour cela, Gauz a choisi pour son roman une construction non linéaire, dans laquelle Ossiri est certes le point central. L'auteur ivoirien remonte le fil de temps comme pour mieux expliquer l’histoire de ces vigiles, le traitement de l’immigration en France, en particulier celle des sans-papiers. Une narration concentrique où Ossiri est à la fois au centre sans être l’unique porteur de discours. Il donne à toucher du doigt les différents profils de ces immigrés. Ceux qui partent. Les raisons qui pour certains les ont conduits à partir. Mais aussi ceux repartent chez eux. Marqués au fer par l’expérience française. 
On peut regretter de ne pas en savoir plus sur Ossiri. En dehors de l’intériorité d’un vigile intello qu’il rend bien.  Mais, le propos de Gauz n'est pas dans l’approfondissement de ce genre de détails, les personnages ici sont des prétextes, ce qui n’est pas un mal quand on pense au succès commercial de ce roman. Une chose est certaine, le lecteur n’observera plus les vigiles de la même manière.

GauzDebout payé
Editions Nouvel Attila, 172 pages



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