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Principe de précaution : nouvelle proposition de loi constitutionnelle sur le "principe d'innovation responsable"

Publié le 15 novembre 2014 par Arnaudgossement

Principe précaution nouvelle proposition constitutionnelle MM. Éric Woerth, Damien Abad et Bernard Accoyer et plusieurs de leurs collègues viennent de déposer une nouvelle proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un principe d'innovation responsable, n° 2293. Une proposition de loi qui a peu de chances d'être votée mais qui est intéressante par ce qu'elle révèle : la poursuite du débat sur la place du risque dans notre société.


Pour mémoire, plusieurs propositions de résolution et de lois ont déjà été déposées à l'Assemblée nationale pour borner l'application du principe de précaution :

- Le 1er février 2012, l'Assemblée nationale a voté une résolution "sur la mise en œuvre" du principe de précaution" qui propose de subordonner le principe de précaution au respect de plusieurs conditions pour en limiter encore plus l'application. Cette résolution m'avait donné l'occasion de débattre, avec le député PS Philippe Tourtellier, co-rapporteur de la proposition de résolution.

- Le 10 juillet 2013, M Eric Woerth et Damien Abad ont déposé une proposition de loi visant à ôter au principe de précaution sa portée constitutionnelle

- Le 27 mai 2014, le Sénat, à l'initiative de M Jean Bizet, a voté une proposition de loi constitutionnelle "visant à modifier la Charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation"  

Le contenu de la proposition de loi constitutionnelle. La proposition de loi constitutionnelle de MM Woerth et Abad se situe dans la suite de celle de M Bizet : il s'agit de modifier un nom. Le principe de précaution ne s'appellerait plus ainsi mais "principe d'innovation responsable".

Si cette proposition de loi constitutionnelle était adoptée par l'Assemblée nationale puis par le Sénat il conviendrait alors de réunir les parlementaires en Congrès pour modifier la Constitution. Il n'y a aucune chance que cela se produire d'ici à la fin du quinquennat mais le but de cette proposition de loi est de réactiver un débat.

Cette proposition de loi constitutionnelle propose de réécrire l'article 5 de la Charte de l'environnement

"Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution principe d'innovation responsable et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage."

Cette proposition de loi n'a pas de sens du point de vue juridique. En effet, un même principe aurait des noms différent dans la Charte de l'environnement et dans le reste du droit : droit international, droit de l'Union européenne, droit interne. Ce même principe s'appellerait ainsi différemment à l'article L.110-1 du code de l'environnement et dans la Charte de l'environnement.

On imagine les discussions sans fin devant le Juge et le Conseil constitutionnel, pour savoir si ce changement de nom induit ou non un changement de contenu et des contradictions entre niveaux de normes. Nous serions loin, très loin du "choc de simplification".

L'usure du principe de précaution. Répétons le encore et encore, il y a une différence fondamentale entre :

- Le principe de précaution tel que défini en droit : un principe qui impose (notamment) de renforcer la recherche scientifique dans des situations d'incertitude radicale. Le principe de précaution est le contraire d'un principe obscurantiste : c'est un principe  de progrès qui appelle une expertise scientifique plus fréquente, plus ouverte, pluraliste. Le principe de précaution n'est pas contraire à la culture du risque, de l'innovation, de l'entreprise : il est un appel à l'action des pouvoirs publics, pas un motif supplémentaire d'engagement de la responsabilité des personnes privées.

- Le principe de précaution tel qu'invoqué dans le discours politique et médiatique : soit une ode au risque zéro qui justifie tous les moratoires, soit une caricature.

Le principe de précaution est malheureusement invoqué à tout de champ, par tout le monde, pour tout dire et rien dire. Il est devenu une sorte de formule magique ou, à l'inverse, d'épouvantail. Un peu comme la langue anglaise, il est parlé par tout le monde mais perd chaque jour en substance.

En définitive, ceux qui, parmi les défenseurs de l'environnement, invoquent le principe de précaution pour justifier tous les moratoires et tous les abandons de projets ne réalisent pas le risque d'usure qu'ils font peser sur ce principe, qu'il conviendrait de toujours distinguer du principe de prévention. Certains opposants au principe de précaution ont bien compris que l'usure du principe de précaution est le meilleur moyen de le supprimer. Ils multiplient les propositions de lois et les tribunes pour, à chaque fois, caricaturer et accélérer l'usure de ce principe.

L'enjeu. Le principe de précaution (auquel l'auteur de ces lignes a consacré sa thèse de doctorat) est un principe directeur du droit de l'environnement. S'il focalise autant d'amour et de haine c'est parce qu'il est devenu politiquement incorrect de critiquer l'écologie et le développement durable. Nier ouvertement le changement climatique ou l'effondrement de la biodiversité est devenu plus compliqué. Critiquer ouvertement le principe de précaution est plus facile, plus acceptable.

Opposer le principe de précaution au progrès est une manière de regretter que le droit de l'environnement et ses "contraintes" prenne autant de place dans notre société. Dénoncer le principe de précaution est souvent une manière de dire "L'environnement ça commence à bien faire". On peut le regretter mais il faut aussi entendre cette exaspération. C'est pourquoi il est si urgent de rouvrir les états généraux du droit de l'environnement pour permettre à chacun à de s'expliquer et trouver ensemble la manière de simplifier les procédures et les normes sans en rabattre sur l'exigence environnementale. La modernisation du droit de l'environnement mérite mieux qu'une énième commission.

Je donnerai toutefois raison sur un point aux détracteurs de ce principe  : ses zélateurs l'utilisent parfois trop et à mauvais escient. Le principe de précaution ne concerne que certaines situations d'incertitude radicale, heureusement assez rares. Il est, de plus, exact qu'une société qui ne prend aucun risque peut mourir.

Mais reste à savoir quel risque doit être pris et qui en décide. Dans une démocratie de plus en plus numérique et participative, l'"Expert" ne peut plus décider seul, au seul motif de son âge et de ses diplômes, de quels risques prendre et comment.

Le vrai débat. Le principe de précaution est donc un enjeu juridique mais surtout démocratique. Il oppose les nostalgiques de la République des experts comme Claude Allègre où L'Académie des sciences, aux partisans des sciences citoyennes et ouvertes. Car le principe de précaution impose au décideur public de ne plus attendre que l'Expert le conseille avec certitude pour agir. La figure de l'Expert est donc interrogée par le principe de précaution. Et certains "Experts" se sentent menacés par cette "expertise profane" qui se répand et prend plus de place.

Le vrai débat est donc celui de la définition, non du principe de précaution mais de l'expertise : qui a le droit de donner son avis sur un risque et sur la réponse à y apporter ?

Arnaud Gossement

Selarl Gossement Avocats


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