Magazine Moyen Orient

La saison des faussaires (2)

Publié le 21 novembre 2014 par Jcharmelot

La presse américaine a révélé récemment que des soldats américains avaient été exposés à des armes chimiques irakiennes durant l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis. Dans un premier temps, ces informations ont fait état d’une douzaine de militaires impliqués, ensuite de plusieurs centaines. Ces informations étaient présentées comme des révélations, mais donnaient peu de détails sur les éventuels problèmes de santé que ces militaires ont pu développer.

Les journalistes à l’origine de cette information, un « scoop » du New York Times, soulignaient surtout que le Département de la Défense (DOD) avait dissimulé la vérité pendant des années, et que les chefs militaire américains avaient manqué à leur devoir en ne prévenant pas leurs soldats qu’ils risquaient d’être victimes de l’arsenal d’armes chimiques accumulées par Saddam Hussein. Les journalistes ajoutaient que le Pentagone avait dû admettre son erreur, et qu’un numéro vert avait été mis à la disposition de tous les soldats susceptibles d’avoir été intoxiqués …

Le problème avec cette information est qu’elle est largement erronée. Il suffit d’aller sur le site officiel du Pentagone pour retrouver les communiqués de presse qui ont régulièrement fait état de la découverte de stocks anciens de munitions chimiques irakiennes, datant de la guerre avec l’Iran, en 1980 et 1988. Ces obus étaient hors d’usage, en mauvais état et les agents chimiques qu’ils contenaient n’étaient plus actifs. Le nombre total de munitions ainsi retrouvées durant les huit ans d’occupation de l’Irak est évalué à quelque 2000. Et elles ont été toutes détruites, notamment lors d’une large explosion contrôlée en 2008.

Pour les lecteurs non avertis, ou pour ceux qui ont la mémoire courte, la conclusion, ou l’impression laissée, est toutefois très claire : il y avait bien des armes chimiques en Irak, et nos soldats ont risqué leurs vies dans ce pays pour mettre fin à une menace bien réelle. Une manière à la fois oblique et pernicieuse de réhabiliter un des plus grands mensonges de l’histoire contemporaine : le péril pour le monde libre présenté, selon le président George W. Bush et son équipe, par l’arsenal nucléaire, chimique et bactériologique de l’Irak. Et de donner de nouveaux éléments positifs de (re)lecture d’un conflit qui a fait des centaines de milliers de victimes, et couté aux contribuables américains plus de 1000 milliards de dollars.

Ce genre d’informations, dont la source ne peut être que le Pentagone lui-même, est un exemple parfait de manipulation de l’opinion à un moment-clef des rapports conflictuels des Etats-Unis avec le Moyen-Orient et le Golfe. Le message subliminal est que cette région du monde est à hauts risques, que les peuples qui y vivent ne comprennent que la force, et que ceux qui tentent de s’accorder avec eux, comme le président Barack Obama, sont de dangereux naïfs.

Dans un petit livre paru récemment aux Etats-Unis –-« National Security and Double Government »– le professeur de Droit International Michael Glennon, décrit de façon méticuleuse et sans passion outrancière comment la plus grand démocratie du monde est passée depuis des décennies sous le contrôle de son appareil militaro-sécuritaire. Le livre est bref, 120 pages, et s’accompagnent d’une liste impressionnante de références, longue elle aussi de 120 pages, qui fait de ce travail plus un ouvrage académique qu’un pamphlet politique. Il s’agit en réalité d’un cri d’alarme d’un professionnel du droit pour dire que son pays est devenu « hors la loi ». Que le président américain est pris en tenaille par le cercle rapproché de ses conseillers à la sécurité, au premier rang desquels le secrétaire à la défense et le patron de la CIA, qui agissent dans l’intérêt bien compris des structure qu’ils commandent. Et que le Congrès, les cours de justice et la presse, sont devenus les simples chambres d’écho du discours sécuritaire ambiant qui a mis sur le chemin d’une guerre sans fin la première puissance militaire mondiale.

(à suivre)


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