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Pourquoi les déficits ne se réduisent-ils pas ?

Publié le 26 novembre 2014 par Raphael57

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Dans mon précédent billet concernant le budget 2015, j'avais évoqué le bras de fer entre la France et la Commission européenne dû à la réduction trop lente du déficit public. La lettre de rappel à l’ordre budgétaire envoyée par la Commission européenne avait alors provoqué un psychodrame à Bercy, qui a contraint le ministre du budget à trouver en un week-end 3,6 milliards d’euros.

Il s’agissait en effet d’éviter à tout prix l’humiliation de voir la Commission européenne invalider le budget de la France, ce qui rappelle au passage que Bruxelles a les moyens de contraindre la France à pratiquer encore plus d’austérité, quitte à aller à l’encontre du vote des parlementaires… Mais qu’en est-il réellement de la dynamique du déficit public ?


Un échec à réduire le déficit public


La première mouture du projet de loi de finance prévoyait que le déficit public français atteindrait 4,4 % du PIB en 2014 et 4,3 % en 2015, donc très loin des 3 % prévus par les traités européens :

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[ Source : L'Alsace.fr ]

De plus, le déficit public structurel, calculé en enlevant l'impact de la conjoncture sur les comptes publics et dont la mesure sujette à caution, serait également trop élevé. En effet, depuis la ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG), le déficit public structurel ne doit pas excéder 0,5 % du PIB.


L’austérité n’a pas permis de réduire le déficit public


Les mesures de rigueur prises par le gouvernement sont pourtant historiques : 50 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques sur 3 ans dont 21 milliards rien qu’en 2015 ! L’État participera à hauteur de 19 milliards d'euros, la Sécurité sociale 21 milliards et les collectivités locales 10 milliards d'euros :

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[ Source : Les Échos ]


Au-delà des éléments de langage qui polluent le discours politique, il est bien entendu évident que ces 50 milliards d'euros - dont 21 milliards en 2015 - ne peuvent être des « économies », ce qui laisserait à penser qu'il suffit de couper dans quelques dépenses de fonctionnement inutiles ou somptuaires pour y arriver... Ce sont malheureusement bien les dépenses d’intervention, d’investissement et plus généralement d’avenir qui seront fatalement touchées, avec pour conséquence une baisse de la croissance potentielle !


Les dépenses publiques ne sont pas stériles par nature


Contrairement à une croyance bien ancrée, le budget d'un État n'a rien en commun avec celui d'un ménage. En effet, si le ménage veut réduire son endettement et rééquilibrer son budget, il peut (et il devra même !) réduire ses dépenses au niveau de ses recettes dans un premier temps. 

Dans le cas de l'État, une baisse de ses dépenses aura des conséquences sur les recettes futures, puisqu'une partie des dépenses publiques influe directement sur le fonctionnement d'autres agents économiques au travers des subventions, allocations, etc. Ces derniers consommeront et investiront par conséquent moins, ce qui débouchera sur de moindres rentrées fiscales pour l'État.


Le rôle du multiplicateur budgétaire


Cet enchaînement est bien connu des économistes et s'appuie sur le mécanisme du multiplicateur des dépenses publiques, qui rapporte l’évolution du PIB à la variation de la dépense publique. Longtemps, les mesures d’austérité ont été mises en œuvre avec l’idée que ce multiplicateur était constant et proche de 0,5, alors que les récentes études menées notamment par le FMI montrent que sa valeur, dans la période actuelle, est souvent supérieure à 1 dans de nombreux pays. Examinons le cas de la France.


La valeur estimée du multiplicateur en France est de 1,5. Cela signifie que si le gouvernement met en œuvre une politique d’austérité visant à réduire le déficit public par une baisse de la dépense publique de 1 % du PIB, alors cette diminution conduira à une baisse du PIB de 1,5 %. Mais cette baisse du PIB débouchera malheureusement sur une baisse des recettes fiscale de l’État que l’on peut estimer à environ 0,7 %. En fin de compte, la baisse initiale des dépenses publiques de 1 % du PIB aura conduit à réduire le déficit public non pas de 1 % du PIB mais seulement de 0,3 %...


Et lorsqu’en plus la croissance est en berne et risque de le rester longtemps avec de telles politiques en France mais aussi en Europe, le gouvernement n’a quasiment plus aucune chance de réduire le déficit public. Les dirigeants ne semblent pas comprendre que nous nous engageons, au sein de la zone euro et désormais en France, dans la course à la déflation salariale et au moins-disant social, oubliant dès lors les leçons de l'histoire (déflation Laval en France, déflation Brüning en Allemagne).

Pourtant, faut-il encore rappeler que tant qu'il n'y aura pas anticipation d'une hausse de la demande, les entreprises n'investiront pas et se refuseront à embaucher quand bien même leurs marges seraient plus élevées.


Et si l’on récupérait les recettes qui manquent au budget ?


Ignorant ou feignant d’ignorer le mécanisme du multiplicateur évoqué ci-dessus, les gouvernements successifs – et ce quelle que soit leur couleur politique – ont choisi de baisser le déficit public d’abord à coups de hausses d’impôts, puis de coupes drastiques dans les dépenses. Ce faisant, ils oublient que les recettes n’ont cessé de baisser en raison d’une croissance faible depuis des années et d’une fiscalité mitée par les niches fiscales et l’évasion vers les paradis fiscaux, comme le Luxembourg dont j'ai parlé dans ce billet. 

Mais pourquoi changer une stratégie perdante pour la majorité des citoyens au bénéfice  d'une minorité ? Les dirigeants politiques seraient donc bien avisés de méditer cette phrase de Montesquieu : « si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe, ou bien qui fût utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime ».


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