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Le désert et le détournement des codes, nouveau terrain de jeu : « La Colline a des yeux », de Wes Craven (1977)

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Il serait dur pour un Sujet traitant du cinema d’horreur de faire l’impasse sur le cinéma de Wes Craven, considéré avec John Carpenter, comme l’une des figures emblématiques du genre ayant pris naissance dans les années 70-80.

Aujourd’hui, la moitié de sa filmographie continue de hanter les grosses productions et la culture populaire : après Les Griffes de La Nuit, le personnage de Freddy Krueger est devenu une référence absolue, allant même jusqu’à être présent dans un jeu vidéo de combat (Mortel Kombat) et à avoir son propre comic-book chez Marvel. On ne compte plus le nombre de gens, à Halloween, portant fièrement leur masque de Scream, le film qui, par ailleurs, a donné naissance à des faits divers s’inspirant de l’histoire originale.

Wes Craven est l’un des réalisateurs à avoir créé le plus de personnages fictifs profondément ancrés dans la société, Freddy et Scream étant devenus au genre horrifique ce qu’est Mario aux jeux vidéos. On ne compte plus les remakes, les épilogues et les suites de ses films. 

Il est intéressant de se pencher sur ses débuts, et particulièrement son deuxième film La Colline a des Yeux en 1977, qui démontre l’ampleur et la particularité de sa mise en scène, son esthétisme et ses personnages. Comment faire un film à petit budget qui détourne les codes et les clichés, qui joue des contextes sociaux et politiques américains pour créer la désillusion sombre et horrifique ?

© Blood Relations Co.

© Blood Relations Co.

Une famille de la classe moyenne américaine décide de partir en vacances en Californie, équipée d’un camping-car et d’une voiture. Composée de Ethel, mère de confession catholique, Bob Carter, le père anciennement policier, leur fille ainée Lynn, son mari Doug, leur bébé et leurs chiens, ainsi que les frères et soeurs Brenda et Bobby, la famille doit traverser le Nouveau-Mexique, et prend par mégarde une route «raccourcie» traversant un désert où avaient lieu des essais nucléaires. En plein milieu du trajet, ils ont un accident qui les empêche de poursuivre leur route. Bloqués en plein milieu du désert, ils s’apercevront vite qu’ils ne sont pas seuls… 

Comme dans son premier film La dernière maison sur la gauche en 1972, Wes Craven mêle à l’horreur psychologique et physique de ses personnages-victimes, une torture sexuelle, ce qui vaudra au film un classement X à sa sortie. N’acceptant pas une distribution pornographique pour la bonne raison que cela aurait nuit aux recettes du film, Wes Craven modifie le montage pour qu’il ne soit classé que R (les mineurs de moins de 17 ans doivent être accompagné d’un adulte). Le montage original fut perdu à jamais.

Le film, à l’image de Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper (1974), avec lequel il a de nombreux points communs, s’inspire du réel. Le scénario utilise l’histoire de Sawney Bean, un homme du XVII° siècle qui vivait avec sa famille nombreuse (une femme, huit fils, six filles, une multitude de petits-enfants) dans une grotte vers l’Est de l’Ecosse, pour la transposer à son époque et au cinema d’horreur. Il utilise donc le contexte historique de la Guerre du Vietnam et de la Guerre Froide (essais nucléaires, crise de la société, clivage de générations adultes-jeunes) pour donner à son récit un véritable impact et lui permet de s’approcher au mieux du réel.

La Colline a des Yeux fait partie de ces films des années soixante-dix à petit budget qui ont contribué, par des choix de narration, d’esthétisme et de mise en scène, au changement du schéma cinématographique de l’épouvante. On part d’une position classique : le piège (les personnages, à cause d’un accident, se retrouvent piégés dans la case « enfer ») pour faire naître l’oppression et le suspens. Le spectateur peut identifier les personnages à sa propre famille : classe moyenne, différence de générations et de pensées entre les enfants et les adultes (sur la religion, notamment). 

La différence naît, d’une part, sur le style : l’horreur prend naissance sous le soleil (ce qui fait, outre le pauvre budget de ces films, un autre point commun avec Massacre à la tronçonneuse). Jusqu’aux années soixante, la peur au cinéma se crée à partir du sombre, de la nuit et de ses mystères. Ici, l’oppression naît en partie par le soleil lourd et étouffant du désert. Le travail de lumière est amené pour provoquer les émotions et l’inquiétude.

L’utilisation du lieu est poussé à son paroxysme : le désert et ses collines rocheuses infinies. Que peut dissimuler ce désert sec et gigantesque ?

C’est ici une des bases pour faire naître l’effroi, derrière le spectre d’une présence un peu trop alarmante et dangereuse. Wes Craven transpose un principe du western, à savoir l’affrontement sur un terrain de jeu désertique, et s’approche notamment des films de Peckimpah, tous deux de la même génération : on ne se retient plus lorsqu’il s’agit de montrer la violence. 

© Blood Relations Co.

© Blood Relations Co.

Avec une lumière ingénieuse, le film expérimente également un cadre différent pour accompagner son récit. On suggère la présence des psychopathes par un point de vue subjectif (tout comme Carpenter dans l’introduction d’Halloween en 1978). On ignore qui ils sont, mais leur regard sur la famille survient tout au long du début, par la forme de jumelles à la première personne. La caméra est aussi fixée sur la roue du camping-car lors de l’accident (à la manière d’une Go Pro d’aujourd’hui), et Wes Craven n’hésite pas à insister sur les gros plans et les zooms lors des séquences de torture, dans le seul but de nous mettre face à la souffrance (parfois de manière légèrement abusive, plusieurs zooms insistent sur le visage du bébé durant les scène de violences physiques). 

Outre la forme, le film (ainsi que le précédent, La Dernière Maison sur la Gauche) pointe un changement dans la ligne directrice du scénario d’horreur. Les personnages se retrouvent piégés, agressés, torturés, tués dans un monde où il n’y a pas d’échappatoire. La famille classique est abusée et meurtrie par les consanguins-psychopathes qui rappellent les assassins de La Source de Bergman, dont Craven s’inspirera beaucoup au début de sa filmographie. La différence, c’est que le scénario prend une autre tournure : un changement de camp. Les victimes, après avoir subi toutes formes d’atrocités, deviennent finalement les prédateurs. La peur change de côté, avec l’idée bien présente de vengeance.

Après la mort de la mère Ethel, de la fille ainée Lynn, du père brûlé vif Bob, et du vol du bébé, les survivants ne sont plus paralysés par cette peur, mais animés par la même atrocité que leurs bourreaux : tuer. Les victimes ont en réalité des armes bien cachées. Tout en restant dans l’horreur, l’esthétique western, à travers l’affrontement, devient explicite. La musique et les bruitages, qui au départ insistaient sur la perte de repères (désert : souffle continu de vide, bruits de criquets et de grillons la nuit, cris, hurlement, échos, et bruits d’animaux au loin), accompagne l’action. 

Wes Craven n’hésite pas à sur-saturer les hurlements de la soeur, Brenda, lors de son supplice physique proche du viol. La violence s’accompagne au son d’un vrai barouf de synthé ; on utilise un thérémine ou un instrument qui en est proche (vieux synthé utilisé entre autres, par les Beach Boys ou Jean-Michel Jarre) pour donner une sensation d’ondes sonores (en lien avec les ondes radioactives présentes dans le désert après les essais nucléaires). Enfin, cette même musique change sur la dernière partie du film et rappelle elle aussi le western.

© Blood Relations Co.

© Blood Relations Co.

Wes Craven prouve donc, avec La Colline a des Yeux, un renouveau du film d’horreur et un changement dans son époque, une nouvelle façon de conter l’atrocité, de jouer avec les personnages et de mettre en scène l’oppression. Suite à ce film, sa filmographie le confirmera en tant que vrai maître du genre, et comme principal contributeur aux changements des codes de l’horreur que l’on retrouve très présent dans les sur-productions alimentaires de ce genre aujourd’hui.

A noter que le remake d’Alexandre Aja en 2006, produit par Wes Craven lui-même, reste très fidèle à l’original tout en lui apportant beaucoup (notamment d’un point de vue de transposition aux codes et aux changements des années 2000). Il fait partie des rares remakes intéressants dans le film d’horreur. Merci Wes Craven.

Thomas Olland

 

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