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Rencontres avec des entrepreneurs africains : Les TIC peuvent-elles permettre aux acteurs privés de remplacer l’État lorsqu’il connaît des défaillances ?

Publié le 28 novembre 2014 par Diateino

Le vendredi, retrouvez quatre jeunes HEC passionnés qui ont démarré leur tour du Monde de l’innovation sociale et frugale en août dernier.

LEÇON 6 : Les TIC peuvent-elles permettre aux acteurs privés de remplacer l’État lorsqu’il connaît des défaillances ? 

Môh Ni Bah, Côte d’Ivoire

Rencontres avec des entrepreneurs africains : Les TIC peuvent-elles permettre aux acteurs privés de remplacer l’État lorsqu’il connaît des défaillances ?
Rencontre avec Jean-Delmas Ehui, web-entrepreneur fondateur de la start-up Môh Ni Bah à Abidjan, Côte d’Ivoire.

Un faible taux de déclaration des naissances aux conséquences graves :

Aujourd’hui, près de 2 naissances sur 3 ne sont pas déclarées en Côte d’Ivoire, soit environ 500 000 naissances par an. Ce problème est particulièrement présent dans les milieux ruraux.

Or, l’acte de naissance est nécessaire pour s’inscrire à l’école, avoir un contrat de travail, se marier, bénéficier des services publics, participer à la vie socio-économique et politique du pays. Ainsi, une naissance non déclarée a un impact négatif durable sur le développement de l’individu tant au niveau académique que social et économique.

Un État qui ne parvient pas à jouer son rôle :

Ce problème s’explique par plusieurs raisons et résulte souvent d’une incapacité de l’État de jouer son rôle efficacement. Les raisons principales sont :

Le manque de sensibilisation à l’importance de déclarer la naissance des enfants. En Côte d’Ivoire, les parents ont 3 mois pour se rendre à la mairie pour déclarer les naissances et beaucoup non seulement ne le savent pas mais aussi n’ont pas conscience des conséquences pour leurs enfants s’ils ne le font pas.

La distance qui sépare souvent les villages des centres de déclaration des naissances et qui décourage certains parents (que ce soit pour des raisons financières ou des raisons de temps). En effet la crise militaire et politique qu’a connue la Côte d’Ivoire ces dernières années a perturbé l’administration et le nombre de bureaux de l’État civil dans les zones rurales a considérablement diminué tandis que l’état des routes s’est détérioré.

Les files d’attentes, notamment liées à la rareté des centres, s’ajoutent à la réticence des parents d’aller déclarer la naissance de leur enfant. En effet, ces dernières sont souvent très longues. Parfois une journée ne suffit pas aux parents pour se rendre au centre, déclarer la naissance et revenir chez eux.

Môh Ni Bah, qui traduit l’idée de « félicitation » lors d’une naissance en Baoulé (langue du centre de la Côte d’Ivoire), entend lutter contre cette tendance. Ainsi, elle souhaite s’imposer comme un acteur privé se mêlant aux problèmes traditionnellement gérés par l’État en s’intégrant aux processus administratifs publics.

La solution de Môh Ni Bah, utiliser le digital et le mobile :

En Côte d’Ivoire, les zones habitées sont couvertes à près de 95 % par les réseaux mobiles et aujourd’hui, la Côte d’Ivoire recense 20 millions de téléphones portables pour environ 22 millions d’habitants, ce qui témoigne d’une forte pénétration de la téléphonie mobile. C’est pourquoi Jean Delmas Ehui a choisi de passer par le mobile pour monter son projet.

L’entreprise développe un réseau de centres ruraux de « pré-enregistrement » des naissances. Ces centres sont simplement munis d’un registre physique et d’un téléphone mobile et sont gérés par les chefs de village. Une fois par semaine (généralement le jour du marché), les naissances sont enregistrées dans les villages sous forme d’audiences foraines. Ce pré-enregistrement se fait par SMS via une plateforme qui relie les populations locales aux centres d’État civils. Une fois le SMS reçu, le serveur Môh Ni Bah émet un identifiant unique qui est ensuite communiqué aux parents et transmis aux centres officiels de déclaration de naissances. Cet identifiant permet à chaque individu de récupérer ses papiers (acte de naissance, carte d’identité…) dans un centre officiel partenaire bien au-delà de la limite des trois mois actuellement appliquée.

L’entreprise développe également un outil d’analyse statistique des naissances dans le pays qui reposera sur les pré-enregistrements et permettra d’avoir de meilleures données sur le recensement de la population ivoirienne. Ces statistiques pourraient être utilisées par l’État, notamment dans l’élaboration de ses politiques sociales.

Mais comment se coordonner avec l’État ? :

Le projet de Moh Ni Bah semble à même de répondre à ce problème de société qu’est la faible déclaration des naissances. Pourtant, le plus difficile reste d’obtenir le soutien des autorités publiques et leur implication dans le projet. En effet, l’entreprise sociale de M. Ehui se propose d’être le lien entre les populations (rurales en particulier) et l’État civil et doit donc travailler main dans la main à la fois avec les communautés locales (chefs de village, populations) et les autorités publiques.

Via son service à moindre coût pour la population, Môh Ni Bah vient remplacer l’État dans une de ses fonctions. Si l’impact potentiel du projet est indéniable, l’équipe peine à faire accepter sa mise en place à grande échelle.

Nous avons été conquis par le projet de Jean Delmas Ehui. Il nous est apparu innovant tant par sa mission : remplacer l’État dans l’un de ses rôles principaux à savoir de fournir une identité à ses citoyens ; par sa démarche : agir au plus proche de la population, au niveau des villages et par son produit : une application reposant sur un simple SMS et donc à la fois accessible et simple d’utilisation.

Voir aussi chez Diateino :

L’Innovation Jugaad de Navi Radjou, Simone Ahuja, Jaideep Prabhu.

Ces entreprises qui réussissent en Afrique de Jonathan Berman.


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