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Pas pleurer, Lydie Salvayre

Par Gangoueus @lareus
Il est toujours quelque peu délicat de commenter un livre qui a remporté un très grand Prix littéraire. N’étant pas un anti-conformiste acharné, je crains toujours que ma lecture ne rencontre pas l’assentiment général, la vindicte élitiste. Ici, celle du jury Goncourt. En terminant la dernière page du roman Pas pleurer de Lydie Salvayre, je peux vous affirmer que je suis particulièrement détendu. Car j’ai aimé ce roman pour plusieurs raisons.
Pas pleurer, Lydie Salvayre
Ceux qui suivent mes chroniques depuis quelques temps connaissent mon intérêt pour les romans historiques. D’une certaine manière, le chef d’oeuvre de Lydie Salvayre est un roman historique, même si la toile de fond ne semble pas si éloigné que cela : L’Espagne de 36. Au travers des souvenirs d’une vieille dame, quelque part en France, sa fille nous restitue les mots de sa mère et de l’intellectuel français Georges Bernanos. Elle revient sur une époque lumineuse en Europe, l’été 36. En France, les impacts du Front populaire sont encore présents dans les nombreux acquis sociaux dont beaucoup jouissent encore. Mais, le cas de l’Espagne décrit par Lydie Salvayre est particulièrement intéressant et nous parle d’une époque où le monde n’était pas figé dans le marbre, où le fatalisme n’était pas une doctrine unique et absolue. Elle nous fait revisiter une période avec des personnages forts, capables de porter dans leurs chairs la marque impitoyable de l’histoire qui se meut.
Un roman polyphoniqueTrès rapidement, voici le procédé de narration proposé par Lydie Salvayre. Une dame âgée se remémore une période lumineuse de sa vie. Elle échange ou plutôt raconte à sa fille les hauts faits de cet épisode qui l’a marqué profondément. Dans son discours s’entremêle le français et la langue du pays d’antan. Une langue fabriquée, une sorte de pidgin entre le français et l’espagnol permet à Montse de dire son histoire, de transmettre le souvenir des douleurs qui ont enfanté le départ. La fille se prend d’intérêt pour ce qui est dit. Elle, que les coquilles de sa mère avec la langue française agacent, s’accroche au fil d’Ariane proposé et glisse sa propre voix, replaçant subrepticement le lecteur dans le temps présent, dans cette pièce où deux femmes parlent, avant de le renvoyer dans l’entre-deux-guerres. Elle fait ses propres recherches pour croiser les souvenirs sublimés de sa mère avec l’Histoire. L’écrivain Georges Bernanos est la troisième voix introduite. Une écriture qui se veut plus précise et avec une traduction de l’évolution de la pensée de l’écrivain catholique au fil du conflit, d’abord soutien des phalangistes de Franco avant d’évoluer vers un regard plus critique sur les militaires et la hiérarchie catholique qu’il traduira dans un livre de référence : Les grands cimetières sous la lune.En mélangeant ces différentes voix, elle raconte une histoire familiale qui est validée par les grands témoins de l’histoire.
1936, en EspagneJe vais être honnête. Pendant longtemps, pour moi, la guerre d’Espagne se résumait au tableau Guernica de Picasso. Vous pouvez rigoler. Mais, c’est une guerre qui finalement fait encore l'objet de très peu de traitement dans les médias classiques. Je peux même dire que je n’ai vu qu’un ou deux documentaires sur ce conflit. L'écrivain algérien Yahia Belaskri m’avait récemment proposé une belle plongée dans  cet épisode douloureux de ce pays : Une longue nuit d’absence. Montse est une adolescente dans un village espagnol. L’Espagne est une république. Les rôles sont très clairement définis dans cette société. Alors qu’elle cherche un emploi, elle est profondément choquée par l'attitude condescendante de Dom Jaume - un riche propriétaire terrien - à son égard quand il la reçoit en entretien. Ce moment qui intervient très tôt dans le roman illustre la rupture entre les différents courants de la péninsule ibérique. Son frère Josep, paysan, a eu la joie de voir l’aube d’un monde nouveau à Lérida, une ville où toutes les formes de hiérarchie furent abolies, les biens matériels redistribués. Le triomphe des libertaires. Il veut voir cette utopie prendre forme dans son village. Il va vouloir convertir son village à ce projet et va devoir faire face à Diego, communiste et surtout fils de Dom Jaume…
Communistes vs anarchistesBon, on pourrait écrire des pages sur ce roman. Pourtant, je n’ai quasiment rien dévoilé de ce magnifique roman. Mais il y a une fraicheur dans ce texte qui me parait essentiel à relever. Dans des sociétés figées par le temps, durant un été un univers a failli basculer. Une organisation différente, plus participative s’est instaurée dans une grande partie de l’Espagne avant détruite par les militaires de Franco. La possibilité d’un monde qui change. Il est certain que lorsqu’on observe les sociétés dans lesquelles nous vivons aujourd’hui, la France par exemple, la dernière grande fronde remonte à 1968 et elle fut sans commune mesure avec l’expérience espagnole. Ce que le roman matérialise également ce sont les nuances entre l’extrême gauche et le communisme. Nuances explicites. Le problème est que pour Josep, dans un éclair de lucidité, Lérida ne peut être qu’un épisode. Un petit mot pour dire la place malheureuse de l’église catholique, monolithe institutionnel. Pour garder ses privilèges, elle a fourvoyé son message. 
Je m’arrête là. Ce fut une très bonne lecture. Un roman sur le thème de transmission et de l'immigration. Une invitation à lire d’autres grands auteurs ayant travaillé sur cette guerre d’Espagne : André Malraux, Federico Garcia Lorça, Ernest Hemingway… Afin de ne pas laisser à Picasso, le monopole de la parole. 

Lydie Salvaire : Pas pleurer - Prix Goncourt 2014
Editions du Seuil, Rentrée littéraire 2014



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