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Frédéric Malle fait ses valises

Publié le 01 décembre 2014 par Adamantium

La nouvelle est tombée le 7 novembre dernier : au terme d’un grand shopping de Noël qui avait déjà vu tomber dans son panier Le Labo et Rodin Olio Lusso, le groupe américain Estée Lauder rachetait également les Éditions de Parfums de Frédéric Malle, créant un choc dans la communauté des amateurs de parfums de niche.

Après la création de Tom Ford Beauty, Estée Lauder semble donc poursuivre son changement de cap en se tournant vers les marques de niche haut de gamme. « Éditions de Parfums Frédéric Malle représente la quintessence de l’élégance », déclarait à cette occasion Fabrizio Freda, Président et Responsable Exécutif du groupe.

L’annonce du rachat, qui est tombée sans aucun signe annonciateur, laisse libre cours à de nombreuses spéculations et interrogations. Certains regrettent de voir passer sous la bannière étoilée une Maison française, d’autres s’inquiètent de voir la qualité des parfums s’amoindrir tandis que les comptables du groupe iraient mettre leurs sales pattes dans les formules… La transaction devrait être finalisée en janvier 2015, les conditions n’ont pas été divulguées. Quant à Frédéric Malle lui-même, il n’a fait aucune déclaration publique, tout au plus sait-on qu’il gardera une fonction de « conseiller » pour sa Maison.

FMalle-F9-©Brigitte-Lacombe
La parfumerie de niche doit beaucoup à Frédéric Malle. Ce petit-fils du fondateur des Parfums Christian Dior a été, avec Serge Lutens, l’inventeur d’un segment qui a ressuscité un secteur banalisé et sclérosé. C’est aussi lui qui a remis les parfumeurs au premier plan et redonné ses lettres de noblesse à l’inspiration créative. À ce titre, Frédéric Malle incarne une vision de la parfumerie qui semble aux antipodes des valeurs d’un géant diversifié qui a, en outre, le tort d’être situé de l’autre côté de l’Atlantique.

Pourtant, le groupe Estée Lauder a montré, au fil de ses récentes acquisitions dans la beauté et avec la création de Tom Ford Beauty qu’il savait valoriser et préserver l’apport des managers créatifs. A ce titre, il se comporte envers ses marques de luxe un peu à la façon du groupe japonais Shiseido, qui possède Serge Lutens et BPI.

Dans le cas de Tom Ford, il était évident que la meilleure façon de laisser la marque faire du profit et se développer était de laisser faire le designer texan, qui sait concilier mieux que personne créativité et business ! Estée Lauder s’est donc principalement contenté d’apporter à la marque son réseau de distribution et ses infrastructures, même s’il est difficile de ne pas deviner la pression du groupe dans la rafale de lancements autour du bois de Oud et la collection Atelier d’Orient…

Mais on a également constaté que le rachat de la marque anglaise Jo Malone s’était traduit par une reformulation assez radicale des fragrances, encore qu’il devienne difficile de savoir dans ce domaine qui a causé le plus de dégâts : le groupe américain ou l’Union Européenne…

Estée Lauder me semble en effet un danger moins immédiat pour les Éditions de Parfums que la future loi européenne sur les cosmétiques. Frédéric Malle lui-même a expliqué à plusieurs reprises à quel point cette loi absurde menaçait sa Maison. Dans une interview de janvier 2013, il déclarait : « Si cette loi devait être adoptée, je serais fini, puisque mes parfums contiennent de grandes proportions de ces ingrédients [naturels que l’Union Européenne veut interdire ou limiter – NDR]. L’impact sur l’industrie du parfum de luxe dans sa globalité serait celui d’une explosion atomique et nous pourrions ne jamais nous en relever. »

Il serait audacieux de postuler que ce sont les futures directives cosmétiques de l’Union Européenne qui ont incité Frédéric Malle à jeter l’éponge. Mais dans cette même interview, il déclarait avoir déjà dû faire reformuler près du quart de ses fragrances, au prix de centaines d’heures de travail : « Cela peut prendre plus de six mois de reformuler un parfum, et au minimum une trentaine de tests… un temps précieux qui ne peut pas être consacré à la création de nouveaux parfums. Pour protéger une fraction de la population [qui présente des allergies à certains composants – NDR], on fait souffrir tout le reste ».

Savoir dans quelle mesure cette menace forte et réelle sur la parfumerie d’auteur aura été la goutte d’eau qui aura fait déborder le vase est, encore une fois, pure spéculation. Mais force est aussi de constater que depuis un ou deux ans, la Maison avait perdu un peu de sa flamboyante créativité, comme en témoigne la pâle Eau de Magnolia créée par Carlos Benaïm.

On peut espérer qu’au terme des négociations en cours, Frédéric Malle saura s’aménager un statut à la Tom Ford – il est déjà annoncé qu’il reportera directement à John Dempsey, le Président du groupe. En allégeant le fardeau du management sur les épaules de leur créateur et en lui permettant de se concentrer sur ce qu’il aime faire le plus : raconter des histoires sous forme de parfums, le rachat par Estée Lauder pourrait être une bonne nouvelle pour les Éditions de Parfums. En permettant à Frédéric Malle de renouer avec une certaine insouciance, cela pourrait être le début d’un nouveau chapitre, différent des précédents mais tout aussi exaltant.

Hervé Mathieu – Fragrance Forward

(photo de Frédéric Malle (c) Brigitte Lacombe)



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