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Lâchez les chiens

Publié le 06 décembre 2014 par Detoursdesmondes
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J'aurai voulu trouver un titre disant la beauté du monde ou parlant du Mexique comme d'une terre de rêves...
J'aurai voulu vous parler des visions hallucinatoires des chamanes Huichol, des couleurs extraordinaires de ces tableaux de fils patiemment réalisés autour de mythes ancestraux.
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J'aurai voulu croire que les oeuvres d'art étaient les meilleurs ambassadeurs des cultures, quelles qu'elles soient, surtout lorsqu'elles étaient méconnues. C'est par elles que nous pouvons porter à la connaissance l'existence de minorités, ce sont elles qui sont les porte-drapeaux, nécessaires revendications d'identités souvent bafouées.
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C'était compter sans la petitesse de pensée de commissaires ou administrateurs ou censeurs de tout poil, lesquels, incapables de faire une importante communication autour de leurs expositions (de grâce réalisez un site web digne de ce nom pour ce beau musée qu'est le MAAOA), censurent toute autre forme.
Dormez tranquilles, sans parler avec enthousiasme des Huichol comme je le fais ici, vos gardiens n'auront pas le besoin de lâcher les chiens sur les photographes imprudents car personne n'ira admirer ces merveilleux tableaux ! Ils ont pourtant une sacrée puissance d'"enchantement".
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Lisez ou re-lisez Le Clézio pour simplement vous donner le souffle de côtoyer dans cette exposition la naissance du feu, l'origine de la Lune, le cercle tourbillonnant d'où sortent les ancêtres, un univers où les cerfs se transforment, un monde où les danses peuvent guérir, une terre aussi et surtout pour laquelle des hommes luttent afin de la conserver.
"Le Mexique est une terre de rêves. Je veux dire, une terre faite d’une vérité différente, d’une réalité différente. Pays de lumière extrême, pays de violence, où les passions essentielles sont plus visibles et où la marque de l’antique histoire de l’homme est plus sensible ; tout comme dans certains pays fabuleux, la Perse, l’Egypte, la Chine. Pourquoi ce rêve ? Qu’est-ce qui fait du Mexique un des lieux privilégiés du mystère, de la légende, un lieu où le moment même de la création paraît encore proche alors que déjà s’annonce, inexplicablement, l’autre moment suprême, celui de la destruction du monde ?
Est-ce la nature même du pays, terre de volcans, de déserts, de hautes terres si proches du ciel et du soleil, terre de jungles exubérantes, de plaines arides, de précipices, de canyons et de vallées profondes ? La virginité de la nature dans ce nouveau monde - par opposition à l’antiquité des terres d’Europe, formées par l’homme, soumises à son usage jusqu’à la stérilité parfois - voilà sans doute le principe même de ce rêve : pendant la période romantique, dans l’œuvre de Chateaubriand notamment, cette nature vierge est le thème central du rêve : dans le nouveau monde où l’homme est en harmonie avec la nature, tout est possible ; tout semble plus beau, plus vrai.
L’homme aussi a donné naissance à un rêve ; l’homme des sociétés indigènes des hautes terres. Un rêve où le sauvage nomade, le héros des romans de Fenimore Cooper ou de Chateaubriand, est opposé à l’Aztèque et à l’Inca, serviteurs de leurs dieux solaires, constructeurs de prodigieux monuments, héros légendaires des peuples sacrifiés par l’Espagnol à sa fièvre de l’or puis abandonnés à l’esclavage et au désespoir. Image romantique aussi, qui a fasciné des générations de lecteurs de romans et de récits de voyages au siècle dernier.
La légende surtout : le pouvoir magique des noms, des gestes et des dieux, le mystère des civilisations disparues, qui entraînèrent avec elle dans l’abîme de l’oubli, tout le pouvoir et tout le savoir de leurs fondateurs. Au cœur de ce mystère, il y a surtout la fascination instinctive qu’exercent les peuples magiciens et leurs rituels cruels, mêlée à l’admiration que suscite leur développement artistique et culturel. Le Mexique est probablement le pays du Nouveau Monde où s’est trouvée corrigée l’idée puérile et idyllique du « Bon Sauvage » romantique, grâce aux récits des voyageurs et grâce aux ouvrages de l’Abbé Brasseur de Bout-bourg ou de Michel Chevallier, les premiers ethnologues du territoire. Alors, l’Europe découvrit pour la seconde fois le Nouveau Monde, son passé prestigieux, ses richesses architecturales et l’extraordinaire pouvoir de séduction de son folklore vivant. En France, le XIXe siècle retrouva spontanément le chemin du rêve ; et Napoléon III, empereur des Français et descendant d’un aventurier, fit le rêve fou d’une aventure mexicaine qui établirait dans le Nouveau Monde un prolongement de son empire et un contre-poids à l’empire commercial des États-Unis. Le rêve de Napoléon III fut avant tout, je crois, un rêve mexicain ; je veux dire, le rêve d’une nouvelle puissance. D’autres rêves ont traversé l’histoire du Mexique, plus généreux sans doute que le rêve des Conquistadores, l’extravagance de Napoléon III ou l’aventure d’Iturbide ; je veux parler des rêves d’un monde meilleur que firent les premiers évangélisateurs espagnols, celui de Bartolomé de Las Casas, touché par la beauté et par l’innocence des Indiens, victimes de la cruauté des colonisateurs qui les exploitaient, je veux parler aussi de la vision de Don Vasco de Ouiroga, de l’abnégation de Fray Jacobo Daciano, mais aussi du rêve impossible de Boturini, dans son Idée d’une Histoire de la Nouvelle Espagne, où se mêlent les réminiscences du classicisme grec et les mythes aztèques et toltèques ; ou bien de la thèse purement onirique de Don Carlos de Sigùenza y Gongora sur le Phénix de l’Occident, l’apôtre Saint-Thomas confondu avec la figure légendaire de Quelzalcoatl.
Mais ces rêves et ces aventures, qui ont traversé le Mexique dès la Conquête, ne sont pas des manifestations gratuites de l’imagination. Il faut avant tout, me semble-t-il, les rapprocher du pouvoir de rêve qui gît au cœur même des civilisations précolombiennes : rêves prophétiques, rêves où les hommes rencontrent leurs dieux, où ils reçoivent leur consécration pour exercer le pouvoir sur d’autres hommes, comme on le voit dans la « Relacion de Michoacan », ou dans les grands textes mystiques de l’Amérique, les livres du Chilam Balam. Ainsi, au rêve fou de terres nouvelles et d’or des Conquistadores espagnols, répond le rêve et l’obsession de la fin du monde des peuples indigènes et l’attente angoissée du retour, retour des hommes vêtus de blanc, des maîtres de la terre, qu’ont annoncé les prophètes, Ah Kin Chel, Xupan Nauat, ou le Chilam Balam chez les Mayas ; retour de Quetzalcoatl pour Moctezuma et les Mexicains, dont profita si bien Hernan Cortes.
Le plus étrange, dans ce flux de rêves qui traverse le Mexique, c’est qu’il est de toutes les époques, produisant de manière continue ces explosions d’irrationnel, d’illusion et même d’absurde : remous du baroque comme chez Boturini ou chez Don Ramon de Ordonez y A guiar, auteur d’une curieuse Histoire du Ciel et de la Terre, où Quetzalcoatl est identifié à un frère de Saint-Thomas et les Maîtres de Culhuacan aux descendants des Chananéens de Palestine ; ou remous collectifs, comme dans l’aventure de Maximilien ou dans la rébellion des Cruzoob de Yucatan ; ce pouvoir de rêve débouche à l’époque contemporaine sur ce que l’on peut appeler une renaissance de l’irrationnel.
Le Mexique a sans doute été - comme le Tahiti de Gauguin - le lieu privilégié du rêve du paradis perdu. En France, à travers l’œuvre de Brasseur de Bourbourg et grâce à l’intervention française au Mexique, on eut la première révélation de ce pouvoir de la magie et de l’Indien imaginaire qui fascinèrent les lecteurs, comme si les moindres faits de la merveilleuse aventure des Conquistadores se mêlaient aux mystères et aux secrets des peuples primitifs. C’est cette dernière phase du rêve mexicain que nous vivons sans doute actuellement, après les romans de D.H. Lawrence, après « Mexico, tierra india » de Jacques Sous-telle, ou, plus récemment, après les best-sellers de Carlos Castaneda.
C’est cette découverte de l’antique magie des peuples vaincus qui a revalorisé le monde indigène actuel et qui a permis au rêve mexicain de se perpétuer. Rêve d’une terre nouvelle où tout est possible ; où tout est, à la fois, très ancien et très nouveau. Rêve d’un paradis perdu où la science des astres et la magie des dieux étaient confondues. Rêves d’un retour aux origines mêmes de la civilisation et du savoir".
Le Rêve mexicain, J. M. G. Le Clézio
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Photos mauvaises de l'auteure, décembre 2014 - Visions Huichol.
Simple réaction épidermique aux interdictions en tout genre !

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