Un Cosi fan tutte sous tension

Teodor Currentzis a toujours annoncé la couleur. C'était déjà le cas avec sa version des Noces de Figaro. Avec le Cosi fan tutte de WA Mozart qui est paru il y a quelques semaines sous le même label Sony Classical, le chef grec et son ensemble MusicAeterna nous emportent dès les premières mesures dans une aventure humaine et musicale hors pair.

Dans ses interviews visionnables sur youtube (cf. ci-dessous), Teodor Currentzis explicite sa vision de la création lyrique chez Mozart avec une acuité rare. Son pari : mettre quasiment en "caisson étanche" chanteurs et instrumentistes pour obtenir une mise sous tension, une intensité que l'on n'a vraiment pas l'habitude de nous servir sur ce chef d'oeuvre du compositeur viennois.

Qu'on se le dise, une grande majorité des interprétations de Cosi sont finalement décevantes avec des directeurs musicaux qui se fourvoient pour la plupart dans une lecture maniérée, par trop cérébrale en cherchant à élaborer une sorte de "marivauderie" musicale. Tout comme pour René Jacobs, dont il considère que sa version reste l'une des seules valables, Teodor Currentzis ne fait pas de ronds de jambes incessants et ou de chichis. Il attaque d'emblée avec un tempo enlevé, une sorte de sentiment d'urgence. L'intrigue reste valable et la supercherie, élaborée par Don Alfonso, avec l'efficace assistance de Despina, conserve toute sa saveur.

L'équipe vocale est assez homogène (avec toutefois la petite réserve sur Anna Kasyan qui campe une Despina moins convaincante, moins agile et espiègle que Graciela Oddone, véritable révélation qui incarnait bien mieux le rôle dans la version de René Jacobs). Le duo Simone Kermes et Malena Ernman (dans respectivement les rôles de Fiordiligi et Dorabella) fonctionne très harmonieusement et on dispose là d'un des tandems les plus convaincants dans ce répertoire. Les deux ténors (Kenneth Tarver et Christopher Maltman) montrent un engagement personnel et une belle énergie. La relative sobriété de Konstantin Wolff dans le rôle de Don Alfonso est de bon aloi pour ce rôle qui est la clef de voûe de cet opéra. Rôle si singulier, omniprésent, mais qui ne dispose que d'une aria et d'une durée de moins d'une minute.

L'orchestre (MusicAeterna) est incisif à souhait tout en conservant une agilité exemplaire. On apprécie donc un équilibre plasticité / nervosité parfaitement dosé par Teodor Currentzis alors qu'a contrario, René Jacobs, n'était pas vraiment parvenu à éviter les sonorités astringentes et le caractère par trop anguleux que le Concerto Köln peut avoir. Cette différence est probante et permet de conserver l'élégance de l'écriture mozartienne mais avec un sens du second degré indispensable car inhérent au caractère du compositeur et au climat de ses oeuvres lyriques.

Il est simplement navrant que Nicolas Bartholomée, qui a supervisé la production sonore, ait à ce point aplati cette version avec une prise de son qui manque singulièrement de dynamique et de relief. Les voix projettent insuffisamment, l'équilibrage semble insuffisant avec notamment des attaques / tutti d'orchestre qui paraissent artificiellement amplifiés. A cause de cette prise de son, ce Cosi semble resserré dans un carcan qui nuit vraiment au rendu général et ne permet pas aux couleurs de l'orchestre de s'exprimer pleinement.

Malgré cette réserve de taille, j'attribuerai un coup de coeur du poisson rêveur à cette version tant elle s'approche le plus, selon moi, de l'esprit mozartien, mélange singulier de vivacité, d'élégance et de désinvolture.

: Coup de coeur du poisson rêveur

WA Mozart - Cosi fan tutte - Teodor Currentzis (Direction musicale) - Ensemble MusicAeterna - Simone Kermes (soprano), Malena Ernman (mezzo-soprano), Kenneth Tarver (ténor) , Christopher Maltman (baryton), Konstantin Wolff (baryton-basse), Anna Kasyan (soprano) - Label Sony Classical.