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Haïti une exposition à Paris et une grave crise politique à Port-au-Prince

Publié le 14 décembre 2014 par Micheltabanou

Enfin trouvé le temps pour aller visiter l’exposition Haïti au Grand Palais. J’attendais avec impatience un autre rendez-vous avec l'art créole depuis l’exposition Kréol Factory à la Grande Halle de la Villette en 2009. Cette magistrale exposition d’art contemporain sur les diversités créoles fut certainement la première signature identitaire du monde créole présentée en France. Elle était riche des expériences de ce monde dispersé entre Caraïbes et Mascareignes. L’exposition qui lui succède est un focus tout particulier sur Haïti, première république noire indépendante issue de la libération tragique des esclaves… Elle présente la richesse de la création de cette nation et bien entendu le Vaudou y prend toute sa part tant il semble régir le quotidien des hommes et des femmes de cette île. Le Vaudou désigne l’ensemble des dieux et des forces invisibles dont les hommes essaient de se concilier la puissance ou la bienveillance. Il est profondément ancré dans l’âme haïtienne et trouve son origine dans l’ancien royaume du Dahomey, l’actuel Bénin, et s’est développé dans la clandestinité. Le vaudou ou vodou (divinité, dieu, esprit) est un exemple de syncrétisme où des éléments de religions africaines vont se fondre progressivement avec le culte des saints dans la religion catholique, question essentielle de survie pour les adeptes d’une croyance interdite, sévèrement réprimée par les colons jusqu’à la peine de mort. En y intégrant des éléments catholiques, le vaudou « chrétien » devient plus acceptable. Dieu existe dans cette religion et porte en créole le nom de Bondyé, un peu comme nous parlons du Bon Dieu mais son véritable nom est Mawu. Comme dans la religion catholique, il incarne l’Etre suprême auquel – dans les faits – on ne s’adresse pas directement. Il est immatériel, jamais représenté sous quelque forme que ce soit. Lui-même délègue d’ailleurs ses pouvoirs à des intermédiaires : saints, esprits et lwas (esprits ou divinités). Cette délégation permet une habile transition de la religion officielle au vaudou… et vice versa. Dans le vaudou, la place du surnaturel est importante. Il existe un monde de l’invisible auquel la pratique du vaudou permet d’accéder à condition d’invoquer l’aide du lwa concerné. En l’occurrence, le premier d’entre eux est Papa Legba qui garde la frontière entre le monde des humains et le monde surnaturel. C’est la raison pour laquelle on le dit présent à l’entrée des temples, aux barrières et aux carrefours. Il est apparenté pour la religion catholique à Saint Pierre, en raison des clés du paradis, à Lazare que le Christ fit lever du tombeau et donc revenir du royaume des morts, à Saint-Antoine enfin souvent invoqué pour retrouver les objets perdus, recouvrer la santé ou exaucer un vœu. "Papa Legba, ouvri bayé pou moin... " ("Papa Legba, ouvre-moi la barrière...") Papa Legba qui ouvre et ferme les chemins, est représenté comme un vieillard couvert d’un chapeau de paille, fumant la pipe et tenant une canne. Très coléreux, à minuit, il devient malfaisant. Dans le rite Petro, Papa Legba devient Kalfou (Carrefour), maître des esprits nocturnes – peut-être démon – grand maître des charmes et des sortilèges, proche enfin de tout ce qui a trait à la magie noire. Le temple vaudou (houngor ou oufo) est divisé en deux parties, le péristyle, vaste hangar ouvert au public où se déroulent les cérémonies et la (ou les) caye(s) mystères (maison des mystères) on parle aussi de bagui, sanctuaire des loa (esprits ou mystères du vaudou), contenant l’autel vaudou et la pierre du temple. Au centre du péristyle le potomitan, ou poteau-mitan qui va de la terre au ciel, représente l’axe du monde et établit ainsi la communication entre le monde des humains et celui de dieu. Autour du poteau-mitan, le hougan ou la manbo ou mambo (la prêtresse, l’équivalent féminin du hougan) trace les vévés, dessins rituels exécutés à même la terre battue avec de la fécule de maïs ou de la craie. A plusieurs reprises, le vaudou a joué un rôle important dans l’histoire d’Haïti, notamment dans l'organisation des révoltes contre les colons français comme celle fondatrice du 4 août 1791, au Bois-Caïman où un hougan, prêtre ou maître vaudou, Dutty Boukman, organisa une cérémonie pour un grand nombre d’esclaves avec le sacrifice d’un cochon dont le sang fut bu par les assistants pour les rendre invulnérables.. Dans la nuit du 22 août les esclaves brûlèrent plusieurs habitations et massacrèrent les blancs, y compris les femmes et les enfants. On dénombra près d’un millier de blancs assassinés, 161 sucreries et 1200 caféières dévastées. Boukman qui était de grande taille et d’une force peu commune fut tué au combat et sa tête exposée au Cap-Français, afin de prouver qu’il n’avait rien d’invulnérable. La cérémonie du Bois-Caïman est considérée en Haïti comme l’acte fondateur de la révolution et de la guerre d’indépendance. François Duvalier, dit Papa Doc, qui détint le pouvoir de 1957 à 1971, utilisa les frayeurs populaires que le vaudou peut inspirer pour accroître son emprise sur le peuple. Il prétendait être lui-même un hougan et a délibérément modelé son image sur celle du Baron Samedi, lwa des morts pour se rendre encore plus imposant.

Cette exposition contrarie les clichés d'une vision stéréotypée oscillant entre art vaudou et religieux et art naïf qui confine l’île, les haïtiens, dans un raccourci identitaire destiné à donner une couleur locale aux catalogues de voyagistes…pour masquer d’une part sa misère et d’autre part son intelligence à surpasser son histoire, à vivre la modernité de sa création, à appréhender le temps présent. A ces illustrations complaisantes Mario Benjamin répond par « On est pas forcément toujours en train de penser à un cocotier ». La création contemporaine se voit donc accordée un large espace, centré autour d’œuvres réalisées spécialement pour cette exposition par des artistes de toutes générations vivant en Haïti (Mario Benjamin, Sébastien Jean, André Eugène, Frantz Jacques, dit Guyodo, Jean-Hérard Céleur, Dubreus Lhérisson), en France (Hervé Télémaque, Élodie Barthélémy), aux États-Unis (Édouard Duval Carrié, Vladimir Cybil Charrier), au Canada (Marie-Hélène Cauvin, Manuel Mathieu), en Allemagne (Jean-Ulrick Désert), en Finlande (Sasha Huber). Et nous est donné à voir ce sublime tableau de Jean-Michel Basquiat exécuté en 1988: She Installs Confidence and Picks Up His Brain Like a Salad où l’idéal n’est pas à portée de mains ! J’en veux pour preuve la situation sociale et politique d’Haïti qui au moment même où je contemplais les chefs d’œuvres de l’expo était explosive.

Alors que j’écris ce post je prends connaissance de l’annonce de la démission du Premier Ministre faisant suite aux secousses de la grave crise politique qui menace l’île. «Je quitte mes fonctions de Premier ministre ce soir avec le sentiment du devoir accompli», a déclaré M. Lamothe lors d’une intervention télévisée reproduite sur le compte twitter officiel du ministère de la Communication. Une personne a été tuée par balles samedi à Port-au-Prince lors de nouvelles manifestations anti-gouvernementales pour exiger la démission du président Michel Martelly et du Premier ministre Laurent Lamothe, a constaté un photographe de l’AFP. «Nous avons découvert un cadavre. La victime est un jeune d’une trentaine d’années, nous ne l’avons pas identifié, mais il ne ferait pas partie de la manifestation», a déclaré à l’AFP Garry Dérosiers, porte-parole de la police haïtienne. Des incidents ont éclaté dans la manifestation à Port-au-Prince quand des centaines de jeunes ont tenté de forcer des barrages de la police pour entrer devant le palais présidentiel. «J’ai besoin de nourrir mes enfants. Je suis une mère seule. Le gouvernement ne fait rien pour changer notre vie», a déclaré Yolaine, qui se trouvait parmi les manifestants. Les Haïtiens ont également manifesté dans deux autres villes du pays pour réclamer la démission du président Martelly et de son gouvernement. Vendredi, le président haïtien avait annoncé que le Premier ministre très décrié par l’opposition était «prêt à démissionner» sans toutefois indiquer quand il comptait le faire. Les partis politiques de l’opposition ont prévu d’organiser de nouvelles manifestations à Port-au-Prince

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